Etude de Jean Poitou
Avant-propos : Alors que le rôle de l’homme dans le réchauffement actuel du climat est reconnu de façon quasi unanime par la communauté des sciences du climat, un certain nombre de personnes mènent un combat sans relâche pour tenter de convaincre l’opinion et les décideurs qu’il n’en est rien.
Certains des opposants sont de parfaite bonne foi pour douter que l’homme agisse vraiment sur le climat. D’autres le proclament par intérêt : les actions nécessaires pour réduire le réchauffement ou s’y adapter vont à l’encontre de leurs intérêts.
Certains des arguments présentés par ceux qu’on appelle des climato-sceptiques sont basés sur des données biaisées ou des jeux de données excluant soigneusement ce qui pourrait contredire leur argumentation. D’autres arguments sont basés sur des calculs qui ne sont pas réalistes parce que leurs auteurs ont une vision trop simpliste des processus en jeu dans le système climatique.
Face à cette polémique, le but de ce papier n’est pas de discuter une par une les affirmations des uns ou des autres. Cela nécessiterait un gros volume dont la lecture pourrait s’avérer ardue. L’objectif de ce document est de donner au lecteur des moyens d’exercer sa vigilance et son esprit critique vis-à-vis des arguments qui lui sont présentés. Voir dans quelle mesure les données pourraient éventuellement ne montrer que la partie de la réalité qui va dans le sens de celui qui l’énonce, identifier d’éventuelles failles dans les raisonnements présentés.
Après une introduction sur les mécanismes du climat, ce papier commence par expliciter les règles de bon usage que sont censées respecter les présentations de données. Ensuite sont exposées quelques-unes des lacunes de représentations trop simplistes des processus climatiques qui conduisent à des conclusions erronées sur l’évolution du climat. Le lecteur est ensuite mis en garde contre les propos de certains scientifiques étrangers aux sciences du climat qui veulent se faire passer pour des experts du réchauffement. Enfin, le papier s’achève sur quelques impacts du réchauffement que les climato-sceptiques veulent ignorer.
Introduction
La Terre reçoit l’essentiel de son énergie du soleil : ce qui provient de l’intérieur du globe ne représente que 1/4000 de ce qui arrive du soleil. De l’énergie s’échappe de la Terre vers l’espace, une partie étant simplement la lumière solaire incidente réfléchie ; le reste, sous forme de rayonnement infrarouge est émis par la surface terrestre et par l’atmosphère. Les rayons solaires qui ne repartent pas vers l’espace sont absorbés, leur énergie se retrouve sous forme de chaleur. De façon similaire, le rayonnement infrarouge émis par la Terre emporte de l’énergie. Quand la quantité d’énergie qui quitte la Terre diffère de la quantité d’énergie qui lui arrive, il y a, selon le signe de cet écart, refroidissement du globe s’il part plus d’énergie qu’il n’en arrive, et réchauffement dans le cas contraire. Ces variations de la température de la terre et de son atmosphère vont se poursuivre jusqu’à ce qu’un nouvel équilibre entre énergie reçue et énergie émise soit atteint. Ainsi, tout ce qui modifie le bilan de l’énergie échangée avec l’espace va induire une modification du climat.
La Terre étant sphérique, la surface de sol touchée par un rayon de soleil est d’autant plus grande que l’on s’éloigne de la zone équatoriale. La quantité de chaleur apportée par unité de surface décroit donc de l’équateur aux pôles. La machine climatique redistribue cette chaleur à la surface du globe, atténuant le contraste latitudinal. Cette redistribution est portée par les deux fluides qui enveloppent le globe : l’atmosphère et l’océan.
Le cycle de l’eau joue un rôle important dans cette redistribution du fait des caractéristiques de l’eau qui se trouve dans notre environnement sous ses 3 phases physiques : solide, liquide et vapeur. Le passage d’une phase à l’autre se fait avec une consommation importante de chaleur (fusion, vaporisation) ou une restitution des mêmes quantités de chaleur (gel, condensation).
Un déséquilibre du bilan énergétique du globe et le changement du climat qui en résulte, peuvent être dus à une modification soit de l’intensité du rayonnement solaire incident pour lequel l’atmosphère est essentiellement transparente, soit de la réflectivité de la Terre pour ce rayonnement, soit de la transparence de l’atmosphère au rayonnement infrarouge.
