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Sauvons Le Climat Conseil Scientifique février 2014
Les effets sanitaires des faibles doses de radiation
Roland Masse et Hervé Nifenecker
Résumé
Dans le cas d’une catastrophe nucléaire, à l’exception des personnels intervenant directement sur le réacteur accidenté, les effets sanitaires sur le public sont dus à des doses d’irradiation inférieures à 1 Sievert et relèvent donc du domaine des faibles doses. Le principal effet de ces faibles doses est d’initier éventuellement des évolutions cancéreuses. Essentiellement à partir du suivi des victimes survivantes des explosions d’Hiroshima et Nagasaki, une relation linéaire entre la dose reçue et la probabilité de développement d’un cancer mortel a été établie par la CIPR. Cette relation ne présente pas de seuil au dessous duquel les effets deviendraient nuls, d’où la dénomination de relation linéaire sans seuil (RLSS). Cette relation n’a pas été établie pour des doses inférieures à 100 mSv (30 fois la dose moyenne d’irradiation naturelle) pour les adultes et 50 mSv pour les enfants. Des observations épidémiologiques et des expériences biologiques semblent indiquer que les effets sanitaires pour des doses inférieures à 100 ou 50 mSv sont beaucoup plus faibles qu’estimés par la RLSS . La CIPR elle même met en garde contre l’utilisation de la RLSS pour établir le nombre de victimes de accidents nucléaires.
Un juge de paix, la CIPR
C'est en 1928 que des radiologues fondèrent la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR) afin de définir les bonnes pratiques qui permettraient de diminuer le nombre et la gravité des maladies professionnelles qui atteignaient les radiologues. La CIPR est devenue la référence en ce qui concerne les normes de protection du public et des travailleurs contre les effets des radiations. Elle est composée d'une Commission Centrale et de cinq Comités : sur les effets des radiations, les doses reçues par irradiation, la protection en médecine, l'application des recommandations de la CIPR, et la protection de l'environnement. La Commission Centrale comporte 12 membres et un président qui sont cooptés avec un renouvellement obligatoire de 3 à 5 membres tous les 4 ans. Les comités comprennent de 15 à 20 membres. Les biologistes et les médecins sont en majorité, avec une bonne représentation de physiciens.
Par son indépendance la CIPR a acquis une autorité internationale. Sur le plan scientifique elle s'appuie sur les travaux du comité américain BEIR (Committee on the Biological Effects of Radiation), de l'UNSCEAR (United Nations Scientific Committee on the Effects of Atomic Radiation) et d'autres comités nationaux. Elle édite des recommandations qui sont reprises par de nombreuses institutions internationales et de nombreux États. Par exemple, les recommandations de la CIPR sont la base d'une directive de la Commission Européenne qui doit impérativement être reprise dans la législation des États membres.
La dernière recommandation de la CIPR est la recommandation 103 parue en 2007[1].
Unités de mesure de l'effet des rayonnements sur la santé
Un rayonnement pénétrant dans une cellule provoque un stress toxique qui peut avoir trois types d'effets : ou bien les mécanismes de détoxication et de signalisation permettent à la cellule de continuer à assurer ses fonctions, ou bien la cellule meurt à plus ou moins court terme, ou bien des mutations sont induites dans son ADN modifiant durablement son devenir. Si, du fait d'une irradiation intense, de nombreuses cellules meurent, des troubles graves peuvent se déclencher chez l'individu irradié, pouvant aller jusqu'à la mort dans les quelques mois suivant l'irradiation et induisant chez les survivants un risque accru de cancers. Pour des irradiations plus faibles les mutations induites dans l'ADN et les perturbations de la signalisation cellulaire induites peuvent ou non induire des cancers. Les effets tissulaires imputables à la mort de nombreuses cellules sont réputés déterministes : la gravité des effets dépend du nombre de cellules tuées et donc de la dose absorbée. La gravité d’un cancer ou d’une atteinte génétique ne dépend pas de la dose, c’est la probabilité de l’effet qui en dépend : ces effets ont un caractère probabiliste, on parle de risque stochastique. C'est de ce dernier domaine qu'il s'agit quand on parle de faibles doses, et c'est à ce domaine que nous allons nous intéresser car c'est le seul qui importe lorsqu'il s'agit des effets sanitaires de l'industrie nucléaire pour le grand public, même en cas d’accident grave comme à Fukushima ou Tchernobyl.
