Le risque terroriste

SLC

 

Le 11 Septembre 2001 nous a rappelé que notre société était bien fragile face à de petits groupes de terroristes prêts à mourir pour leur cause. Les réactions des premiers visés, les Américains, à défaut d’être efficaces contre ces groupes, ont été vives et violentes aussi bien en Afghanistan qu’en Irak. Les mesures de prévention dans le domaine de la restriction des libertés individuelles aussi bien que du renforcement des services secrets se sont multipliées dans le monde entier. Par contre nous n’avons guère entendu parler de mesures concernant les objectifs possibles des actions terroristes : personne n’a mentionné la possibilité d’interdire la construction de tours, ou de vider les barrages, ni de suspendre l’activité des usines chimiques dangereuses, ni d’interdire les grandes réunions populaires comme les évènements sportifs etc., etc... La seule mesure de ce type envisagée par certains groupes, certains partis politiques et largement répercutée dans les médias fut l’arrêt des réacteurs nucléaires. Ainsi la crainte du terrorisme devint-elle une nouvelle arme de choix dans l’arsenal idéologique des mouvements anti-nucléaires. Est-il possible d’examiner ce que pourraient être objectivement les résultats d’un attentat dirigé contre une centrale nucléaire sans être immédiatement accusé de commettre un sacrilège ou d’être un nucléocrate au cœur de glace ? Nous allons tenter de le faire ici en restreignant notre propos au cas des centrales nucléaires à l’exclusion d’une discussion des attentats faisant usage de "bombes sales" ou même de bombes nucléaires véritables. Nous référons ici le lecteur au petit livre de R.Masse [1] .

La première menace terroriste à laquelle on pense après le 11 Septembre est celle d’un avion précipité sur une centrale (voir RGN 2001 n°1). Pour plusieurs raisons un attentat de ce genre aurait très peu de chance de conduire à un relâchement massif de radioactivité dans l’atmosphère :

1. Un réacteur nucléaire est une cible beaucoup plus difficile à atteindre que les tours du World Trade Center : beaucoup moins haute (en particulier parce qu’il ne suffit pas d’atteindre l’enceinte de confinement mais bien de chercher à ce qu’une partie de l’avion, ou un débris massif de l’enceinte, puisse heurter la cuve du réacteur, cible minuscule comparée à la taille d’un gros porteur. La tâche serait d’autant plus difficile que de nombreux réacteurs sont entourés de tours de refroidissement beaucoup plus élevées qu’eux et pour lesquelles un impact n’aurait aucune conséquences radiologiques.

2. Même au cas où un gros porteur viendrait à s’écraser sur l’enceinte de confinement il se heurterait à un obstacle en béton beaucoup plus dur que les structures de l’avion, à l’exception, peut être, des moteurs . En ce qui concerne ces derniers il faudrait encore, pour que leur impact soit efficace, qu’il soit perpendiculaire à la surface cylindrique qu’est l’enceinte de confinement.

3. Une expérience américaine dans laquelle un avion militaire percuta un mur de béton à près de 800 km/h a permis de modéliser le schéma de ruine de l’avion, élément clé dans la modélisation du comportement d’une enceinte heurtée de plein fouet (accessoirement, le mur n’a été entamé que de quelques centimètres, montrant ainsi le bon comportement du béton heurté par un objet beaucoup moins dur que lui).

4. L’incendie et l’explosion déclenchés par l’impact de l’avion resteraient très probablement circonscrits à l’extérieur du bâtiment réacteur.

Finalement, s’il est vrai que l’impact d’un avion gros porteur sur un réacteur nucléaire pourrait conduire à des destructions importantes et à des victimes parmi les membres du personnel, il est très peu probable qu’il conduise à une relâchement important de radioactivité. Par contre l’impact psychologique et médiatique d’un tel attentat serait, à coup sûr, considérable et pourrait donner lieu à des comportements de panique dont les conséquences pourraient être graves. C’est bien cet impact que rechercheraient les terroristes. Il importe donc, dès maintenant, de donner aux populations proches des centrales des informations sérieuses sur les risques encourus éventuellement, sans les minorer, mais sans les exagérer. La manière la plus efficace de répondre à la menace terroriste n’est-elle pas d’y faire face avec sang-froid ?