Le climat peut aussi être affecté par des fluctuations internes au système climatique, liées au couplage entre les mouvements propres de l’atmosphère et les mouvements propres de l’océan. De telles fluctuations sont limitées à une région plus ou moins large du globe. L’étude des climats du dernier million d’années montre que le système climatique est parfois sujet à des phénomènes de bascule dans lesquels la température croît rapidement dans un hémisphère en même temps qu’elle décroit dans l’autre. Ce type de phénomènes est lié à des modifications de la circulation océanique. Ces fluctuations propres du climat ont cependant une incidence limitée en valeur et en temps sur la température moyenne globale. Ainsi un fort El Niño peut accroître, pendant une durée de l’ordre d’un an, la température moyenne à la surface du globe de 0,1 – 0,2 degré.
Du fait de la grande variabilité météorologique (le temps fluctue beaucoup d’un jour à l’autre, d’une année à l’autre), on se doit de considérer uniquement les tendances sur des périodes longues pour évaluer une évolution climatique ; typiquement on considérera des périodes couvrant trois décennies.
Depuis la décennie 1970 on constate un réchauffement de la température moyenne de la surface du globe. Sur ce sujet, circulent beaucoup d’informations, souvent contradictoires, dont le profane a du mal à apprécier le niveau de crédibilité. Dans ce qui suit, nous exposons certaines des caractéristiques qui font qu’une information est plausible ou au contraire doit être considérée avec prudence, voire rejetée. Nous pointons également un certain nombre de théories qui sont incompatibles avec la physique du climat. Enfin, nous verrons dans quelle mesure ceux qui minimisent les impacts d’un réchauffement, prennent en compte la réalité des choses.
Quelques règles de bon usage dans la présentation des données
Couverture temporelle
Du fait des fluctuations propres du climat et de la variabilité météorologique, il importe de considérer des périodes qui ne soient pas trop courtes. Les observations météorologiques bien distribuées sur une grande partie du globe terrestre datent de 1880. Depuis la décennie 1970, on observe un réchauffement marqué. Au fil du temps les mesures deviennent à la fois plus nombreuses et plus précises. Si un document montre une série de données qui ne couvre pas toute la période pour laquelle les données sont disponibles, il faut toujours se demander pourquoi. En effet, souvent, pour biaiser une présentation, des auteurs choisissent de n’utiliser qu’une série temporelle limitée, dans le but d’occulter la tendance qui serait ressortie s’ils avaient utilisé les données d’une période plus longue. Le choix d’une couverture temporelle limitée peut cependant être justifié si les données présentées sont extraites, sans les tronquer, d’une publication scientifique dont évidemment on aura donné la référence ; et sous réserve que la publication citée n’ait pas été rectifiée par une publication plus récente.
Couverture spatiale
Un phénomène ne peut être qualifié de global que s’il affecte de façon synchrone les diverses régions du globe. Toutefois ce phénomène peut avoir une intensité très variable d’un lieu à un autre. En effet, la latitude, la position des continents, le relief, les régimes des vents, les courants marins… conditionnent la façon dont les évolutions se répartissent à la surface du globe. Des observations d’un même phénomène en divers points du globe ne permettront de faire qualifier ce phénomène de global que si elles sont concomitantes. L’observation par satellite, quand elle est possible, apporte une contribution précieuse pour apprécier le caractère global d’un phénomène.
Cependant, un phénomène peut présenter certains effets déroutants, voire contradictoires. Par exemple, l’affaiblissement du Gulf Stream dû au réchauffement global peut conduire à un refroidissement sur l’Atlantique Nord qui va contrebalancer localement la tendance générale. Ainsi, certaines anomalies locales dans l’évolution du climat global sont en fait des conséquences de cette évolution. Dans de tels cas les causes de cette anomalie locale apparaissent physiquement liées à l’évolution globale par des processus connus.
Quelles données
Il faut une période longue pour définir une tendance climatique. La météorologie est très fluctuante, le temps change beaucoup d’un jour à l’autre, d’une semaine à l’autre, d’un mois à l’autre, d’une année à l’autre. Si on porte sur un graphique la température moyenne globale mois après mois, la courbe obtenue est fluctuante (grisé sur la figure 1), avec des variations mensuelles qui sont nettement supérieures aux variations interannuelles ou à la tendance. Pour réduire le bruit d’origine météorologique, on effectue des moyennes. La moyenne annuelle (courbe bleue) est encore assez chahutée. Pour cette raison, la plupart des auteurs travaillant dans les sciences du climat préfèrent une moyenne glissante sur 5 ans qui est beaucoup plus régulière (courbe rouge). Finalement si on désire s’affranchir de la modulation due au cycle de l’activité solaire (11 ans), on utilisera la moyenne glissante sur 11 ans (courbe noire).
