L'UFC-Que choisir est-elle manipulée par le lobby du Gaz ?

Frédéric Livet

Frédéric Livet

 

 
Dans ce bref article, nous entendons réagir à la campagne de désinformation menée contre le chauffage électrique, dont la dernière mouture a pris l'aspect d'une prétendue « étude » à charge menée par un cabinet prétendument « indépendant » et cautionnée par l'association « UFC-Que Choisir ». Nous pensons que ces campagnes qui accompagnent la récente norme « RT2012 » sont dirigées contre l'utilisation de notre électricité en grande partie « décarbonée », qu'elles favorisent la consommation du gaz et qu'elles sont cause du très lourd recul des solutions électriques novatrices que sont les « pompes à chaleur ». Nous insistons donc pour que les normes soient améliorées pour mieux limiter nos futures émissions de CO2.

Le 27 Novembre 2012, l'organisation « UFC- Que choisir » a publié un communiqué[1] et  une longue étude[2] entourée d'un battage médiatique soigneusement organisé, où est violemment attaqué le chauffage électrique. Cette étude est placée sous le signe du débat sur la transition énergétique initiée par le gouvernement, et elle met en particulier en avant les surcoûts induits par le chauffage électrique. Etant particulièrement inquiète de l'avenir climatique de notre planète, mais aussi de l'intérêt des consommateurs qui subissent une très lourde augmentation de leur facture énergie dans une période de grave stagnation économique, l'association « Sauvons le Climat » entend par ce communiqué faire une mise au point sur ce dossier.

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Fig. 1-Consommation énergétique des logements (en kWh/m² par an d’énergie finale) en fonction de la méthode de chauffage et de la date de mise en service. Source: Giraud, MEEDDAT

 

Le chauffage électrique (par convecteurs, appelé de manière méprisante « grille pains » dans l'opus de « Que Choisir ») s'est développé en France pour deux raisons : une électricité peu chère et un coût d'installation réduit par rapport aux chaudières à combustibles fossiles et circulation d'eau. Ce développement, accompagné d'une isolation améliorée, a duré une vingtaine d'années. Il avait pris l'aspect du mot d'ordre « chauffage électrique avec isolation ». Cette méthode de chauffage s'est avérée très économe en énergie, en partie grâce à l'amélioration de l'isolation, en partie parce que sa souplesse de gestion était favorable à une utilisation mieux ciblée. Ce dernier point était très intéressant pour des familles absentes la journée, car on pouvait arrêter les dispositifs et les redémarrer rapidement à cause de leur faible inertie thermique. La figure 1 montre surtout que la consommation pour le chauffage (uniquement), observée dans les bâtiments en France est toujours substantiellement plus basse pour l'électricité que pour le gaz. On y atteint presque 50 kWh/m2 en énergie finaledans le cas des appartements bien isolés.  Comme ordre de grandeur, on peut observer que les diminutions de consommations rendent les deux moyens de chauffage à peu près équivalents quant à leurs coûts annuels.

Evidemment, le prix de l'énergie électrique étant toujours supérieur aux autres formes d'énergie (gaz, pétrole), et pour la même consommation, les utilisateurs avaient une facture plus importante qu'avec une autre source d'énergie. C'était en particulier vrai pour des familles populaires habitant en HLM et séjournant toute la journée dans leur appartement. Comme l'UFC-Que Choisir » n'était pas chargée de remercier les Offices HLM qui ainsi réduisaient les coûts de construction de leurs immeubles en évitant de coûteuses installations de chauffage central et en préférant mettre l'accent sur l'isolation, cette organisation s'est très vite montrée très critique à l'égard du chauffage électrique. On trouve dans l'opus de l'UFC cité  (p. 4) une comparaison des prix du MWh de chaque source de chauffage, dont il ressort que le gaz coûte autour de 70 €/MWh et l'électricité 130 €/MWh (à ce jour, précisément 128,7 €/MWh en base, sans option HP/HC). On aurait pu imaginer que l'UFC intègre à ce facteur prix les gains qu'autorisaient les économies d'énergie induites par l'électricité.

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Au fil des années, diverses normes exigeant une amélioration des isolations ont été instaurées et elles ont en général pris en compte les avantages du chauffage électrique. Un exemple en est fourni pas la norme adoptée en 2005, que l'on schématise sur le tableau ci-dessus. On remarque que l'énergie est comptée en énergie primaire. Cela veut dire qu'il faut diviser par 2.5 la quantité d'énergie finale utilisée par un local chauffé à l'électricité par rapport à une utilisation du gaz. En moyenne, donc, 190 kWh/m2 se traduisent par une consommation finale de 76 kWh/m2 électrique (ici cela correspond à l'ensemble des besoins en chauffage, eau chaude sanitaire (ECS)). Par comparaison, on va considérer comme équivalent d'utiliser 110 kWh/m2 de gaz. Un calcul simple montre là aussi que les coûts s'équilibrent. Probablement parce que l'investissement électrique à la construction est plus faible, le résultat des compromis économiques de la société française fut qu'en 2007 près de 70 % des logements neufs utilisaient le chauffage électrique.