On ne peut toutefois pas exclure qu’une opération terroriste, une véritable opération de guerre dans ce cas, puisse aboutir à un relâchement important de radioactivité dans l’atmosphère et l’environnement. Par exemple un groupe de quelques dizaines de kamikazes décidés à mourir pourrait s’emparer d’une centrale, en dynamiter l’enceinte pour y créer une brèche et créer une fuite massive d’eau conduisant à une perte totale de réfrigérant et, donc, à la fusion du cœur du réacteur. Les produits volatiles comme l’Iode et le Césium seraient alors relâchés à l’air libre dans des conditions suffisamment proches de celles de Tchernobyl pour que l’on puisse profiter des enseignements tirés de cette catastrophe :

- En ce qui concerne l’Iode, le geste important est l’ingestion de pastilles d’Iode qui a pour effet d’empêcher l’ingestion d’Iode radioactif et, donc, de supprimer pratiquement l’irradiation de cet organe.

- En ce qui concerne le Césium, en dehors du passage du "nuage radioactif" susceptible de produire une irradiation externe dont on se protège le mieux en restant confiné chez soi ou sur son lieu de travail, les effets les plus notables sont à long terme et proviennent de la contamination des sols et des cultures. Les pouvoirs publics disposeraient alors de temps pour définir et prendre des contre mesures efficaces.

En définitive, à court terme, les gestes qui sauvent sont simples : l’absorption d’Iode stable et le confinement dans un endroit clos (domicile, école, bureau) sont les dispositions immédiates à conseiller à la population dès qu’une menace terroriste crédible sur un réacteur nucléaire se révèlerait. Il faut éviter toute mesure précipitée d’évacuation qui ne pourrait qu’exposer inutilement la population (comme ce fut le cas à Tchernobyl) et créer un climat de panique.

Après quelques jours la connaissance des retombées radioactives serait suffisante pour qu’une gestion de la catastrophe sur le long terme commence à être mise en place. Nous savons que la gestion post-crise de Tchernobyl a été calamiteuse (cf. rapport 2002 des Nations Unies). Des centaines de milliers de personnes ont été évacuées alors que les doses supplémentaires auxquelles elles risquaient d’être soumises étaient de l’ordre de l’irradiation naturelle. Il est clair que les traumatismes dus à l’évacuation furent bien supérieurs à ceux qui eussent résulté d’un maintien sur place. Il faudrait donc peser le pour et le contre de mesures d’évacuation au regard des conséquences socio-économiques qu’elles entraîneraient, quitte à adapter la réglementation en vigueur. Ne pourrait-on pas, au moins pour des doses modérées, inférieures, par exemple, à dix fois la valeur moyenne de l’irradiation naturelle, donner le choix aux habitants des zones contaminées entre une évacuation et le maintien sur place, après leur avoir bien expliqué la nature et l’ampleur du risque encouru ? Ces explications devraient être faites par des individualités en qui les gens ont confiance, médecins et pompiers, par exemple. Dans la plupart des cas, les activités industrielles et de service devraient pouvoir continuer sur place après décontamination des locaux si nécessaire. Rappelons que les 3 autres réacteurs de Tchernobyl ont continué à fonctionner sans que les opérateurs soient exposés à des doses inacceptables. Le problème le plus délicat serait celui de l’agriculture. En effet les normes autorisées pour l’activité des aliments sont extrêmement basses : elles résultent de l’application d’un principe de précaution exigeant que la consommation quotidienne d’aliments légèrement contaminés ne puisse pas conduire à une dose d’irradiation supérieure au tiers de l’irradiation naturelle. Une telle application du principe de précaution ne devrait-elle pas être revisitée en cas de catastrophe nucléaire pour tenir compte, par exemple, de la décroissance de l’activité avec le temps et, comme signalé ci-dessus, des coûts socio-économiques d’une observation trop stricte de la réglementation (en fait celle-ci devrait sans doute être modifiée dans le cas de catastrophes). Signalons qu’il faudra bien traiter la question de savoir comment indemniser les victimes éventuelles alors l’augmentation des taux de cancers resterait faible.

En dernière analyse les conséquences à long terme de la catastrophe seraient une augmentation faible ou modérée (quelques pour cent au maximum) de l’incidence de certains types de cancers dans la population. Pour les commanditaires des terroristes il faudrait attendre plusieurs années, si ce n’est des dizaines d’années, pour juger de l’efficacité de leur action, tout au moins si l’on exclut les effets de panique.

Les mesures à prendre devraient résulter d’une juste appréciation des effets des faibles doses de radiation, dont la presque totalité des experts considèrent qu’ils sont indécelables en dessous de 10 à 100 fois le niveau de l’irradiation naturelle moyenne en France. La principale arme des terroristes est la panique qu’ils pourraient provoquer. La meilleure parade contre des actions terroristes sur des installations nucléaires est de faire comprendre à la population que les risques associés à ces faibles doses sont vraiment minimes. Un effort considérable d’information et d’éducation est nécessaire et implique qu’on ose parler ouvertement et clairement de ces questions.

[1] R.Masse, « Que doit-on craindre d’un accident nucléaire ? », ed. Le Pommier, 2004

 


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