Les effets sanitaires des rayonnements dépendent en premier lieu de la quantité d'énergie reçue. On la mesure en joule par kilogramme de matière vivante, c'est le gray (Gy). Le gray correspond à une forte irradiation. Les débits de doses, c’est-à-dire les doses reçues par unité de temps, que nous recevons de la radioactivité naturelle sont plutôt de l'ordre de quelques milligrays par an. Les effets sanitaires dépendent aussi de la nature des rayonnements : par exemple, les rayons alpha peuvent se révéler 20 fois plus efficaces que les rayons gamma ou béta à faible dose. Ils dépendent aussi de la nature des organes irradiés. La « dose équivalente » supposée produire le même dommage sanitaire à faible dose quels que soient les tissus exposés et le type de rayonnements est mesurée en sievert (Sv) ». La façon la plus simple de comprendre ce que signifie le sievert est de se rapporter à des situations habituelles comme celles indiquées sur le Tableau 1. Le débit de dose moyen auquel les Français sont soumis par la nature est de 3 mSv/an et celui qu'ils reçoivent des radioéléments comme le potassium 40 et le carbone 14 qui sont présents naturellement dans leurs tissus est de 0,36 mSv/an.
La radioactivité moyenne varie fortement d'un endroit à une autre. Ainsi est-elle deux fois plus intense en certains points du Massif Central et de la Corse que dans la région parisienne[2]. Dans certaines régions du monde comme l'État du Kerala en Inde et la ville de Ramsar en Iran elle atteint des valeurs plusieurs dizaines de fois plus importantes qu'en France.
|
Dose en millisievert/an |
Total irradiation naturelle moyenne France |
3 |
Total irradiation naturelle moyenne Ramsar (Iran) |
132(max : 250) |
Total irradiation naturelle moyenne Kerala (Inde) |
De 15 à 75 |
Doses auto-générées par le K40 et le C14 (DARI) |
0,36 |
Radon |
2 |
Rayons cosmiques |
0.3 |
Exposition médicale moyenne en France en 2007 |
1,3 |
Séjour d’un an à 2000 mètres |
0.8 |
Irradiation du public due aux Centrales nucléaires |
0.0005 |
Irradiation moyenne en France due à Tchernobyl dans la première année suivant l’accident |
0.05 |
Limite de dose public CIPR |
1 |
Limite de dose travailleurs |
20 |
Tableau 1 :Exemples de doses reçues dans différentes situations
Relation entre les doses reçues et les effets sanitaires
Une grande partie de nos connaissances concernant la relation dose-effet de l'irradiation provient du suivi médical des survivants de Hiroshima et Nagasaki (HN). Parmi les 76 000 survivants de Hiroshima et Nagasaki, 5 936 sont morts de cancer entre 1950 et 1985, alors qu’en l’absence de l’irradiation due aux explosions le nombre de cancers attendu était d’environ 5 600. Le surcroît de cancers a donc été de l’ordre de 350. La dose moyenne reçue par ces survivants a été estimée à environ 0,1 Sv. En faisant l'hypothèse d'une relation linéaire entre la dose et le nombre de cancers mortels la CIPR arrive à la relation dite « Linéaire Sans Seuil (RLSS) » où la probabilité de développer un cancer mortel du fait de l'irradiation est égal à 0,05 fois la dose en sievert: P=0,05 D (Sv). Les données justifiant cette relation sont données sur la Figure 1.
En réalité la validité de la RLSS pour de faibles irradiations, inférieures à 100 mSv, est loin d'être prouvée. Il existe une controverse scientifique sur ce sujet que nous examinons avant de discuter de la signification des recommandations de la CIPR.
