Point de vue d'Henri Prévot : le délitement annoncé du service public de l’électricité

Henri Prévot

Comment le pouvoir se fait l’agent commercial des fabricants de batteries et de groupes électrogènes
ou : le délitement annoncé du service public de l’électricité

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Henri Prévot  site internet : www.hprevot.fr

À quelques jours d’écart, le deuxième réacteur nucléaire de Fessenheim est arrêté et le président de RTE (Réseau de transport d’électricité), dont on peut ici louer la sincérité, annonce un risque de manque d’électricité cet hiver. Certes, il n’a pas annoncé de black-out ni de grave incident. Il n’empêche :

« Merci Monsieur Brottes ! », ne manquent pas de se dire en se frottant les mains producteurs et vendeurs de batteries domestiques et de groupes électrogènes. C’en est comique. Mais c’est en réalité beaucoup plus sérieux car cela va dans le sens d’un mouvement profond qui mine notre société.

L’électricité est un bien essentiel. Jusqu’à aujourd’hui, le service de l’électricité a remarquablement répondu au besoin de sécurité car, par précaution, une marge de puissance était ménagée pour répondre aux inévitables incidents, une marge rognée par l’arrêt des groupes de production au charbon.

Aujourd’hui on nous explique que ce risque de défaillance serait dû à la crise sanitaire qui retarde les travaux de maintenance. Mais pourquoi réduire encore la marge de puissance en arrêtant des réacteurs nucléaires ? La réponse, non pas de RTE mais du pouvoir politique, réitérée, est que c’est pour « équilibrer » les sources d’électricité pour le cas où plusieurs réacteurs nucléaires devraient s’arrêter ensemble pour une cause « systémique ». La bonne blague ! Pour plus de sécurité, s’appuyer sur le vent et le soleil ; prions donc Éole ne pas nous oublier cet hiver ! Réduire les marges, se fier au vent et au soleil, c’est refuser d’être responsable de la sécurité d’approvisionnement en électricité.

Fort bien ! Cela obligera les consommateurs à prendre en charge leur propre sécurité, à se responsabiliser, à se comporter comme des adultes, à ne pas tout attendre de l’État. On connaît le discours ! Il a du bon, naturellement. Mais là où il s’applique aux domaines qui touchent à la sécurité, nous en voyons les effets dans d’autres pays : développement de milices privées, réduction du socle d’assurances sociales… La responsabilisation individuelle se mue en « chacun pour soi ».

Revenant à l’électricité, la déclaration du président de RTE pour l’hiver prochain pourrait bien être, volens nolens, une alerte prémonitoire portant sur les décennies à venir. Ici et là, on phosphore sur une prospective de l’électricité à l’horizon 2050 avec une forte diminution de la capacité nucléaire et une montée en puissance des éoliennes et du photovoltaïque donc un risque croissant de manque de puissance. Dans tous les scénarios, il se pourrait que par moments il manque plus de 20 gigawatts, c’est- à-dire la puissance appelée par 7 millions de ménages, 20 millions de personnes.

Ce n’est pas grave : lorsque nous manquerons d’électricité, il suffira, nous dit-on, de demander aux pays voisins de bien vouloir nous en céder alors que, si le vent est faible chez nous, il sera assez faible également chez nos voisins. L’approvisionnement en électricité, une condition de la sécurité publique, relève de la responsabilité de chaque État comme l’a confirmé le traité sur l’Union européenne de Lisbonne. Il ne suffit donc pas de se fier à une coopération entre gestionnaires de réseaux, même si celle- ci est bonne.

Naguère, au cours d’une réunion largement ouverte, nous avons entendu le député Brottes déclarer avec autorité que la décision de conserver ou d’arrêter des réacteurs nucléaires en état de fonctionnement ne relève pas de l’entreprise, ni d’économistes ni d’ingénieurs mais est une décision politique.

Il a raison. En décidant l’arrêt de Fessenheim puis de douze autres réacteurs en état de fonctionnement sans émettre de CO2, le pouvoir politique décide, peut-être sans vraiment s’en rendre compte, de privatiser la sécurité d’approvisionnement en électricité. Cela ne gênera pas ceux qui pourront acheter batteries, groupes électrogènes alimentés au biofioul (pour rester « verts ») et onduleurs pour avoir une électricité de bonne qualité. Tant pis pour ceux qui n’en auront pas les moyens.

Et tant pis pour un beau service public de l’électricité menacé. Une décision politique en effet. Mais, nous dit-on, c’est aujourd’hui le moment de se réinventer.

POINT DE VUE