Quelles perspectives énergétiques pour l'Europe ?

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Quelles perspectives énergétiques pour l'Europe ?

 

Pierre Delaporte, Président d’honneur d’EDF - septembre 2011

 

En matière d’énergie (comme dans tous les autres domaines ou presque) les perspectives européennes ne peuvent s’organiser qu’autour d’un axe franco-allemand.

Or un personnage de MALAPARTE prédit qu’une entente fondamentale entre les deux pays est impossible puisque « à l’inverse du français, le soleil est, en allemand, du genre féminin et, à l’inverse, la lune est un mot masculin… »

Cette fine observation appelle deux remarques.

La première est personnelle. Grand amateur de rugby, je suis l’heureux époux depuis 57 ans d’une passionnée de tennis et tout va bien, je vous remercie.

La seconde est beaucoup plus fondamentale. La définition même du couple en science physique est : système de forces égales, parallèles et de sens contraire.

Peut-on alors imaginer d’abord et organiser ensuite un couple germano-français fort de ses différences ?

Nous allons essayer de montrer que l’énergie pourrait être un terrain privilégié d’application pour cette forme d’espérance beaucoup moins utopique qu’il n’y paraît.

Il semble logique à ce moment du raisonnement de chercher dans les deux pays quelles sont les parties communes de l’approche énergétique à 15 ou 20 ans et, a contrario, de mieux comprendre les raisons et les origines de leurs divergences.

Sur le plan mondial, les experts situés des deux côtés du Rhin sont d’accord pour distinguer les problèmes essentiels et les questions importantes mais accessoires.

Les problèmes majeurs du monde de l’énergie peuvent, pour leur part, se résumer à deux questions.

La première porte sur la mise au point, en vue grâce au ciel,  de la voiture propre (très probablement mais pas certainement électrique) car nous serons bientôt neuf milliards d’individus à désirer avec force un véhicule automobile …

La seconde concerne la neutralisation des effets gravissimes de la consommation du charbon dont nous ne pouvons malheureusement pas nous passer.

L’espoir est permis dans ce domaine grâce aux progrès des études sur la séquestration du CO 2  que nous dominerons un jour mais quand et à quel prix ?

Comparés à ces deux problèmes majeurs ,les autres questions énergétiques semblent bien secondaires à l’échelle mondiale.

Il est en effet important mais non vital de savoir si notre production d’électricité comprendra 10, 12 ou 20% de nucléaire, d’hydraulique ou d’énergies renouvelables (soleil, vent, marées, etc…).

Cette considération , assez morose mais de nature à calmer les faux débats entre pro et anti n’importe quoi , n’est vraie qu’à l’échelle mondiale et mérite donc un examen beaucoup plus soigneux au niveau de certaines régions particulièrement dépendantes des fournitures extérieures et tout spécialement donc de l’Europe occidentale et centrale

Le tour  du propriétaire est assez vite fait entre les diverses façons d’y produire un bien devenu vital : l’électricité..

-   Le bois est et restera le bienvenu mais est dépassé et ne peut être que marginal

-   Le charbon est trop sale

-   Le pétrole est trop aléatoire et trop coûteux

-   Le nucléaire se heurte dans certaines régions à des problèmes d’acceptabilité sur lesquels nous reviendrons.

-   Les énergies renouvelables sont beaucoup trop onéreuses sauf énormes progrès du solaire dont nous reparlerons

-   Reste donc pour l’instant une seule médaille d’or, le gaz naturel, énergie fossile, bien sûr, donc épuisable mais dont les réserves sont copieuses, le prix  encore raisonnable pour l’instant, les dommages à l’environnement mesurés et la dangerosité très sous-estimée

Voilà donc de bons atouts qu’ils soient réels ou seulement ressentis et vive le gaz naturel qui a par ailleurs de puissants alliés, conscients ou inconscients, qui oeuvrent sans relâche à l’élargissement de son domaine.

                                               -o0o-

A moyen terme : un boulevard pour Gazprom.