Outre les raisons économiques ci-dessus expliquées, une telle évolution est tout à fait favorable du point de vue de l'avenir climatique, notre électricité étant produite avec très peu d'émissions de C02 (de l'ordre de 50 kg/MWh en moyenne pour l'électricité produite en France sur le territoire national par le travail de nos compatriotes, alors que le gaz émet autour de 250 kg/MWh).  Du point de vue du climat, on peut s'inquiéter par contre de l'augmentation continue de notre consommation de gaz (figure 2), malgré l'augmentation des prix du pétrole qui induit un transfert du fuel vers le gaz dans le parc existant. Ce transfert induit peu de diminution des émissions de CO2 (de l'ordre de 30 % en passant du fuel au gaz) et augmente le poste des importations de gaz qui s'élève maintenant (2012) à 12 mds€.  En 2009, près de la moitié de la consommation en énergie finale pour le chauffage/ECS du résidentiel exclusivement (400 TWh au total) utilisait le gaz (170 TWh), l'électricité étant autour de 60 TWh et le fuel vers 70 TWh[3].

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Fig. 2-En 15 ans, la consommation de gaz s'accroit de 50%

Du point de vue du réchauffement climatique, la substitution de l'électricité aux fossiles émetteurs de CO2 dans le domaine des transports (véhicule électrique) et dans les utilisations domestiques  semble dans notre pays une excellente chose, bien qu'on puisse souhaiter que l'on fasse (enfin) un gros effort, comme cela est le cas en Suisse ou en Suède pour développer l'utilisation des pompes à chaleur (PAC): par cette technologie, on obtient le même chauffage avec 3 à 4 fois moins d'électricité. Cela participe probablement du progrès général des sociétés humaines qui s'appuient depuis 50 ans de plus en plus sur l'électricité pour leurs besoins énergétiques, culturels (ordinateurs, tablettes, vidéo..), de transports (trains, trams, voitures électriques en développement…) ...

Ce n'est malheureusement pas la voie suivie par la nouvelle « RT2012 » qui fixe des normes pour l'habitat « basse consommation » à partir d'une interprétation tendancieuse de la loi « Grenelle ». Dans cette norme, l'électricité est comptée comme énergie primaire, et si on exige que la consommation des logements soit réduite à 50 kWh/m2, cela correspond alors à 20 kWh/m2 au niveau du logement avec une utilisation de l'électricité. Une telle norme a eu comme résultat que plus de 60 % des projets immobiliers récents sont revenus au gaz : on est passé au mot d'ordre « chauffage au gaz avec isolation » sans évidemment tenir compte des émissions de CO2 induites, ni du coût de nos importations en gaz naturel.

L'argument usuellement avancé est que le chauffage électrique est responsable de nos pics de consommation hivernale, et les opposants à l'utilisation de l'électricité attribuent au chauffage électrique  la quasi-totalité de nos quelque 9 % de production électrique à partir de fossiles.  On trouve par exemple la figure 3 [4] où  la  bande noire qui représente l'essentiel de l'utilisation des fossiles s'épaissit significativement dans la période hivernale. Que l'essentiel de cette modulation (qui existe, mais de manière moindre, dans tous les pays d'Europe du Nord) soit couverte par l'énergie nucléaire est probablement la première raison de l'hostilité du lobby vert au chauffage électrique. Comme exemple du caractère relatif de cette assertion, on donne sur la figure 4 le rapport en 2007 entre les productions électriques gaz+charbon d’une part, nucléaire d’autre part, et on voit que l'utilisation des fossiles n'est pas limitée à l'hiver. Il faut en la matière refuser ce type d'analyse trop simpliste, influencé par des a-priori militants.

 

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Fig. 3-Les composantes du mix énergétique en 2008-2009

 

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Fig. 4-Pourcentage d'électricité gaz+charbon en 2007

Que cette situation soit gérable et qu'on puisse l'améliorer en faisant un effort d'isolation et en développant les PAC ne semble pas satisfaire les détracteurs de l'utilisation de l'électricité, encore leur fallait-il imposer de nouvelles normes interdisant de fait ces « grille-pain » honnis. En effet, si une simple réduction de la consommation énergétique finale était imposée, un appartement de 100 m2 (donc limité à 5 MWh annuels) chauffé au gaz coûterait annuellement, aux tarifs actuels, 350 € pour le gaz et 650 € pour l'électricité. Une différence trop faible pour justifier l'installation d'une chaudière, d'un réseau de canalisations et de radiateurs à eau, surcoût de l'ordre de 10 000 € dans la construction, par rapport à de vulgaires « grille pains ». Ce surcoût serait bien difficile à justifier par une économie annuelle de 300 € !

