L’objectif 3 fois 20, ou la mauvaise façon d’utiliser les Energies Renouvelables

SLC

 

Le moment où le Parlement Français va discuter des propositions des lois post-Grenelle approche. Nous sommes particulièrement inquiets par le fait que la question de la construction envisagée de nombreuses centrales thermiques ne semble pas devoir être discutée.

Plus gravement nous en sommes venus à la conviction que l'objectif des 3 fois 20 est soit irréaliste soit pernicieux. Rappelons à quoi correspondent ces objectifs à l’horizon 2020 :

20% de diminution de la consommation énergétique finale,

20% de diminution des émissions de CO2  en la France.

20% de contribution des énergies renouvelables (ENR) dans la consommation finale

Nous n’avons pas, ici, l’intention de discuter de l’opportunité de ces  objectifs quantitatifs, mais d’examiner leur cohérence interne.

La réduction de 20% de la consommation d'énergie, en supposant que la  proportion des différentes sources d'énergie  reste  inchangée [1], devrait se traduire par une réduction équivalente de l'usage des combustibles fossiles soit -20%, et par là même des émissions de CO2 [2]. Les deux objectifs de -20% pour la consommation d’énergie et pour les émissions de CO2 sont donc liés et supposent une part relative constante des combustibles fossiles dans le mix énergétique. Le passage de 10% à 20% des énergies renouvelables n’aurait donc pas d’impact sur l’usage des combustibles fossiles ! A quoi serviront elles donc ?

 

En 2006 la consommation finale de combustibles fossiles était de 117 Mtep (charbon 9 Mtep, pétrole 72 Mtep, gaz 36 Mtep)  et la consommation primaire de 129 Mtep (charbon 12 Mtep, pétrole 78 Mtep, gaz 39 Mtep). Cette dernière permet de calculer le niveau des émissions de CO2 à raison de 4,14 tCO2/tep pour le charbon, 2,27 tCO2/tep pour le pétrole et 1,87 tCO2/tep pour le gaz. La valeur moyenne pour le mix français s’établit à 2,33 tC/tep. Ramenée à la consommation finale elle s’établit à 2,56 tC/tep. Remarquons que cette valeur ne pourrait changer significativement  que si la part du charbon augmentait de manière importante [3], et, dans ce cas, elle augmenterait, elle aussi, évidemment. Les émissions totales de CO2 atteignaient 300 Mt en 2006. Une réduction de 20% les amèneraient à 240 Mt. La consommation finale de combustibles fossiles serait alors ramenée à 94 Mtep (240/2,64)

En 2006, la consommation d’énergie finale se montait à 162 Mtep. Sa réduction de 20% la ramènerait à 130 Mtep. La consommation finale fournie par les énergies nucléaires et renouvelables atteint actuellement 44 Mtep dont 15 pour les Energies Renouvelables et 29 pour le nucléaire. Elle se réduirait  à  36 Mtep (130-94). Les énergies renouvelables devraient atteindre 20% de la consommation finale, soit 26 Mtep. La part restant fournie par l’énergie nucléaire n’atteindrait plus que 10 Mtep, soit une réduction de 65%.

Dans ces conditions l’objectif 3 fois 20, s’il est appliqué à la lettre dans notre pays, est bien un scénario de sortie du nucléaire. L’augmentation de la part des énergies renouvelables se ferait au dépens du nucléaire, et non de la part des énergies fossiles.

