La production mondiale de pétrole : prendre au sérieux l’alerte rouge de l’Agence Internationale de l’Energie

Bernard Durand, Hervé Nifenecker

"Opinion" publiée dans "Les Echos" du 27/11/2018

Les Français semblent avoir oublié la grande crise pétrolière de 1973 (quadruplement du prix du brut en 3 mois). Il n’a pas été question du prix du pétrole au cours de la préparation de la PPE. Or le récent rapport  « World Energy Outlook 2018» de  l’Agence Internationale de l’Energie fait un diagnostic pessimiste de l’évolution de la production de pétrole mondiale d’ici 2025.

Les combustibles fossiles, qui fournissent pourtant dans notre pays environ 75 % de l’énergie finale consommée, sont depuis longtemps les grands ignorés des débats sur l’énergie. Ceux-ci sont en réalité essentiellement des débats sur l’électricité, électricités renouvelables contre électricité nucléaire. Le récent débat public sur la Programmation Pluriannuelle de l’Energie n’a pas fait exception.

Aux questions posées à ce sujet par de rares originaux, les organisateurs de ce débat public ont expliqué qu’il n’y avait pas péril en la demeure, et que l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) tenait des propos rassurants, en lesquels ils avaient toute confiance. En ce qui concerne le pétrole, le principal combustible fossile consommé en France, et le sang de notre économie,  il n’y avait donc aucun doute que la production mondiale serait pendant bien des années encore largement suffisante, même pour assurer une demande sans cesse croissante, du fait en particulier des grands pays émergents comme la Chine et l’Inde, pressés d’entrer dans la civilisation de l’automobile. Il ne fallait donc absolument pas croire les géologues et économistes du pétrole, qui comme les mauvais coucheurs de l’ASPO, tiennent depuis longtemps déjà des propos alarmistes à ce sujet !

Mais cette année, le ton vient de changer à l’AIE : selon son « World Energy Outlook 2018», sans nouveaux  investissements dans l’exploration et la production, la production mondiale de pétrole devrait maintenant décroître en moyenne à raison de 6 millions de barils par jour (soit environ 300 millions de tonnes par an, 2 fois la production actuelle de la mer du Nord), et serait divisée par deux en 2025, en y comprenant le pétrole de schistes. Et à cette date, l’écart entre la consommation potentielle et la production serait devenu de l’ordre de 50 milliards de barils par jour, soit à peu près 5 fois la production de l’Arabie Saoudite.

L’Europe serait particulièrement menacée. Sa production, essentiellement celle de la Mer du Nord, a décliné de moitié depuis 2000 et ne représente plus que 150 Mt par an, malgré de lourds investissements favorisés par la période de prix élevés du pétrole que nous venons de connaître. Elle est maintenant dans son ensemble, avec 450 Mt par an, le premier importateur de pétrole de la planète, devant la Chine, 400 Mt, puis les Etats-Unis 320 Mt. Dans un contexte de diminution rapide de la production mondiale, elles se trouverait donc en compétition frontale avec ces deux pays. Et les pays n’ayant pratiquement plus de production pétrolière comme la France, seraient les plus vulnérables.

Bien sûr, il y aura de nouveaux investissements. Et ils seront d’autant plus importants que les prix du pétrole deviendront plus rémunérateurs. Mais peut-on croire un seul instant qu’en 7 ans, entre les nouvelles réserves découvertes, dont les volumes sont en moyenne en diminution depuis 1980, et ne représentent plus actuellement que le tiers de la consommation annuelle, et les progrès techniques permettant de tirer plus de pétrole des gisements en exploitation, mais de plus en plus péniblement, on pourra trouver et produire l’équivalent de cinq fois la production actuelle de l’Arabie Saoudite ?

Il nous semble que cette alerte rouge devrait être prise très au sérieux, et que notre pays devrait investir d’urgence et de manière beaucoup plus déterminée dans la substitution des produits pétroliers dans les transports et l’habitat par l’électrification. Seul le développement du nucléaire sera à même de fournir les quantités d’électricité nécessaires, même si l’on arrive à faire de gros progrès dans les économies d’énergie, si l’on veut éviter de recourir comme l’Allemagne au gaz et au charbon.

Plutôt que de rester accrochés à leur pétrole comme des moules sur leur rocher, nos compatriotes auraient intérêt à exiger une accélération de la transition de leur mobilité en remplaçant les carburants fossiles par l’électricité. La France a la chance de disposer d’une électricité bon marché et propre ; utilisons là donc au  mieux et étendons son domaine d’application grâce à des techniques de production non émettrices de gaz à effet de serre. A titre indicatif,  précisons que pour une voiture moyenne il faut dépenser 8,5€ pour parcourir 100 km avec de l’essence mais seulement 0,14€ avec de l’électricité. Il est vrai que les voitures électriques sont plus chères mais on en trouve d’occasion récente et de bonne qualité (2016)  à 9000 euros. Il faut, de plus compter sur la location de la batterie qui pourrait faire l’objet d’une aide de l’état  plus efficace et socialement juste qu’une subvention à l’achat[1].

Bernard Durand, Géologue, membre de  l’Association pour l'étude des pics pétrolier et gazier (ASPO), membre du Conseil Scientifique de « Sauvons Le Climat »

Hervé Nifenecker, Physicien, Président Fondateur de « Sauvons Le Climat »

 

[1] En effet le tarif de location dépend fortement du kilométrage annuel parcouru, et donc de la réduction des émissions de CO2

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