Figure 1 Relation entre la dose reçue et le risque relatif de développer un cancer telle qu’observée sur les survivants de l’explosion nucléaire d’Hiroshima
La controverse sur les faibles doses[3]
Le domaine qui est à l'origine de la relation RLSS de la CIPR correspond à des doses supérieures à 100 mSv pour les adultes et 50 mSv pour les enfants. Pour des doses plus faibles la CIPR retient le principe d'une extrapolation linéaire. Le domaine de l'irradiation naturelle est, sauf cas exceptionnel, situé entre 1 et 10 mSv, soit en appliquant la RLSS, des probabilités additionnelles de développer un cancer mortel comprises entre 0,005 et 0,0005. Comparées à la probabilité moyenne d'environ 0,3 de mourir d'un cancer ces chiffres paraissent négligeables. Alors pourquoi cette controverse : pour trois raisons:
1. Parce que les recommandations de la CIPR peuvent se traduire par des dépenses lourdes pour diminuer les doses reçues par les travailleurs ou par le public et qu'il n'est pas toujours évident que ces dépenses ne seraient pas plus utiles dans un autre domaine de la santé publique. Dans ses attendus du rapport 103 la CIPR se montre d'ailleurs parfaitement au courant de cette problématique économique.
2. Parce que la loi RLSS a été et est encore utilisée pour calculer un nombre de victimes des faibles irradiations malgré, comme on le verra plus loin, la mise en garde de l’UNSCEAR et de la CIPR. Or une probabilité, aussi faible soit-elle, multipliée par un très grand nombre donne un très grand nombre. Prenons l'exemple d’une radioactivité naturelle moyenne de 3 mSv/an. Pour la France et ses 65 millions d'habitants on arriverait à un peu moins de 10 000 décès annuels. Et pour le monde avec ses 7 milliards d’humains, à plus de 1 000 000. Si on étend le calcul sur une période de 100 ans on arrive à un million de décès pour la France et à 100 millions pour le monde. De tels chiffres font impression et semblent a priori justifier des mesures énergiques, comme de déménager les habitants des régions les plus irradiés (en France, Bretagne, Corse, Massif central, régions de montagne) vers celles qui le sont moins même si aucune alerte épidémiologique ne distingue ces régions par un excès de cancers. Ainsi pourrait-on envisager d’éviter le tiers des décès « théoriques » soit, pour 100 ans pour le monde, environ 30 millions de décès (autant qu'une guerre mondiale!). Mais à quel prix social et économique? D'un autre côté en 100 ans, pour le monde entier, le nombre de décès, toutes causes confondues, atteindrait environ 12 milliards! Peut-on justifier, sur la base d’une hypothèse de 2 à 3 décès prématurés sur 1000, qui comme on le verra ne s’appuie pas sur des études épidémiologiques, et n’a pas de de plausibilité biologique réelle , un bouleversement aussi important que l'évacuation de la moitié de la planète, dont les conséquences seraient autrement dramatiques?
3. Parce que l'étude des effets des faibles doses est un défi scientifique considérable qui mobilise les derniers progrès faits dans la compréhension de la cellule et des relations entre cellules.
Les arguments s'opposant à l'extrapolation de la RLSS aux faibles doses.
Voici quelques arguments qui ont été avancés pour mettre en doute la validité de la RLSS.
1. La RLSS n’est pas un fait mais une hypothèse. Sa légitimité repose sur une conception mécanistique du cancer attribuant aux mutations induites par les rayonnements un rôle déterminant comme si la probabilité de produire une mutation ne dépendait que de la dose accumulée et non de la manière dont elle est accumulée d’une part et d’autre part comme si le nombre de mutations induites était le paramètre limitant de la production du cancer dans un tissu. Ces deux prémices ne sont pas confirmées par l’expérimentation biologique.
2. La RLSS en tant qu’hypothèse scientifique pour la relation entre l’intensité de l’exposition et l’apparition des cancers dans un tissu est mise en défaut par de multiples exceptions tant en expérimentation animale qu’en épidémiologie. Par exemple les données sur les leucémies des victimes de HN ne sont clairement pas en accord avec la RLSS comme on peut le voir sur la Figure 2 . Cette figure représente le risque relatif[4] de leucémies pour les irradiés de HN. La ligne rouge correspond à la RLSS. Les valeurs observées pour des doses de l’ordre de 100 mSv, semblent indiquer des valeurs de risque relatif inférieures à un ; ceci pourrait être une effet d’hormesis par lequel une irradiation pourrait immuniser contre d’éventuelles évolution cancéreuses (un comportement analogue à celui provoqué par une vaccination). Certaines expositions internes comme celles dues au radium ou au thorium conduisent manifestement à des relations dose-effet limitées par un seuil. En tant qu’hypothèse scientifique la RLSS ne peut donc être considérée comme une hypothèse légitime : elle n’a d’autre intérêt que de simplifier la gestion du risque dans une perspective de prudence, son utilisation réglementaire n’en prouve pas la validité. On peut même penser à partir de la figure 2 que les faibles doses pourraient diminuer le risque de leucémies (voir plus loin la notion d’hormesis).