Une diminution aussi draconienne de la part du nucléaire pose la question de savoir comment il pourrait être remplacé. On peut, bien sûr, proposer de diviser la consommation électrique par un facteur proche de deux, s’interdisant bien sûr le développement de son usage dans des secteurs comme les transports et la production de chaleur. Est-ce crédible ? Est-ce cela que veulent les tenants de l’objectif 3 fois 20 ? Si ce n’est pas le cas il faudra produire plus de  60% de l’électricité avec les énergies renouvelables et fossiles. On sait que, du fait de l’intermittence de l’éolien et du solaire, la part de l’électricité renouvelable ne saurait excéder 20%. Il faudra donc recourir aux énergies fossiles pour produire 40% de l’électricité. Mais, pour la production d’électricité, le rapport entre émissions de CO2 et  quantité d’électricité finale produite augmente considérablement, atteignant 12 tCO2/tep pour les centrales à charbon et  4 tCO2/tep pour les centrales à gaz les plus modernes (cette augmentation reflète la valeur  du rendement des centrales variant de 33% pour les centrales à charbon à 50% pour les centrales à gaz).  Le secteur électrique verrait ses émissions augmenter au minimum de 50 MtCO2. La consommation des autres secteurs (transports, chaleur) devrait donc diminuer de 110 MtC (60 pour assurer la réduction de 20% et 50 pour compenser l’augmentation du secteur électrique), soit une diminution de près de 40%. Ce sont les transports qui devront fournir l’essentiel de l’effort. Là encore est-ce crédible ?

Sauvons le climat considère que l’objectif des trois fois 20 est totalement inadmissible et masque la préférence donnée aux énergies fossiles dont le pourcentage dans le mix énergétique ne changerait pas,  sur l’énergie nucléaire dont la part diminuerait de plus d’un facteur 2. De plus les efforts demandés au secteur des transports seraient tout à fait déraisonnables.

Pour sortir du piège il faut abandonner un des trois 20. Il y a plusieurs manière de le faire. La plus « écologique » consisterait à faire de l’augmentation de la part de ENR l’occasion de diminuer non le nucléaire mais les fossiles. La part du nucléaire restant fixée à 18%, celle des ENR atteignant 20%, la part des fossiles devrait diminuer pour atteindre 62% au lieu de 67%.

La consommation totale de fossiles passerait donc à 130*0,62=80 Mtep à comparer aux 114 Mtep actuels, soit une diminution de (114-80)/114=30%

Il est donc nécessaire de fixer un pourcentage de diminution des émissions de CO2 nettement plus élevé que celui de la diminution de la consommation d’énergie. Si on peut obtenir 20% de réduction de la consommation énergétique totale et 20% d’énergie renouvelable, il serait alors possible d’obtenir 30% de diminution sur les rejets de CO2.

Alternativement, si on considère que le but d’une réduction de 20% des émissions de CO2 serait suffisamment difficile à atteindre il suffirait de réduire la part des énergies fossiles dans la consommation finale de la même proportion. Comme indiqué plus haut, la consommation fossile finale serait ramenée à 94 Mtep et la consommation finale totale à 139  Mtep, soit une réduction de seulement 14%. La répartition entre énergies renouvelables et nucléaires devra être optimisée en fonction de l’évolution de la consommation d’électricité.  Il serait aussi tout à fait possible, en augmentant les productions nucléaires et renouvelables, d’obtenir une réduction de 20% des émissions de CO2 sans diminuer la consommation totale. Il suffirait pour cela de supprimer l’usage du charbon et de diviser par 2 le recours au gaz en les remplaçant par un usage accru du nucléaire dans le secteur électrique (charbon) et des renouvelables pour la production de chaleur (gaz). 

 

Annexe

 

La quantité totale QCO2 de CO2 émise dans un pays peut être décomposée en deux facteurs:

QCO2 = E * QCO2 /E

E est la quantité d’énergie consommée, le rapport  K = QCO2 /E est le contenu en CO2 de l’énergie. Nous avons supposé jusqu’à présent que ce contenu n’était pas modifié entre 2006 et 2020. Il s’ensuivait que la quantité de CO2 émise était proportionnelle à l’énergie consommée. Ce contenu dépend de la proportion des sources d’énergie contribuant à la consommation finale.  Le contenu en CO2 du charbon  vaut Kcharbon = 4,14  tCO2/tep, de même Kpétrole = 2,27 tCO2/tep et Kgaz = 1,87 tCO2/tep. Les énergies renouvelables et nucléaires sont réputées ne pas émettre de CO2. Le contenu global de l’économie vaut donc :

 

K = 4,14 Pcharbon + 2,27 Pfioul + 1,87 Pgaz + 0(Pnuclear + Pren)

Pcharbon, Pfioul , Pgaz sont les parts relatives du charbon, du fioul et du gaz dans le mix énergétique. Pnuclear et Pren sont les parts relatives du nucléaire et des renouvelables.