Les modèles climatiques doivent être capables de reproduire la nature chaotique de la physique du climat, et donc l’amplitude des variations mensuelles ou annuelles, mais ces variations n’ont bien sûr aucune raison d’être synchrones avec celles du climat réel. Ainsi, lorsqu’on compare les résultats de modélisations climatiques à des observations, il est nécessaire de lisser ces fluctuations chaotiques au moyen de moyennes temporelles appropriées, ou d’en tenir compte dans l’appréciation des différences
La comparaison des observations aux résultats d’un modèle d’évolution du climat aura beaucoup plus de sens si elle se fait avec des données filtrées des fluctuations rapides de la météorologie ou de celles dues au cycle du soleil. Évidemment un modèle (contestataire) qui prétend reproduire les observations pourra assez aisément s’insérer dans la zone grisée de la figure alors qu’il ne s’approcherait que très médiocrement de la courbe noire.
Figure 1 : Évolution de la température moyenne globale depuis 1880 (données HADCRUT4 https://crudata.uea.ac.uk/cru/data/temperature/). En grisé, les moyennes mensuelles ; en bleu les moyennes annuelles, en rouge les moyennes glissantes sur 5 ans ; en noir les moyennes glissantes sur 11 ans. L’ordonnée correspond à l’écart par rapport à la moyenne des années 1961 – 1990.
Corrélations
Certains auteurs présentent des observations de corrélations entre un paramètre environnemental et un paramètre lié au climat ou à la météorologie comme une preuve de l’influence de ce paramètre environnemental sur le climat. Il ne faut pas oublier que des corrélations ne sont jamais à elles seules une preuve de relation de cause à effet. On peut trouver de nombreux exemples de coïncidences complètement fortuites. Voir par exemple l’article de Jean-Pierre Delahaye dans Pour la Science N° 481 de novembre 2017, dont quelques courbes sont reproduites dans la figure 2. Pour que la relation de cause à effet soit plausible, il faut qu’on puisse énoncer et justifier quantitativement le processus par lequel la cause supposée produirait précisément l’effet observé.
Figure 2. Corrélation ne signifie pas relation de cause à effet. Les exemples de la figure (tous américains), en sont une bonne illustration.
Origine des informations
Quand on montre des données, des figures, en science, il convient de citer ses sources. Cela permet au lecteur ou à l’éditeur de se reporter à la source originelle pour en savoir plus sur les données, sur les incertitudes associées… Même si l’indication de la source n’est pas une garantie d‘authenticité (la référence est parfois erronée, ou les données manipulées ou tronquées avant présentation), son absence doit toujours inciter à la prudence.
Des théories qui ignorent la physique des processus en jeu
Certaines personnes, éventuellement de bonne foi, prétendent démontrer que l’homme n’est pas en cause dans l’évolution récente du climat. À cet effet elles élaborent des théories et se livrent à des calculs qui leur semblent probants. Toutefois leur méconnaissance de phénomènes intervenant dans le fonctionnement du climat leur fait élaborer des théories qui ne s’appliquent pas à la réalité de la machine climatique. Nous allons en donner quelques exemples.
L’atmosphère agissant comme une vitre
Un certain nombre de calculs reposent sur l’hypothèse implicite que l’atmosphère se comporte comme une feuille mince transparente à la lumière visible : comme une vitre. Le rayonnement thermique de la Terre vers l’espace est supposé émis par la surface terrestre. Si on suppose que la « vitre » est opaque pour ce type de rayonnement, celui-ci est absorbé et rien n’en part vers l’espace.
Cette hypothèse est implicite dans les raisonnements qui affirment que, puisque tout étant quasiment absorbé dans les premiers mètres de l’atmosphère, doubler la concentration de CO2 ne peut pas augmenter significativement une absorption qui est déjà quasi-totale. La même hypothèse implicite sous-tend les argumentations selon lesquelles le CO2 ne joue pratiquement aucun rôle puisque le rayonnement a déjà été arrêté par la vapeur d’eau, le principal gaz à effet de serre naturel, beaucoup plus abondant dans l’atmosphère que le CO2.