3. En tant qu’hypothèse pour la gestion du risque la RLSS doit reconnaître des limitations évidentes: l'étude de populations soumises à de fortes doses naturelles n’en confirme pas la pertinence. Le Tableau 2 obtenu grâce à une étude épidémiologique menée pendant 10 ans sur une population de plus de 170 000 habitants du Kerala, ne montre pas d'évolution de la mortalité par cancer en fonction de la dose annuelle reçue. Or si la RLSS s’appliquait, une partie très significative de cette mortalité serait due à la radioactivité naturelle et on observerait ( partie droite du tableau) une différence de plus de 10 décès par cancer entre les catégories les plus et les moins irradiées, différence que l’on n’observe pas.
Figure 2 Variation du risque relatif de leucémies (mortalité et incidence) des irradiés de HN en fonction de la dose reçue. La droite rouge correspond à la Loi Linéaire sans Seuil. Le fait que les mesures expérimentales donnent des valeurs de risque relatif inférieures à 1 pourrait être un effet d’hormesis.
Niveau de radiations mSv/an |
Mortalité par cancer pour 100000/an |
Part due à la radioactivité naturelle selon les Prévisions RLSS |
3,2-5,3 |
35,66+-3 |
16-26 |
1,9-3 |
37,42+-3 |
9,5-15 |
0,85-1,5 |
37,86+-3 |
4,25-7,5 |
Tableau 2 Mortalité annuelle par cancers ramenée à 100 000 habitants en fonction de la dose annuelle reçue. Les valeurs observées sont comparées aux prévisions de la RLSS.
Une autre étude sur des populations importantes a été faite en Chine dans la région de Yangjiang et ne trouve pas non plus d'augmentation de la mortalité par cancers dans les zones à forte radioactivité naturelle (environ 6,4 mSv/an). Des conclusions similaires ont été obtenues dans l'étude menée sur la population de Ramsar, en Iran, où les doses auxquelles est exposée la population atteignent 250 mSv/an. Cependant, le nombre de personnes concernées est ici beaucoup plus faible que dans les cas pécédents.
La dose moyenne délivrée à une population est un indicateur de risque inapproprié. Une des études les plus complètes de la corrélation géographique entre taux de radon[5] et cancers du poumon a été menée par B.Cohen[6] sur 270 000 maisons américaines et leurs habitants. C'est la plus grande étude épidémiologique sur l'effet de l'irradiation par le radon qui ait été faite à ce jour. Un exemple de résultat est présenté sur la Figure 3. Il est en contradiction évidente avec la loi RLSS[7], comme l’est ce type de corrélation pour les régions françaises Par contre, dans les mêmes régions françaises lorsque la dose est directement mesurée dans chaque appartement et que la consommation tabagique est correctement et individuellement prise en compte la linéarité entre exposition et taux de cancer du poumon devient défendable dans le cadre d’études cas-témoins(UNSCEAR 2000) au moins pour les concentrations de radon supérieures à 150 Bq/m3 (Darby et al, BMJ. 2005 Jan 29;330(7485):223)
Figure 3 Rapport entre les valeurs de la mortalité par cancer du poumon observées et celles calculées par la RLSS, en fonction du taux moyen de radon domestique obtenu par B.Cohen. La droite en pointillé est proportionnelle aux valeurs calculées La contradiction entre les données expérimentales et la RLSS est flagrante. Il faut toutefois noter que la mesure de concentration en Radon n’est pas directement liée à l’exposition réelle. Un pico-Curie/l vaut 0,03 Bq/l soit 30 Bq/m3
L'hostilité générale au travail de B.Cohen ne laisse pas d'être surprenante. La validité de la RLSS serait-elle un dogme?
