Déclaration de weCARE sur la version du 31 déc. 2021 de l'ADC relatif à la Taxonomie

Marc DEFFRENNES

Déclaration de weCARE sur la version du 31 décembre 2021 de l'Acte Délégué Complémentaire relatif à la Taxonomie pour la finance durable couvrant le nucléaire et le gaz fossile.

 weCARE[1] est une alliance d'ONG basée à Bruxelles qui fait campagne pour un bouquet énergétique européen qui soit propre (Clean), abordable (Affordable) et fiable (Reliable), d'où le nom CARE. L'alliance s'intéresse de près à la politique européenne en matière d'énergie et de climat et aux initiatives de l'UE visant à promouvoir l'utilisation d'énergies bas-carbone considérées comme socialement durables, ce qui va au-delà du concept trop restreint de durabilité environnementale. Les initiatives récentes dans ce domaine comprennent le contrat vert européen, le paquet "Fit-for-55", les lignes directrices sur les aides d'État pour le climat et l'énergie et la taxonomie européenne pour la finance durable, cette dernière visant à répertorier les technologies énergétiques qui soutiennent l'objectif de neutralité carbone et qui peuvent donc bénéficier d'un soutien financier dans le cadre du contrat vert de l'UE et au-delà. Un premier acte délégué relatif à la taxonomie a été adopté en décembre 2021 et maintenant la Commission européenne a déposé un acte délégué complémentaire consacré spécifiquement à l'énergie nucléaire et au gaz naturel.

L'analyse de weCARE sur ce projet d'Acte Délégué Complémentaire est la suivante :

  1. Nous nous félicitons de l'inclusion, bien que tardive, de l'énergie nucléaire dans la Taxonomie. Comme indiqué dans une lettre précédente de weCARE, nous aurions préféré que la Commission attende que soit terminée l'évaluation finale de toutes les technologies concernées avant de publier le premier Acte Délégué sous une forme complète et consolidée, mais soit, nous sommes là où nous sommes. Nous notons néanmoins le grand nombre d'États membres qui se sont opposés ou abstenus lors du vote du premier acte délégué. La crédibilité de l'UE sur l'ensemble de ce processus de taxonomie est en jeu.
  2. Nous ne comprenons pas pourquoi le nucléaire est considéré dans l'ADC comme étant « transitoire », sur un pied d'égalité avec le gaz fossile. Personne ne peut contester que l'énergie nucléaire est une source d'énergie à très faible émission de carbone qui apporte déjà une contribution très importante à la lutte contre le changement climatique. Les experts scientifiques de la Commission ont conclu que le nucléaire ne cause pas plus de préjudices aux personnes ou à l'environnement que d'autres sources d'énergie comparables. Par conséquent, nous considérons que l'énergie nucléaire devrait être traitée au titre du chapitre 10.1 du règlement sur la taxonomie 2020/852[2].
  3. Pour cette raison, nous contestons le fait qu’il faille fixer une date limite, à 2045 pour l’obtention de permis de construire de nouveaux réacteurs, et à 2040 pour l’obtention d’autorisation d’extension d'exploitation (LTO – Long Term Operation). Nous considérons que le planning de ces projets ne devrait pas être limité dans le temps puisque le texte stipule que « l'énergie nucléaire devrait être qualifiée en l'absence d'alternative à faible teneur en carbone technologiquement et économiquement réalisable à une échelle suffisante pour couvrir la demande d'énergie de manière continue et fiable ». Il faut attendre que ces alternatives bas-carbone soient validées avant de fixer une date limite pour l'énergie nucléaire. De plus, ces dates de 2040 et 2045 sont incompatibles avec les rythmes industriels du nucléaire.
  4. Les combustibles « résistants aux accidents » ne sont pas disponibles, qualifiés ou homologués actuellement. Ils ont été renommés sous le nom de « combustibles de technologie avancée ». Exiger leur utilisation pour tous les projets soutenus dans le cadre de la taxonomie rend non viables les projets. Il revient aux autorités réglementaires nationales de décider si ces combustibles peuvent être utilisés et dans quels types de réacteurs.
  5. weCARE estime également que l'exigence d'avoir un plan national pour un stockage de déchets de haute activité en couches géologiques profondes qui soit opérationnel d'ici 2050 est, dans la plupart des cas, irréaliste et/ou inutile, si l’exigence est bien d’avoir un stockage en fonctionnement à cette date. La directive sur les déchets nucléaires de 2011 est assez claire et suffisante sur ce point.
  6. En ce qui concerne l'évaluation de la pertinence des projets nucléaires pour l'investissement, weCARE est d'avis que la Commission procède déjà à une évaluation très complète en vertu de l'article 41 du traité Euratom, ainsi qu'en vertu de la législation secondaire d'Euratom. Nous ne sommes donc pas convaincus de la nécessité d'un examen supplémentaire découlant de la Taxonomie, d'autant plus que toute exigence d'évaluation supplémentaire et périodique, avec des délais imprécis, ne fera que rendre les investisseurs moins enclins à se lancer dans de tels projets.
  7. Nous nous félicitons du fait que la Commission reconnaisse le potentiel des réacteurs avancés, incluant les technologies de cycle du combustible fermé et la surgénération, ce qui ouvre la voie à un recours à très long terme à l'énergie nucléaire de fission et contredit le qualificatif de « transitoire ». Cependant, les activités de recherche et développement, de démonstration et de déploiement pour les technologies nucléaires avancées et leur relation avec le financement durable lié à la taxonomie doivent être davantage clarifiées.
  8. Enfin, weCARE s'étonne que les applications non électriques de l'énergie nucléaire, qui pourraient bénéficier d'un financement durable, ne soient mentionnées que pour les réacteurs à construire dans les deux prochaines décennies, et non pour les réacteurs existants ou les réacteurs avancés du futur.

WeCARE, 13 janvier 2022

 

[1]     Des informations sur les objectifs, les membres et la documentation de l'alliance sont disponibles sur le site web https://www.wecareeu.org qui est régulièrement mis à jour. weCARE est enregistré dans le registre de transparence de l'UE sous le numéro 473723535459-78.

[2]     L'article 10(1) stipule qu' « une activité économique est considérée comme contribuant à l'atténuation du changement climatique lorsque cette activité contribue de manière substantielle à la stabilisation des concentrations de gaz à effet de serre dans l'atmosphère » (ce qui est évident pour l'énergie nucléaire) et ajoute les domaines ou critères a) à i). En particulier, l'article 10(1)h indique que sont éligibles « les activités produisant des combustibles propres et efficaces à partir de sources renouvelables ou neutres en carbone » ; de toute évidence, les activités nucléaires produisent et utilisent un combustible, l'oxyde d'uranium, à partir d'uranium naturel (qui n'est pas fossile), qui est neutre en carbone. La référence aux combustibles efficaces provenant de sources neutres en carbone justifierait l'inclusion des activités en amont du cycle du combustible nucléaire dans le champ d'application de l'ADC.

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