On comprend bien pourquoi le gaz naturel importé qui représentait il y a un e génération environ 10% de l’énergie consommée en Europe  soit la petite bêbête qui monte, qui monte , qui monte. Sa croissance est, pour une part ,normale devant le reflux que nous venons de constater de ses concurrents mais résulte également de certains abandons du terrain énergétique par des énergies qui ont été victimes de savantes campagnes de dénigrement.

La première concerne  le gaz de schiste qui a bouleversé les données du secteur aux U.S.A. mais a été en Europe, à tort et/ou à raison, diabolisé au point de refuser de savoir si nous disposons ou non de gisements. Nous chercherons un peu plus loin à qui profite ce rejet sans examen d’une ressource potentielle.

La seconde est l’abandon ou la non réalisation de la production d’électricité par le nucléaire qui est absolument dans les possibilités des pays européens à haut niveau technologique comme la République Fédérale et ses partenaires intellectuels.

Cette position est si grave de conséquence qu’elle nous incite à une réflexion sérieuse tentant de comprendre pourquoi l’opinion publique allemande a – cela est certain depuis longtemps – une attitude majoritairement hostile à l’énergie nucléaire que n’a pas pu surmonter la récente prise de position courageuse  d’Angela MERKELqui, malgré sa formation de physicienne, a du abandonner ce terrain à ses adversaires.

Entre autres facteurs à l’origine de cette déraison allemande vis-à-vis d’une énergie qui lui doit pourtant beaucoup, nous essaierons d’en discerner trois qui nous paraissent spécifiquement germaniques, c’est-à-dire s’ajoutant au sentiment d’horreur dû à Hiroshima et Nagasaki ou à la crainte inavouée mais réelle de ces terribles rayonnements qu’on ne peut ni voir ni toucher mais qui sont porteurs de tant de maux.

La plus ancienne raison d’hostilité au nucléaire résulte, nous semble-t-il, du sentiment confus que cette forme d’énergie pouvait et voulait se substituer au charbon[1] élément quasi métaphysique de l’âme allemande, cadeau de Siegfried à ses arrière petits enfants.

Simple exemple mais éclairant : pour clôturer et non conclure une discussion un peu vive  sur le soutien à son charbon national, un ami allemand, aussi intelligent que compétent, me dit : 

« Mon cher, vous ne comprendrez jamais le sens profond de notre position tant que vous n’aurez pas eu les larmes aux yeux en entendant l’Harmonie des Mineurs remonter la rue principale d’un village de la Ruhr un dimanche matin »

Nous allons parler un peu plus loin de la trouble croisade écologique qui a agité le pays contre le nucléaire mail il est clair que celle-ci a des racines profondes comme l’a très bien souligné Die Welt en juin dernier en mettant en évidence l’influence dans l’immédiat après-guerre de Martin HEIDEGGER qui lance avec son ouvrage «  Die Frage zur Technologie » une mobilisation contre la reconstruction industrielle de son pays                                     où on sent naître le mouvement écologique radical des khmers verts.

Sur ce terrain  propice éclata  la crise du début des années 1980 qui mérite qu’on s’y arrête quelque peu car elle montre comment, le temps venant, les russes   ont vu se transformer une défaite stratégique en victoire géo-politique.

En ce temps-là les américains réalisent que l’installation de fusées soviétiques de moyenne portée le long du rideau de fer faisait  de l’Armée Rouge le vainqueur obligé dans   le cas d’un affrontement militaire en Europe.

La seule riposte efficace était d’installer des moyens équivalents (les fusées Pershing) en République Fédérale et la demande en fut formulée poliment mais fermement.

Ceci entraîna le  KGB à tout faire pour que cette demande soit rejetée par les parlements de l’Ouest en jouant sur les opinions publiques.

Les soviétiques avaient, en la matière, des alliés évidents : les brebis gauchistes et les agneaux pacifistes qui, sans qu’il soit nécessaire de souffler sur les braises, bêlèrent très vite « Plutôt rouges que morts ».