4. Les études des processus de réparation et de mort cellulaire qui ont été menées ces dernières années[8] montrent que, contrairement à l'hypothèse qui validait la RLSS, leur efficacité dépend de la dose de radiations reçue. En effet, l'hypothèse qui a justifié la RLSS était que toute atteinte à l'ADN d'une cellule pouvait, avec une probabilité constante, provoquer un cancer. La probabilité qu'une cellule spécifique soit atteinte étant faible, les probabilités devraient s'ajouter et la loi linéaire sans seuil être valable. Si, comme observé, les processus de réparation et de mort cellulaire, qui modulent la probabilité qu'une cellule dont l'ADN a été détérioré soit à l'origine d'un cancer, ont des efficacités dépendant de la dose reçue, la RLSS n'a plus de raison d'être valable. Ceci est d'autant plus vrai qu'on a observé que l'environnement cellulaire joue aussi un rôle dans le contrôle du développement des tumeurs La signalisation cellulaire peut aboutir à amplifier l’action létale ou mutagène du rayonnement (effet bystander) ou à mobiliser les défenses aboutissant à l’élimination des cellules altérées (quelle que soit l’origine de l’altération, rayonnements ou autre) présentant un risque de développer un cancer. En matière de cancers, l’effet bystander n’a été observé que pour des doses de l’ordre du Sv alors que les effets de protection apparaissent pour des doses de quelques mSv, ce qui laisse supposer que de faibles doses pourraient avoir un effet sanitaire bénéfique par stimulation ou ‘’hormesis’’. Par ailleurs le développement des performances des diagnostics de cancer et les politiques de prévention ont montré que de très nombreux cancers de petites tailles ne se développent pas. Des biopsies effectuées sur des victimes d'accident montrent que 30% des hommes âgés de 30 ans présentent un cancer de la prostate qui ne se développera sans doute pas; des cancers de la thyroïde sont observés dans près de 70% des cas qui, eux non plus, ne se développeront que rarement. La genèse des cancers cliniques est donc beaucoup plus complexe que ne le supposait l'hypothèse justificatrice de la RLSS.
L'interprétation des recommandations de la CIPR
Le CIPR a comme priorité de proposer aux autorités politiques un guide pour édicter des règles concernant les limites de dose acceptables pour le public et pour les travailleurs. Même si la validité de la RLSS est mise en doute pour les faibles doses, il n'existe actuellement pas d'alternative claire. La CIPR ne pouvait guère que confirmer la validité normative de la RLSS. C'est ce qu'elle dit clairement page 38 de son rapport 103:
À des doses de rayonnement inférieures à environ 100 mSv par an, l’augmentation de l’incidence des effets stochastiques est censée se produire, selon la Commission, avec une faible probabilité et proportionnellement à l’augmentation des doses de rayonnement au-dessus de la dose due au fond naturel. L’utilisation de ce modèle, ainsi nommé linéaire sans seuil (RLSS), est considérée par la Commission comme étant la meilleure approche pratique pour gérer le risque dû à l’exposition aux rayonnements et en accord avec le « principe de précaution » (UNESCO, 2005). La Commission considère que le modèle RLSS reste une base prudente pour la protection radiologique aux faibles doses et aux faibles débits de dose (CIPR, 2005d)
Remarquons que la CIPR met la radioactivité naturelle entre parenthèses, ce qui montre bien que son objectif est d'ordre réglementaire.
De même la notion de dose collective garde son utilité dans le même contexte comme on le trouve p.78 du rapport :
La dose efficace collective S repose sur l’hypothèse d’une relation dose-effet linéaire sans seuil (modèle RLSS) pour les effets stochastiques. Sur cette base, il est possible de considérer les doses efficaces comme étant additives.
Par contre la CIPR est bien consciente des limites de la RLSS et considère que cette loi n'est pas valable lorsqu'il s'agit de calculer le nombre de décès dus à l'exposition à des doses faibles de radiations. Ceci est clairement exposé page 48 :
Cependant, bien que le modèle RLSS reste un élément scientifiquement plausible pour son système pratique de protection radiologique, la Commission souligne le fait que des informations biologiques/épidémiologiques qui permettraient de vérifier sans ambiguïté les hypothèses sous-jacentes au modèle RLSS font défaut (voir UNSCEAR, 2000 ; NCRP, 2001). En raison de cette incertitude quant aux effets sur la santé des faibles doses, la Commission estime qu’il est inapproprié, pour les besoins de la santé publique, de calculer le nombre hypothétique de cas de cancers ou de maladies héréditaires qui pourraient être associés à de très faibles doses de rayonnement reçues par un grand nombre de personnes sur de très longues périodes.