L’objectif retenu de diminuer simultanément la quantité de CO2 émise QCO2 et la quantité d’énergie finale consommée montre que K = QCO2 / E reste constante.

  • Si les parts relatives des combustibles fossiles restent inchangées, il s’ensuit que la somme Pnuclear + Pren doit aussi rester inchangée. Il s’ensuit que l’augmentation de la part relative des renouvelables ne peut se faire qu’au dépens du nucléaire.
  • Si la part du nucléaire est nulle dans l’état initial (cas de l’Italie), l’augmentation de la part des énergies renouvelables doit s’accompagner d’une diminution de la part des combustibles fossiles. Si les parts relatives des différentes énergies fossiles restent inchangées, la valeur de c  doit diminuer. Il s’ensuit qu’une diminution de 20% de la consommation énergétique doit s’accompagner d’une diminution plus forte des émissions de CO2. Prenons l’exemple, proche du cas italien, où, dans l’état initial, Pfioul =1  et, donc, K = 2,27. Si nous supposons que Pren = 0,2  et Pfioul = 0,8


Ce qui précède concerne spécifiquement le cas français. Toutefois l'objectif des trois fois 20 a été fixé par la Commission et, si je ne m'abuse, le Parlement Européen doit en débattre. L'objectif de réduction simultanée  de 20% des émissions de CO2 et de la consommation finale d'énergie n'est guère soutenable car elle implique que la division par 4 des émissions demanderait aussi une division par 4 de la consommation finale. Il me semble donc très important que l'Europe se contente de fixer aux Etats des objectifs de diminution des émissions, leur laissant le choix des moyens. Je me permets de m'adresser à vous pour vous demander, au cas où vous partageriez notre point de vue, comment nous pourrions être utiles au débat qui devrait se tenir au sein du Parlement Européen. Nous avons l'intention d'organiser un colloque sur ces questions cet automne, soit à Strasbourg, soit à Bruxelles en espérant toucher le plus grand nombre possible de députés européens. Nous serions très honorés de bénéficier de vos conseils en l'occurrence.
En espérant ne pas acoir abusé de votre temps, je vous prie d'agréer, Monsieur le Premier Ministre, l'expression de ma haute considération.

 

thermique

nucléaire

ENR

total

 

Mtep

Mtep

Mtep

Mtep

2006

169

67

14

251

% dans la consommation finale 2006

67

27

6

100

 

 

 

 

 

2020 variante 1:  3*20 consommation

135

25

40

201

diminution %

20

63

-179

20

% dans le mix énergétique

67

13

20

100

 

 

 

 

 

2020 variante 2::  -20% energie totale .- 20% nuc.

107

54

40

201

diminution %

37

20

-179

20

% dans le mix énergétique

53

27

20

100

 

 

 

 

 

2020 variante 3: -20% therm. 20% ENR

135

38

43

217

diminution %

20

43

-202

13

% dans le mix énergétique

62

18

20

100

 

 

 

 

 

2020 variante 4: nucléaire stable -20% Energie.totale. 20% ENR

93

67

40

201

diminution%

45

0

-179

20

% dans le mix énergétique

46

34

20

100

 



[1] Nous examinons dans l’annexe les conséquences de l’abandon de cette hypothèse

[2] Nous supposons ici que l’intensité CO2, caractérisée par la quantité de CO2 associée à la production d’une unité d’énergie (tonne de CO2 par tep) produite par des combustibles fossiles  reste constante ; en d’autres termes nous supposons que les parts relatives du charbon, du gaz et du pétrole dans la fourniture d’énergie reste approximativement constante.

[3] Voir annexe pour la discussion du cas italien, par exemple, où les centrales au fioul vont être progressivement remplacée par des centrales au charbon

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