PPE : comment mettre en place une trajectoire pertinente quand les objectifs sont irréalistes ?

SAUVONS LE CLIMAT

PPE : comment mettre en place une trajectoire pertinente quand les objectifs sont irréalistes ?

 

« Sauvons le Climat » considère que le Projet de Programmation Pluriannuelle de l’Énergie (PPE) présente d'importantes lacunes et de fortes approximations. La plupart d'entre elles sont liées à un aveuglement bien peu responsable vis à vis des objectifs long terme portés par la Loi Transition Énergétique pour une Croissance Verte (LTECV). Si l'évolution en cours de cette loi vise à revenir en partie sur un objectif irrationnel de décroissance rapide de la capacité nucléaire installée, elle conserve certains objectifs irréalistes, contre productifs voire dangereux.

 

 

 

L’objectif de baisse de la consommation d’énergie n’est pas réaliste et constitue même un déni de la réalité. C’est pourtant l’hypothèse sur laquelle se fonde la programmation des investissements. Telles qu’affichées dans sa Synthèse – sorte d’exposé des motifs de la PPE - les perspectives offertes par la PPE en matière de croissance économique, d’évolution du revenu brut des ménages et d’emploi ne sont pas justifiées. De même, les bénéfices pour la collectivité du déploiement des productions intermittentes électriques tel que proposé dans le projet de PPE, sont contestés par de nombreuses analyses.

Le passage de 75 % à 50 % de la part du nucléaire dans le mix électrique ne répond à aucun enjeu énergétique, écologique ou économique. Il est coûteux et dégrade le bilan en matière d'émission de GES. De plus, son bien-fondé n’a jamais été expliqué aux français, ni aujourd’hui, ni à l’occasion des débats qui ont précédé le vote de la loi LTECV de 2015.

S’agissant des déchets nucléaires, le projet CIGEO répond parfaitement au besoin de stockage des déchets à haute activité et vie longue de la génération actuelle de réacteurs, en phase avec les recommandations internationales en la matière. Les recherches, incluant celles sur la transmutation, doivent être poursuivies pour préparer de nouvelles technologies de réacteurs à base de neutrons rapides. 

Les orientations sur le transport sont incomplètes et ne s'intègrent pas dans une vision d'ensemble. L'approche industrielle pourtant primordiale, est absente.

Dans le bâtiment, les perspectives passent à côté de l'essentiel, à savoir s’inscrire dans un objectif réellement ambitieux de réduction des émissions de Gaz à Effet de Serre qui mette l'accent sur le recours aux énergies décarbonées qui devraient être absolument privilégiées.

 

 La Programmation Pluriannuelle de l’Énergie 2019-2023 a vocation à être l'outil de pilotage de la politique énergétique de notre pays en intégrant ses dimensions techniques et économiques mais aussi en étant capable de s'adapter à un contexte qui est marqué en profondeur, selon « Sauvons le Climat », par 3 faits majeurs :

  • la forte attente affichée par les Français lors des manifestations répétées pour la préservation du climat , indice remarquable d'une prise de conscience croissante, collective et individuelle, des enjeux du climat : la PPE se doit de fixer des orientations techniques crédibles et efficaces vers une baisse rapide des émissions de gaz à effet de serre.
  • les tensions révélées par la crise des gilets jaunes traduisent des attentes majeures en matière de pouvoir d’achat : la PPE se doit de rechercher l'efficacité économique des mesures qu'elle prévoit (coût direct, impact sur l’indépendance et la sécurité de notre pays) tout en préservant la justice et la solidarité sociales.
  • le bilan réalisé par le gouvernement sur l'action en faveur du climat de l’État français précise que « les émissions françaises ont augmenté en 2017 » et que le premier budget carbone que l'État s'était fixé sera dépassé de 4 % environ » : la PPE doit clairement infléchir les politiques qui ont été engagées en priorisant celles dont l'efficacité est démontrée et en révisant les orientations qui n'apportent aucun résultat probant ou même vont à l’encontre des buts recherchés.

