L’éolien et les émissions de CO2 en Belgique - André BERGER

André BERGER

 

André BERGER : L’éolien et les émissions de CO2 en Belgique - paru dans "La Libre Belgique" du 29 janvier 2007

 

La Libre Belgique, 29 janvier 2007 ÉNERGIE ÉOLIENNE ET ÉMISSIONS DE CO2 en BELGIQUE En Belgique, les émissions des industries énergétiques représentaient, en 2003 [1], 24% des 126 MtCO2 émises (les industries et procédés industriels, 31%, le résidentiel-tertiaire, 25%, et les transports 20%).

Si le secteur électricité représente moins d’un quart de nos émissions de CO2, c’est grâce aux centrales nucléaires. Si celles-ci avaient été remplacées par des centrales thermiques telles qu’existantes en 2003, la Belgique aurait émis 40 MtCO2 de plus (+32%) et le domaine des industries énergétiques aurait représenté 42% des émissions, largement devant les industries- procédés (24%), le résidentiel-tertiaire (19%), et les transports (15%).

En termes d’émissions de CO2, la production d’électricité n’est donc pas négligeable et mérite toute notre attention (sans parler du fait que cette énergie est des plus conviviales et donc appelée à augmenter le plus facilement). La demande a requis, en 2003, une production de 84,6 TWhe dont 47,4 à partir des centrales nucléaires, 34,5 à partir des centrales thermiques, 1,7 à partir de renouvelables (essentiellement la biomasse-1,4) et 1,1 dus à l’accumulation par pompage. Étant donné l’objectif de l’Union européenne en matière de renouvelables, il est important de se pencher quantitativement sur leur potentiel réel en matière de diminution des émissions de CO2 et, en particulier, sur celui des éoliennes.

Les éoliennes ne fournissent de l’électricité que de manière intermittente. Le problème majeur de tels renouvelables intermittents est qu’on ne sait pas encore stocker l’électricité en quantités à l’heure actuelle. Tant que c’est le cas, ou bien on accepte de n’avoir de l’électricité que pendant les périodes de production, ou bien on achète à l’étranger, ou bien on compense avec du thermique à flammes, gros émetteur de CO2.

Sur le continent, en Belgique, les éoliennes fonctionnent en moyenne 6,5 heures/jour et ce, de façon irrégulière et discontinue "au gré du vent". Le régime de vent en Belgique est peu diversifié ne permettant pas la création d’un réseau à éoliennes complémentaires (de toute façon si les éoliennes d’Ostende servaient à fournir l’électricité à Liège, qui fournirait l’électricité à Ostende !).

A cause de cette intermittence, il faut que chaque MW de puissance installée en éolienne soit "couvert" par un MW qui peut être, lui, fourni sur demande immédiate pour suppléer au démarrage et à l’arrêt sporadiques des éoliennes. Cette réponse immédiate à la carence des éoliennes est donnée par les centrales thermiques. Dans un tel cas, la production conjointe d’électricité par une éolienne de un MW et par une centrale thermique de un MW se monte annuellement à :

(MW x 6,5 + MW x 17,5) x 365 = 8,76 GWhe

dont 6,39 à partir de la centrale thermique. Celle-ci émettant quelque 843 gCO2 par kWhe produit, elle rejette :

6,39 x 106 x 0,843 = 5,4 ktCO2

On néglige ici le fait que la centrale thermique doit, en réalité, rester en veille de façon continue pour être constamment prête à répondre à la demande quand les éoliennes arrêtent de produire. L’installation conjointe de un MW éolien et un MW thermique conduit donc à une moyenne d’émission de, au moins :

5,4 x 109/8,76 x 106 = 615 gCO2/kWhe.

La moyenne actuelle d’émission de CO2 en Belgique par le secteur de production d’électricité est de

344 gCO2/kWhe

L’installation d’éoliennes contribue donc à augmenter les émissions de CO2 de 80 % par kWhe produit. Imaginons dès lors qu’on remplace une centrale nucléaire d’une puissance installée de 0,83GW par 553 éoliennes de 1,5 MW produisant 1,97 TWhe. La centrale thermique d’appoint de 0,83 GW produira elle 5,30 TWhe en émettant 4,47 MtCO2. Cela conduit donc à augmenter les émissions des industries énergétiques d’autant, c’est-à-dire de 15%. Ces conclusions ne sont évidemment valables que si les émissions du secteur production d’électricité sont relativement faibles, comme c’est le cas en Belgique, en France (106 gCO2/kWhe) et en Suède (84 gCO2/kWhe). Ce n’est certes pas le cas du Danemark, des Pays- Bas et de l’Allemagne où les éoliennes substituent leur production à celle de centrales presque exclusivement basées sur le charbon et le gaz. Mais doit-on pour autant se réjouir que ces pays, promoteurs de l’énergie éolienne, soient les plus grands émetteurs de CO2 par kWhe produit, quels que soient leurs moyens de production (Danemark : 676, Pays-Bas : 665, Allemagne : 624, pour une moyenne globale de 428 gCO2/kWhe dans l’EU-15). Quand on sait que la Belgique a déjà bloqué 110 millions d’euros (Rapport 8, 2005, de l’Agence Européenne de l’Environnement) pour faire face au non-respect de Kyoto, on a le droit, le devoir, de s’interroger sérieusement.

Finalement, il reste le problème du réseau de distribution illustré par les incidents récents, dont la panne du 4 novembre 2006 qui a privé d’électricité 15 millions d’européens. Même si une commission d’enquête internationale (www.sauvonsleclimat.org et www.cre.fr) n’a pas pointé explicitement la responsabilité de l’énergie éolienne, il ressort que d’une part, 60% de la production éolienne s’est volatilisée, en quelques secondes, de l’Allemagne vers le Portugal, l’Autriche et l’Espagne, ce qui a aggravé la situation de la partie ouest de l’Europe qui s’était retrouvée en sous-production par la coupure volontaire d’une ligne 400 kV enjambant la rivière Ems, et d’autre part, dans la zone Nord-Est de l’Europe, les re-connexions automatiques d’éoliennes qui s’étaient détachées du réseau contribuèrent à la détérioration des conditions du système de cette zone, ce qui compliqua le processus de restauration des conditions normales. De là, certains n’hésitent pas à prévoir que si l’EU-15 construisait les 55 GW éoliens prévus par Bruxelles, elle s’acheminerait vers des black-out hebdomadaires.

Sur Terre, 1,5 milliard d’habitants n’ont pas d’électricité. Pour ceux parmi eux qui ne peuvent disposer de barrage, ou encore où le manque de culture de sûreté interdit le nucléaire, l’éolien est un progrès, de l’électricité de temps en temps valant mieux que rien du tout. Pourquoi les pays où l’électricité de base n’est pas polluante et le nucléaire est accompagné d’une excellente sûreté (comme la Belgique) ne leur offriraient-ils pas les éoliennes qu’ils veulent implanter chez eux envers et contre tout ? Ceci serait un bon exemple d’application du mécanisme de développement propre proposé par le Protocole de Kyoto.

A. BERGER, Institut d’Astronomie et de Géophysique G. Lemaître, Université catholique de Louvain LLN, le 28 janvier 2007

[1] Ces proportions restent sensiblement les mêmes si on considère l’ensemble des gaz à effet de serre et/ou les valeurs de 2004, les dernières officiellement publiées.

 

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