Il nous paraît donc utile de souligner l'absurdité de cette norme RT2012, produit du fanatisme antinucléaire qui étend son opprobre à l'électricité, dont seule la sagesse gouvernementale pourrait minimiser l’impact. On doit ajouter que toutes les mesures administratives ne peuvent réduire la très importante part du chauffage d'appoint qui consiste à allumer un radiateur électrique dès que l'on ressent une impression de froid sur son lieu de travail ou en rentrant à son domicile. Celui-ci va continuer à prospérer comme cause principale des pics de consommation quotidienne, quel que soit le chauffage principal. Cela risque d’ailleurs de s'aggraver si les dimensionnements des installations de chauffage sont choisis bas pour répondre aux normes draconiennes de consommation et au diktat du DPE (Diagnostic de Performance Energétique) comme critère de valorisation d’un bien. Les effets pervers de cette hostilité à l'électricité et le  retour au chauffage au gaz sont particulièrement évidents quand on constate que la perspective de cette nouvelle réglementation s'accompagne d'un recul très important du nombre d'installations de PAC[5], (voir figure 5) avec report de nombreux investissements sur le « gaz avec isolation » prôné par cette norme RT2012.


 

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Figure 5

Notre petit calcul peut être mis en défaut si le prix de l'électricité augmente démesurément, et c'est le point principal soulevé par UFC-Que choisir pour condamner l'utilisation de l'électricité au nom de la défense des consommateurs.  Que se passera-t-il si nos concitoyens qui ont fait confiance dans le développement de l'électricité étaient confrontés à des prix comparables par exemple à l'Allemagne (le MWh y est à 240 € contre moins de 130 € en France) ? Pour l'instant, la nouvelle année a vu le coût des deux sources d'énergie augmenter de la même façon (2.4 et 2.5%).

On pourrait attendre d’« UFC-Que choisir » qu’elle se mette dans la position de défense des consommateurs et qu'elle refuse les opérations de grande envergure menées en ce moment pour augmenter le prix de l'électricité, que nous énumèrerons juste ici: dérégulation, subventions abusives de renouvelables, mise en place d'infrastructures géantes pour transporter sur de longues distances l'électricité intermittente (parées du nom « smart grid »), fermeture prématurée de centrales nucléaires, développement des stockages de gaz, ...

Or, ce n'est pas la voie que semble avoir choisi l'UFC: au lieu de défendre les consommateurs, elle a commandé une étude à charge contre l'utilisation de l'électricité, faisant de la propagande pour les auteurs de ce qu'on appellera un hold-up. Pour cela, ils ont fait appel à un « expert indépendant »,  qui s'est chargé, avec un cabinet faisant justement la promotion des « smart grids », de rédiger une étude à charge contre le chauffage électrique!

Souhaitons qu'à l'avenir, l'UFC-Que choisir choisisse de nouveau de défendre les consommateurs, et non de leur faire payer les fantaisies des vendeurs d'apocalypse ! Si l'UFC se sent concernée par les problèmes écologiques, qu'il se joigne à nous pour refuser que la « transition énergétique » aboutisse à substituer le gaz à notre électricité décarbonée, et qu'il ne fasse pas le lit des importateurs de gaz ! Si l'UFC-Que choisir est vraiment attentive aux intérêts des consommateurs et à l'avenir du climat, on pourrait espérer qu'elle n'épouse pas les dogmes sectaires des antinucléaires et qu'elle œuvre avec nous pour obtenir la révision de la norme RT2012 . Cela permettrait à la fois de limiter les hausses du prix des constructions dans le logement social et les émissions de CO2.

 


[1]     http://www.quechoisir.org/environnement-energie/energie/electricite-gaz/communique-couts-caches-du-chauffage-electrique-les-grille-pains-occasionnent-des-tartines-de-surcouts-pour-l-ensemble-des-consommateurs

[2]     http://www.quechoisir.org/environnement-energie/energie/electricite-gaz/etude-couts-caches-du-chauffage-electrique-face-a-la-mise-sous-tension-de-la-facture-d-electricite-du-consommateur-une-veritable-transition-s-impose

[4]     http://www.negawatt.org/dossier-pointe-electrique-p42.html

 

 

  • Assemblée Générale Ordinaire des Adhérents de Sauvons Le Climat
ETUDES SCIENTIFIQUES