« Sauvons le Climat » (SLC) a été très actif durant le débat préparatoire à la PPE, notamment par son cahier d'acteur. SLC considère que le projet de PPE qui a été diffusé, s’il marque quelques orientations positives, présente malheureusement d'importantes lacunes, de fortes approximations, et s'appuie trop souvent sur des hypothèses irréalistes. Pour « Sauvons le Climat », les points les plus marquants sont les suivants :

L’objectif de baisse de la consommation d’énergie n’est pas réaliste et constitue même un déni de la réalité. C’est pourtant l’hypothèse sur laquelle se fonde la programmation des investissements.

Le projet de PPE annonce l’objectif d'une baisse de 14 % de la consommation globale d’énergie en 2028 par rapport à 2012 tout en imposant une stagnation de la consommation d’électricité sur la même période. Or, le transfert de la consommation d’énergie carbonée vers de l’énergie décarbonée, qui est l'enjeu essentiel de la PPE, fera nécessairement appel à davantage d'électricité. L'impact sera significatif dans le bâtiment et dans le transport avec la montée inéluctable de la mobilité électrique.

Ce transfert vers une électricité décarbonée est actuellement indûment pénalisé par une réglementation technique du bâtiment - la RT 2012 - au profit d’une énergie carbonée, le gaz.

Telles qu’affichées dans la Synthèse de la PPE, les perspectives offertes en matière de croissance économique, d’évolution du revenu brut des ménages et d’emploi ne sont pas justifiées.

Dans la Synthèse, les seuls bénéfices que le pays tirera de la Transition Énergétique sont : hausse du PIB de 1,9 point d’ici à 2028 ; hausse du pouvoir d’achat des ménages de 2,7 points d’ici à 2028. Aucune information n'est apportée sur la façon dont ces évaluations sont élaborées. Elles s’inspirent très vraisemblablement de l’ADEME (100 % renouvelables en 2050 ; une trajectoire du mix électrique 2020-2060), qui propose un abandon du nucléaire à échéance 2060 sans qu'on comprenne bien pourquoi une telle mesure doit conduire à l'amélioration des indicateurs économiques de notre pays.

Quant à l’emploi[1], les parties nobles des éoliennes terrestres (nacelles, rotors …) n'étant pas fabriquées en France, la construction de panneaux solaires ayant pratiquement disparu d’Europe et la majorité des emplois créés en France par le solaire et l'éolien étant ceux – éphémères – du montage, il reste la seule maintenance qui ne représente qu’une faible fraction du total. Le contexte de ces industries est aujourd’hui radicalement différent de ce qu’il pouvait être lors du démarrage du programme électronucléaire français qui avait permis la création d'une filière industrielle française. Dans le cas des énergies renouvelables électriques intermittentes, les places sont déjà prises et la compétition est féroce.

Les prévisions sont ici d’autant plus difficiles à faire que la France entre en territoire non balisé : s’agissant des énergies intermittentes, nous sortons tout juste – avec 7 % dans le mix électrique – de l’épaisseur du trait. En matière de sources d'énergie intermittentes, le projet de PPE nous propose des objectifs voisins de la situation allemande aujourd’hui. Ne serait-il pas avisé, compte tenu du recul de plusieurs années dont nous disposons sur l'expérience allemande, et bien que les systèmes énergétiques des deux pays soient différents, d'en tirer les enseignements, en particulier vis à vis des résultats sur les émissions de gaz à effet de serre qui sont insignifiants malgré, pour les ménages, un coût de l’électricité plus élevé de 80 % à ce qu’il est en France ? Les renouvelables intermittentes ont leurs mérites, par exemple pour des usages très particuliers, ou en Outre-mer. Il est également pertinent, du point de vue de la lutte contre les émissions de Gaz à Effet de Serre et du point de vue économique, de soutenir le solaire dans des pays où l'ensoleillement est double de ce qu'il est en France (pays du Sahel par exemple). Mais la question est de savoir quel est l’intérêt concret pour un pays comme la France qui dispose déjà d’un mix électrique pratiquement décarboné à coût optimisé. D'ailleurs, avant toute décision, le coût complet réel des énergies renouvelables électriques intermittentes devrait être analysé en tenant compte (i) du coût de l’obligation d’achat ou du complément de rémunération, (ii) des coûts de raccordement, (iii) des coûts induits par les conséquences d'une production électrique aléatoire sur la stabilité et la sécurité du réseau électrique. Il faudrait également intégrer, (iv) l’obligation du maintien en fonctionnement de moyens de production pilotables (nucléaire et hydraulique en particulier) contraints à l'effacement lorsque les renouvelables produisent à pleine capacité. Enfin, l'évaluation devrait prendre en compte (v) les pertes de valeur résultant, pour EDF et pour la collectivité, de la mise au rebut de 14 réacteurs performants et compétitifs.

