Electricité et Effet de Serre
Au moment où se prépare le Grenelle de l’Environnement il est utile de rappeler l’importance des techniques utilisées pour la production d’électricité dans les taux d’émission de gaz carbonique aux plans national, régional et mondial. La confusion faite entre énergies primaire et finale ne peut qu’obscurcir le débat et le rendre incompréhensible aux yeux du public. Un exemple frappant de ce type de confusion peut être trouvé dans le Rapport du Groupe de travail « Division par quatre des émissions de gaz à effet de serre de la France à l’horizon 2050 » sous la présidence de Christian de Boissieu qui affirme que : « l’énergie nucléaire en Europe représente 6% de l’énergie finale, 2% dans le monde, 17% de l’énergie finale en France. Au vu des ces pourcentages, il n’apparaît pas justifié, pour bâtir une stratégie climat, de centrer le débat sur l’énergie nucléaire. »
L’énergie finale n’est pas un bon paramètre pour estimer les émissions de CO2
Rappelons, tout d’abord, que l’énergie finale est celle que paye le consommateur final. Il est clair que ni le nucléaire ni le vent ne sont des énergies finales. Ce simple fait montre que cette phrase, pourtant énoncée par une docte assemblée, est un contre-sens. Elle a d’ailleurs fait florès puisqu’elle a été l’occasion d’une passe d’armes célèbre entre Madame Royal et Monsieur Sarkozy au cours de leur débat télévisé. Elle a aussi été largement reprise par les organisations anti-nucléaires qui ne semblaient d’ailleurs pas sensibles à la contradiction de dire, d’une part, que le nucléaire ne servait à rien à cause de la faible part de l’électricité dans l'énergie finale et d’exiger, d’autre part, un fort soutien aux productions d’électricité éolienne et photovoltaïque dont la part dans la production d'électricité est plusieurs dizaines de fois plus faible que celle du nucléaire.
Pour une approche empirique du rôle de l’électricité dans les émissions de CO2
Pour savoir quelle est l’importance réelle de la méthode de production de l’électricité dans les émissions de CO2, il faut revenir à des constatations de terrains, à une méthode empirique en quelque sorte en évitant les discussions métaphysiques sur le type d’énergie à prendre en compte, primaire (avec quelles conventions ?), finale ou utile (voir note 1 et référence incluse). Nous avons suivi une telle approche dans notre comparaison de la Suède et du Danemark (voir sur notre site) . Celle-ci démontrait que, malgré une consommation énergétique par tête deux fois plus faible, les danois rejetaient 60% de plus de CO2 que leurs voisins suédois. La différence provient de l’importance du recours aux combustibles fossiles pour la production de l’électricité danoise, contrairement à la pratique suédoise reposant sur l’hydroélectricité et le nucléaire.
Pour généraliser cette comparaison, nous examinons ici ce que seraient les émissions de CO2 des pays développés (OCDE essentiellement) si ceux-ci avaient suivi l’exemple de la France (on aurait pu également prendre comme référence la Suède ou la Suisse) en limitant considérablement leur recours aux combustibles fossiles pour produire leur électricité.
Comparaison entre les pays de l’OCDE et la France
Les combustibles carbonés utilisés pour la production d’électricité sont le charbon, le pétrole et le gaz. Le Tableau 1 montre la structure de la production d’électricité dans les pays de l’OCDE en 2004 (selon l’Agence Internationale de l’Energie) et la quantité de CO2 émise par ce secteur, soit près de 5,3 Milliards de tonnes(Gt) de CO2. Dans les mêmes pays les émissions totales de CO2 atteignaient 13 Gt de CO2. Le secteur électrique représentait donc 40% des émissions de CO2 dans les pays de l’OCDE (des tableaux plus complets incluant les autres secteurs que le secteur électrique sont donnés dans l’Annexe).
1 |
2 |
3 | 4 |
|
Part dans |
Energie primaire |
Millions de tonnes de CO2 |
charbon |
43 |
999 |
3809 |
fioul |
5 |
137 |
421 |
gaz |
21 |
482 |
1053 |
nucléaire |
31 |
716 |
|
total |
100 |
2334 |
5284 |
Tableau 1
Structure de la production électrique dans les pays de l’OCDE en 2004
(ref. : Agence Internationale de l’Energie).
Le Tableau 2 montre que la structure de la production électrique en France est très différente de celle de l’ensemble de pays de l’OCDE. Elle est caractérisée par une faible contribution des centrales électriques utilisant des combustibles fossiles à la production électrique, mais par une très forte contribution des énergies non émettrices de CO2, dont, surtout, bien sûr, le nucléaire. La contribution du secteur électrique à la production totale de CO2 est de l’ordre de 11% au lieu de 40% pour la totalité des pays OCDE.