Ceux-ci étaient quand même trop faibles et trop dispersés pour enlever le morceau et il fut nécessaire de leur adjoindre des associés plus nombreux et plus convaincants. C’est alors que  les services d’ agit-prop  reçurent pour mission d’instrumentaliser les associations « vertes » populaires, à juste titre, pour leur combat en faveur des cétacés, des pique-prune et des violettes de Parme.

Feu donc sur le nucléaire, militaire bien sûr, mais aussi sur ses applications civiles et, contrairement à ce que certains pensent,  cette mobilisation fut plutôt efficace.

In fine, il est vrai, les assemblées occidentales acceptèrent l’installation des Pershing en partie du fait de la ferme intervention des français dont le Président proclama : « les pacifistes sont à l’Ouest mais les fusées sont à l’Est » » !

C’était un revers pour les soviétiques, mais un revers temporaire car ils avaient réussi  à mettre le ver (ou le vert) dans le fruit et les germains, en particulier, avaient contracté une allergie au nucléaire sous toutes ses formes

Le résultat est maintenant là et, Fukushima aidant, la production  nucléaire d’électricité va disparaître à terme en RFA . La question est alors : que mettre à la place ? Et la réponse est d’une simplicité  archangélique : ni le bien-aimé charbon, trop sale, ni le pétrole, trop aléatoire, ni les énergies renouvelables, aujourd’hui  trop chères. Reste donc; à moyen et court terme, le gaz dont le grand producteur, ami et voisin, s’appelle la Sainte Russie.

Les éléments majeurs de ces fournitures seront les nouveaux gazoducs tels la liaison St-Pétersbourg-Rostock (Nordstream) ou sa future réplique Sud qui va envoyer ad patres le projet «  dit européen » Nabucco[2]. (1).

Conclusion d’étape : Gazprom, bras armé économique du Kremlin, va occuper une place très importante dans le paysage énergétique européen.

Trop importante : voilà la question.

Pour esquisser une réponse penchons-nous  vers le passé en constatant qu’il y a une génération, Gaz de France s’était forgé empiriquement une doctrine sur la dépendance « excessive » à l’égard d’un  fournisseur.

Il faut dire que sa situation n’était pas spécialement rassurante dans son triangle des Bermudes avec trois fournisseurs majeurs :

-   la Norvège, bien sous tous rapports

-   l’URSS , irréprochable à l’époque, mais fragilisée par ses vieux démons : corruption et vodka (les Gog et Magog de l’économie soviétique qui ne sont qu’assoupis) et qui pouvaient fragiliser ses livraisons

-   l’Algérie qui avait montré sa capacité de chantage grâce à l’interruption des livraisons au moment de la non mise en route de l’Usine de Skikda

La position adoptée, dans le sang-froid et la sérénité, fut alors la suivante :

-   développer les interconnections avec nos voisins ;

-   pousser au maximum la réalisation de  stockages souterrains, domaine où les perspectives n’étaient pas mauvaises

-   rechercher de nouveaux fournisseurs sous la forme de GNL en tablant sur les progrès techniques dans cette nature de liaison

 

L’objectif était de ne pas dépasser 30 % de l’énergie totale consommée dans le pays ni 30 % de nos approvisionnements depuis un seul de nos fournisseurs et, enfin, de pouvoir « tenir » en face d’une rupture d’un an  de nos deux plus importantes sources d’approvisionnement

Les 30% d’une part et l’année de rupture d’autre part étaient absolument   arbitraires mais avaient obtenu un consensus d’experts un peu rassurant.

Ils paraissent encore aujourd’hui tenir la route et il ne serait sans doute pas sot de s’en inspirer au niveau européen dans le cas (trop beau, trop beau !) où existerait une politique européenne en la matière.