Une étude récente montre que – à échéance 2035 - le développement de l’éolien et du solaire tel que proposé dans le projet de PPE coûterait en investissement 158 milliards d’euros de plus que la prolongation de la durée de vie du parc nucléaire jusqu’à 60 ans. Une telle prolongation est considérée par « Sauvons Le Climat » comme parfaitement réaliste dans la mesure où la NRC américaine (l’équivalent de notre Autorité de Sûreté Nucléaire) a autorisé le prolongement à 60 ans de la plupart des réacteurs du même type que ceux du parc français et en étudie une prolongation jusqu'à 80 ans. L'AIE a récemment réaffirmé le rôle clé que doit jouer le nucléaire dans le futur énergétique de la planète ainsi que l’intérêt économique de la prolongation de la durée de vie des centrales existantes[2]. Rappelons enfin que le recours massif à la production d'électricité intermittente impose de développer un stockage de masse, notamment mensuel et inter-saisonnier, dont les principes technologiques et encore moins l'horizon temporel d'un développement éventuel, ne sont acquis.

Le passage de 75 % à 50 % de la part du nucléaire dans le mix électrique ne répond à aucun enjeu énergétique, écologique ou économique. Il est coûteux et dégrade le bilan en matière d'émission de GES et la sécurité d'alimentation du pays. De plus son bien-fondé n’a jamais été expliqué aux français, ni aujourd’hui, ni à l’occasion des débats qui ont précédé le vote de la loi LTECV de 2015.

L’intérêt du passage du nucléaire de 75 à 50 % dans le mix électrique n’a jamais été explicité, pas plus aujourd’hui que dans les débats qui ont précédé la loi de 2015. Nicolas Hulot n’avait-il pas affirmé en 2015, lors du vote la loi LETCV et alors qu’il était conseiller de Ségolène Royal, que le passage de 75 % à 50 % n’était qu’une étape vers l’abandon du nucléaire et qu’il ne s’agissait là de rien moins que d’un choix de civilisation ?

Le seul argument de la diversification des sources ne peut tenir que si des alternatives crédibles présentent des caractéristiques comparables en matière de sécurité d'approvisionnement, de service rendu et de coût. La synthèse proposée évoque ces aspects mais le projet, perdant de vue l'objectif de réduction des émissions de Gaz à Effet de Serre, continue à faire de la réduction de la part du nucléaire une fin en soi.

S’agissant des déchets nucléaires, le projet CIGEO répond parfaitement au besoin de stockage des déchets à haute activité et vie longue de la génération actuelle de réacteurs, en phase avec les recommandations internationales en la matière.

CIGEO apporte une cohérence globale à la gestion des ressources et des déchets nucléaires compte tenu de la technologie actuelle des réacteurs qui composent le parc français. Largement évalué, y compris en regard des expériences et des projets internationaux, CIGEO doit permettre à la filière nucléaire de gérer correctement son cycle de développement, depuis les matières premières, jusqu'à la mise en déchet.

Face aux enjeux énergétiques et climatiques, nationaux et internationaux, si l'on est convaincu du caractère indispensable du recours à une part de production nucléaire, les recherches, incluant celles sur la transmutation, doivent absolument être poursuivies, voire renforcées afin de préparer de nouvelles technologies de réacteurs à base de neutrons rapides. C'est en effet seulement ce type de réacteurs qui peut permettre d'économiser la consommation de matières fissiles et de diminuer la production de déchets dans le cadre d'un cycle nucléaire nouveau. Face aux besoins énergétiques d'une planète de dix milliards d'habitants, cette vision est indispensable pour préparer l'avenir.