1 |
2 |
3 | 4 |
|
Part dans |
Energie primaire |
Millions de tonnes de CO2 |
charbon |
5,5 |
7,4 |
28,5 |
fioul |
1,1 |
1,5 |
4,3 |
gaz |
3,5 |
4,8 |
10,9 |
nucléaire |
89,9 |
122,1 |
|
total |
100,0 |
135,9 |
43,6 |
Tableau 2
Même chose que pour le Tableau 1 dans le cas de la France.
Quelle serait la situation si les pays de l'OCDE avaient suivi même politique que la France
Supposons maintenant que tous les pays de l'OCDE aient suivi l'exemple français en construisant de nombreuses centrales nucléaires en lieu et place des centrales à fioul, gaz et, surtout, charbon. Notons que ces pays en avaient sans aucun doute les capacités techniques, autant que la France. Notons aussi que les problèmes de prolifération et de sûreté nucléaires ne se posent pas de façon très différente dans les pays de l'OCDE et en France. Nous reviendrons sur les principales raisons qui ont fait que la plupart des pays de l'OCDE n'ont pas suivi l'exemple français.
1 |
2 |
3 | 4 |
|
Part dans |
Energie primaire |
Millions de tonnes de CO2 |
charbon |
5,5 |
128 |
468 |
fioul |
1,1 |
26 |
80 |
gaz |
3,5 |
82 |
179 |
nucléaire |
89,9 |
2097 |
|
total |
100,0 |
2334 |
728 |
Tableau 3
Même chose que le Tableau 1 pour les pays de l'OCDE en supposant que ceux-ci aient adopté la même structure de production électrique(mix) que la France.
Selon le Tableau 3 on peut voir qu'une politique semblable à celle menée en France aurait conduit à augmenter la production nucléaire des pays de l'OCDE de près d'un facteur 3 tout en réduisant celle des centrales à charbon de près d'un facteur 8 (un facteur supérieur à 5 pour les centrales brûlant du fioul et de presque 6 pour les centrales à gaz), tout en maintenant constante la production d'électricité. La réduction des émissions de CO2 aurait été de 4,6 Milliards de tonnes de CO2, soit plus du tiers des émissions totales (qui incluent celles dues au transport et au chauffage)(voir note 3)). Ajoutons que, si les pays de l'OCDE avait fait le pari du nucléaire, les pays émergents comme le Chine et l'Inde auraient, très probablement, été amenés limiter leur recours au charbon pour leur production d'électricité.
Les raisons d'une divergence et les responsabilités
La divergence importante entre les politiques énergétiques de la France et de la majorité des pays de l'OCDE remonte aux lendemains de la crise pétrolière de 1973. Avant la crise, en effet, la mode était de produire l'électricité avec des centrales à fioul, alors très bon marché. Après la crise, chaque pays a réagi en fonction de ses ressources énergétiques propres ou facilement accessibles, et de la pression plus ou moins forte de ses lobbies énergétiques. Les considérations de réchauffement climatique n'étaient, alors, pas présentes.
Ainsi, les pays disposant de gaz naturel, comme la Grande Bretagne et, à un degré moindre, l'Italie, développèrent les centrales à gaz ; des pays charbonniers, comme l'Allemagne et, surtout, les Etats-Unis, développèrent les centrales brûlant du charbon. Dans ce dernier pays, la construction de centrales nucléaires, déjà fortement ralentie par l'action des mouvements antinucléaires, fut encore freinée par l'accident de Three Mile Island (TMI) en 1979. L'accident de TMI eut des répercussions dans certains pays d'Europe (au Danemark, par exemple) mais n'empêcha pas la poursuite de la construction de centrales dans de nombreux pays. Ceux qui recoururent le plus au nucléaire étaient ceux qui ne disposaient ni de ressources gazières ni de mines de charbon suffisamment rentables : la France, la Suède, la Suisse. Ceux qui disposaient de ressources fossiles (gaz ou charbon) construisirent à la fois des centrales à charbon ou gaz et des centrales nucléaires (Allemagne, Belgique, UK). Cependant le mouvement anti-nucléaire se renforçait en Europe (par exemple, manifestations contre la construction de la centrale de Plogoff), tandis que les charbonniers et gaziers européens essayaient, là aussi, de profiter des problèmes du nucléaire. En 1986, la catastrophe de Tchernobyl conduisit, par une pression renforcée du mouvement anti-nucléaire, à l'arrêt de la construction de centrales dans presque tous les pays d'Europe de l'Ouest, sauf en France.