La même méthode de consensus d’experts donne aujourd’hui pour une politique au fil de l’eau une part de gaz russe de 35% qui n’est pas du tout terrifiante mais paraît un peu excessive. Il semble donc très souhaitable d’infléchir la situation actuelle conformément aux récentes recommandations faites par les équipes de Capgemini agissant sous la houlette de Colette LEWINER en classant les actions souhaitables par ordre de difficulté décroissante.

On obtient alors quatre grands axes.

1 – Promouvoir des projets de gazoduc évitant et contournant la Russie et ses satellites et permettant des flux rebours.

La difficulté est ici extrême du fait du nombre d’entités concernées : acheteurs variés, fournisseurs multiples, pays de transit divers et peu fiables, hostilité évidente de Gazprom se caractérisant par des contre-offres. Triste exemple : Nabucco

2 – Exploiter les réserves européennes de gaz non conventionnel malgré l’opposition farouche  actuelle des khmers verts que ceux-ci soient  manipulés ou non.

La difficulté est grande mais pas insurmontable si les polonais tiennent bon et démontrent que cette activité n’est pas forcément aussi agressive pour l’environnement que ce que nous constatons aujourd’hui aux USA.

3 – Développer  les activités de stockage souterrains et mutualiser cette activité qui a dans beaucoup de régions un avenir radieux si les sociétés réalisatrices reçoivent    des garanties d’emploi  qui ne seront rien d’autre que des primes d’assurance.

Malgré  l’inévitable opposition des écolos, ces opérations seraient faciles avec un chef d’orchestre talentueux, persuasif et doté de moyens financiers importants mais pas gigantesques. Bruxelles, réveille-toi !

4 – Augmenter beaucoup la part du GNL dans l’approvisionnement de l’Europe en prospectant les zones capables de fournir ce produit dans de bonnes conditions et en multipliant les points d’entrée.

Chaque nouveau terminal méthanier vaut desserrement d’un cran de la dépendance vis-à-vis de Gazprom. On peut donc s’attendre à des hostilités locales spontanées souvent, manipulées parfois et chaque implantation nouvelle sera une victoire sur la voracité du Grand Fournisseur  et la niaiserie de ses associés involontaires ou pas

Ce point 4 nous fournit une première conclusion sans panache et volontairement modeste : la priorité des priorités pour l’Europe en matière d’énergie à moyen terme est de multiplier les points d’entrée du gaz naturel en s’ouvrant donc au transport maritime du GNL qui nous procurerait une indépendance relative à la fois bon marché et sans prix.

« Homme libre, toujours tu chériras la mer »

Et après-demain ?

Nous venons de voir que demain le gaz naturel va occuper une place prépondérante dans le panel énergétique européen.

Il est toutefois peu probable que cette  énergie fossile et polluante conserve très longtemps cette position et après-demain il n’existe que deux réponses possibles ayant toutes les qualités, réponses qui, heureusement ou malheureusement, sont différentes en France et en RFA.

Les gaulois ne trouveront leur potion magique que dans le nucléaire de troisième ou énième génération tandis que les germains vont faire un effort considérable sur le solaire photovoltaïque.

Ce pari sur le solaire n’est ni gagné ni perdu d’avance. Il y a une génération, cette forme        d’énergie était cent fois trop chère, ce qui limitait son emploi à des créneaux minuscules. Elle est aujourd’hui dix fois trop chère, mais le progrès est évident même s’il ne garantit pas un avenir radieux.

Acceptons en conséquence ce défi et donnons rendez-vous à nos voisins et amis dans vingt ans sous la seule réserve qu’ils nous laissent développer notre propre cocktail énergétique en maintenant à la niche leurs meutes de verts et bruns.

Une Europe de la coopération est évidemment souhaitable mais une Europe du respect de l’autre serait déjà une avancée tout à fait positive.

Et que le meilleur gagne au bénéfice de tous.



[1] C’est-à-dire du bois qui a bien vieilli

[2]  Célèbre pour son chœur des captifs. Prescience ?

  • Assemblée Générale Ordinaire des Adhérents de Sauvons Le Climat
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