Les orientations sur le transport sont incomplètes et ne s'intègrent pas dans une vision d'ensemble. L'approche industrielle, pourtant primordiale, est absente.

Le gouvernement affiche l'ambition de développer les moyens de transport, individuels comme collectifs, alternatifs au véhicule particulier polluant. Cette ambition, légitime, esquissée dans le plan mobilité sans que son coût ne soit évalué même sommairement, n’est pas inscrite dans une approche globale qui intégrerait les dimensions industrielles et qui analyserait le rôle que peuvent jouer en complémentarité les différentes filières : véhicules électriques, hybrides rechargeables voire hydrogène issu d'une production sans CO2 et biogaz. Le cas des transports lourds est par ailleurs trop peu abordé.

La place de l’industrie française dans un contexte mondial où une électricité décarbonée restera longtemps peu accessible, n’est même pas effleurée.

Dans le bâtiment, les perspectives manquent d'ambition et ne se concentrent pas sur l'essentiel, à savoir l’inscription dans un objectif de réduction des émissions de CO2 qui devrait privilégier les énergies décarbonées.

Ce secteur est à l'origine de 23 % des émissions de CO2. Il n’a pas progressé de 2014 à 2017 notamment du fait d’une réglementation, la RT 2012 – évoquée plus haut -, qui est un obstacle au développement des solutions décarbonées. Il serait rationnel de se concentrer sur les mesures les plus efficaces et compétitives : substitution aux chauffages par le fioul et le gaz d’énergies non carbonées, énergies renouvelables thermiques, électricité décarbonée efficace, systèmes experts de régulation. Toutes ces actions compétitives économiquement et pertinentes vis-à-vis des émissions de gaz à effet de serre, réduiraient d’autant la nécessité de pallier la précarité énergétique.

Dans l'agriculture...

Du point de vue énergétique l’agriculture ne représente en France qu’une partie faible des émissions de CO2 (~3 %), sa principale contribution au climat résultant des émissions de méthane et d’oxydes d’azote.

Le potentiel théorique des forêts et des cultures énergétiques, hors prise en compte de la préservation de la biodiversité, et des déchets agricoles, ne pourrait dépasser environ 30 Mtep (million de tonnes équivalent pétrole) (contre 13 Mtep actuellement), soit de l’ordre de 15 % de notre consommation actuelle d’énergie primaire.

L’essentiel de la croissance des forêts sera accaparé par l’augmentation du bois énergie pour le chauffage : passage de 9 Mtep à 13 ou 14 Mtep en 2023 prévu par la loi LTECV aux dépends d’autres applications envisageables (biocarburants de deuxième génération pouvant remplacer les biocarburants de première génération, peu performants au plan environnemental, bois d’œuvre, mobilier) alors que, par ailleurs, le chauffage bois contribue pour moitié environ à la pollution aux microparticules en France (émissions d’environ 150 000 t/an dues au chauffage bois).

Le potentiel de contribution de la méthanisation à partir de déchets agricoles est limité à quelques Mtep (soit moins de 1 % de la consommation d’énergie primaire). C’est donc essentiellement sur les émissions autres que celles de CO2 que devrait porter l’action gouvernementale, mais en prenant garde ou prêtant attention aux impacts sociaux et économiques d’orientations portées par des idéologies urbaines parfois radicales sur des territoires attachés à leur histoire. 

En résumé, les objectifs de la PPE, pour s'inscrire dans l'ambition affichée par le Président de la République de s’attaquer en priorité au risque climatique, devraient être de tourner résolument le dos à toutes les énergies fossiles. On peut rappeler de surcroît que ces énergies représentaient en 2018, une dépense de 46 milliards d'euros, soit 77 % du déficit de notre balance commerciale.

Lien vers le fichier pdf

 

[1]    https://www.sauvonsleclimat.org/fr/ressources/base-doc/emplois-verts-la-fin-des-illusions

[2]    https://www.iea.org/publications/nuclear/

 

 

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