C'est en 1992, lors de la conférence de Rio que la prise de conscience du danger du réchauffement climatique fut effectuée par la communauté internationale (gouvernements et ONG). A partir de cette date les constructeurs et ordonnateurs de centrales à charbon (les plus nombreuses et les plus polluantes) ne pouvaient plus ignorer les conséquences des installations qu'ils mettaient en œuvre. De même les anti-nucléaires, en s'opposant à la construction des centrales nucléaires mais en acceptant celle des centrales à combustibles fossiles ne pouvaient ignorer qu'ils faisaient un choix catastrophique pour la planète. La production d'électricité est la principale source d'émission de CO2 dans le monde. Les responsabilités dans ce qui apparaîtra sans doute un jour comme un crime écologique majeur, sont désormais claires. Il serait temps qu'industriels, politiques et associations anti-nucléaires en prennent conscience.
note 1 : Energie finale : celle achetée par le consommateur final. Energie primaire : celle nécessaire pour produire l’énergie finale. Energie utile : celle qui correspond à un service effectivement rendu (le rendement des moteurs, des chaudières individuelles etc. est souvent très inférieur à 100% et l’isolation des logements n’est pas parfaite)
Pour plus de détails voir, sur le site de "Sauvons le Climat", le document sur les "Définitions de l'Energie":
http://www.sauvonsleclimat.org/documents-pdf/definitions-energie
note 2 : Ici le calcul des émissions de CO2 est limité à l'étape de production proprement dite. En effet les émissions dues aux activités connexes comme l'extraction et le traitement du minerai, la construction des installations, les transports divers sont comptabilisés dans les secteurs correspondants: extraction minière, transports, construction etc. La prise en compte de l'ensemble de la chaîne pose des problèmes difficiles d'affectation aux différents pays (par exemple les pays producteurs de charbon, de gaz, d'uranium ne sont pas les mêmes que ceux qui utilisent les combustibles). L'inclusion des émissions connexes favoriseraient encore davantage le nucléaire et les énergies renouvelables puisque, par exemple, les tonnages extraits et transportés pour le charbon sont bien supérieurs à ceux d'uranium pour la même quantité d'électricité produite.
note 3 : Notons que selon le Tableau 3 les émissions du secteur électrique pour l’ensemble de l’OCDE auraient été ramenées à 8% du total. Ce chiffre est plus faible que les 11% du cas français car la France utilise plus d’électricité que les autres pays de l’OCDE ( 49% contre 44% pour les consommations primaires).
Annexe
1 |
2 |
3 | 4 | 5 | 6 | 7 |
|
Energie |
Millions |
Part dans |
Energie primaire |
Millions de tonnes |
Part de émissions |
charbon |
1129 |
4324 |
43 |
999 |
3809 |
88 |
fioul |
2241 |
6266 |
5 |
137 |
421 |
7 |
gaz |
1195 |
2721 |
21 |
482 |
1053 |
39 |
nucléaire |
942 |
0 |
31 |
716 |
0 |
|
total |
5507 |
13311 |
100 |
2334 |
5284 |
40 |
Tableau 4
Structure de l’utilisation de l’énergie primaire dans les pays de l’OCDE en 2004.
1 |
2 |
3 | 4 | 5 | 6 | 7 |
|
Energie |
Millions |
Part dans |
Energie primaire |
Millions de tonnes |
Part de émissions |
charbon |
13 |
51,5 |
5;5 |
7,4 |
28,5 |
55,4 |
fioul |
92 |
257,8 |
1,1 |
1,5 |
4,3 |
1,7 |
gaz |
38 |
86,2 |
3,5 |
4,8 |
10,9 |
12,6 |
nucléaire |
131 |
0 |
89,9 |
122,1 |
0 |
- |
total |
275 |
395,5 |
100 |
135,9 |
43,8 |
11,0 |
Tableau 5
Structure de l’utilisation de l’énergie primaire en France en 2004
1 |
2 |
3 | 4 | 5 | 6 | 7 |
|
Energie |
Millions |
Part dans |
Energie primaire |
Millions de tonnes |
Part de émissions |
charbon |
258 |
1150 |
5,5 |
128 |
468 |
41 |
fioul |
2130 |
5918 |
1,1 |
26 |
80 |
1 |
gaz |
795 |
1854 |
3,5 |
22 |
179 |
10 |
nucléaire |
2324 |
0 |
89,9 |
2097 |
0 |
|
total |
5507 |
8922 |
100 |
2334 |
728 |
8 |
Tableau 6
Structure de l’utilisation de l’énergie primaire pour les pays de l’OCDE en supposant que ceux-ci aient adopté la même structure de production électrique(mix) que la France.