Pour les mêmes raisons la CIPR considère que la notion de dose collective ne peut être utilisée dans le contexte des études épidémiologistes :
La dose efficace collective est un instrument d’optimisation permettant de comparer des technologies radiologiques et des procédures de protection. La dose efficace collective n’est pas destinée à être un outil pour les études épidémiologiques, et il ne convient pas de l’utiliser dans les projections de risque. Cela provient du fait que les hypothèses implicites dans le calcul de la dose efficace collective (par exemple, lors de l’application du modèle RLSS) impliquent de grandes incertitudes d’ordres biologique et statistique. En particulier, le calcul des cancers mortels reposant sur les doses efficaces collectives résultant d’expositions insignifiantes reçues par des individus en grand nombre n’est pas raisonnable et doit être évité. De tels calculs reposant sur la dose efficace collective n’avaient jamais été envisagés par la Commission, sont très incertains aux plans biologique et statistique, présupposent un certain nombre d’avertissements qui ont tendance à ne pas être rappelés lorsque les estimations sont citées hors de leur contexte, et ne constituent pas une utilisation correcte de cette grandeur de protection
Par cette prise de position la CIPR condamne clairement les pratiques d'ONG comme Greenpeace et la CRIIRAD qui ont systématiquement utilisé la RLSS pour « calculer » le nombre de décès, par exemple dans le cas de la catastrophe de Tchernobyl.
La CIPR est clairement assise entre deux chaises dans son souci de proposer des normes et de tenir compte des récents résultats scientifiques. Pour sortir de cette contradiction il pourrait être intéressant de se baser sur la valeur de la radioactivité naturelle. On pourrait considérer qu'une irradiation supplémentaire représentant une fraction de la dose moyenne due à la radioactivité naturelle n'aurait pas de conséquence sanitaire. Dans la pratique la dose efficace limite de 1 mSv/an recommandée par la CIPR pour le public[9] pourrait être justifiée comme étant le tiers de la dose due à la radioactivité naturelle. Les études épidémiologiques comme celles que nous avons citées plus haut pourraient conduire à l'idée simple que pour des irradiations supplémentaires inférieures à 50 mSv/an, par exemple, on pourrait considérer qu'il n'y a pas de conséquences sanitaires.
[1]Voir sur le site de l'IRSN :
http://net-science.irsn.org/net-science/liblocal/docs/docs_DIR/CIPR_103.pdf
2Par exemple la concentration de Radon dans l’air ne dépasse pas 50 Bq/m3 dans la région parisienne mais dépasse 150 Bq/m3 en Corse du sud et dans plusieurs départements du Massif Central.
[3]Un excellent exposé des éléments de cette controverse peut être trouvé sur Wikipedia:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Faibles_doses_d%27irradiation . Les objections à la Loi Linéaire Sans Seuil sont exposées dans le rapport joint aux Académies de Médecine et des Sciences: http://www.academie-sciences.fr/publications/rapports/pdf/dose_effet_07_04_05.pdf
[4] Le risque relatif est le rapport du nombre de leucémies dans le groupe irradié au nombre de leucémies dans un groupe de même taille non irradié.
[5] Le radon est un gaz rare émis lors de la désintégration radioactive de l'uranium et du thorium. En tant que gaz rare il ne séjourne pas dans les poumons mais est un émetteur alpha puissant. Si une désintégration se produit au passage dans les poumons les produits de désintégration et leurs descendants sont piégés et de nouvelles irradiations alpha et béta s'ensuivent
[6] Cohen BL. Test of the linear no-threshold theory of radiation carcinogenesis in the low dose, low dose rate region . Health Phys 68:157-174 (1995)
[7]Il pourrait être un exemple d’hormesis
[8]Voir par exemple R.Masse, « Les effets sanitaires des radiations », in « L'énergie de demain » p.465, EDP Sciences 2005
[9]Pour les professionnels la limite de dose est de 20mSv/an moyennée sur des périodes définies de 5 ans (100 mSv en 5 ans)