En fait, de tels raisonnements violent le principe de conservation de l’énergie. Ils ignorent une des lois d’émission du rayonnement infrarouge, la loi de Kirchhoff : tout corps susceptible d’absorber un rayonnement est lui-même émetteur de rayonnement aux mêmes longueurs d’onde. Ainsi, si le CO2 ou la vapeur d’eau, absorbent du rayonnement infrarouge, ces corps émettent aussi un rayonnement dans les mêmes longueurs d’onde. Le rayonnement qui quitte la Terre sera donc émis essentiellement par l’atmosphère et pas par la surface terrestre. Il quittera l’atmosphère lorsque la quantité de gaz absorbant située au-dessus du point d’émission ne suffira plus à l’absorber. Quand la concentration de gaz à effet de serre croît, l’altitude à laquelle le rayonnement doit être émis pour quitter l’atmosphère va donc s’élever. Comme la température décroît avec l’altitude dans la troposphère, l’intensité du rayonnement émis à l’altitude qui permet de quitter l’atmosphère va décroître tant que le climat n’aura pas réagi, puisque l’intensité du rayonnement émis varie comme la puissance 4 de la température absolue. L’énergie emportée par le rayonnement sera donc plus faible que celle apportée par le soleil. Il s’en suivra une accumulation de chaleur et donc un réchauffement de l’atmosphère. Celui-ci accroît le rayonnement émis et permet d’atteindre un nouvel état d’équilibre dans lequel l’énergie apportée par le rayonnement solaire entrant est compensée par un rayonnement infrarouge sortant accru du fait de l’augmentation de la température. Ceci est illustré sur la figure 3.
Figure 3. L’augmentation de la concentration atmosphérique de gaz à effet de serre fait augmenter la température. La figure a montre le système dans son état initial, où l’énergie sortante équilibre l’énergie entrante. La ligne oblique schématise le profil vertical de température de la troposphère, dont la pente est fixée par la thermodynamique. Si la concentration de gaz à effet de serre croit (figure b), les infrarouges qui peuvent quitter l’atmosphère n’emportent plus assez d’énergie. La température de l’atmosphère doit croître pour que le système atteigne un nouvel équilibre (figure c), et, la pente du profil vertical étant inchangée, la température croît simultanément au niveau de la surface. Des explications détaillées peuvent être trouvées dans un article de Jean-Louis Dufresne et Jacques Treiner paru dans La Météorologie en février 2011.
Le CO2 se répartit uniformément dans l’atmosphère. À l’inverse, lorsque la température baisse, la capacité de l’air à contenir de la vapeur d’eau sans que celle-ci ne se condense diminue fortement. De ce fait, la concentration de vapeur d’eau dans l’air chute lorsqu’on s’élève. Si des concentrations de l’ordre du % sont possibles au voisinage de la surface du globe, elles sont nécessairement plus faibles à quelques km d’altitude, là où interviennent les processus radiatifs qui régissent le bilan radiatif de la Terre. Ainsi, la vapeur d’eau joue un rôle mineur par rapport au CO2 dans l’évolution actuelle du climat.
CO2 atmosphérique
En l’absence de perturbations apportées par l’homme, l’atmosphère échange des quantités considérables de CO2 avec l’environnement à bilan total nul. Ce sont environ 250 milliards de tonnes qui, chaque année, sont émises et absorbées dans les échanges entre l’atmosphère et les océans. Par ailleurs environ 420 milliards de tonnes sont émises et absorbées par les continents (végétation). Ces deux bilans annuels globaux sont équilibrés : pour chaque molécule émise, il y en a une qui est absorbée.
Composition isotopique
Dans la nature, le carbone existe sous 3 formes isotopiques différentes (le noyau de l’atome contient toujours 6 protons mais pas le même nombre de neutrons). Le carbone naturel contient près de 99% de carbone 12 (6 neutrons), 1% de carbone 13 (7 neutrons), et des traces infimes (10-12) de carbone 14 (8 neutrons). Ce dernier est produit par des réactions nucléaires entre le rayonnement cosmique et les atomes d’azote de l’atmosphère. Le carbone 14 est radioactif avec une demie vie de 5730 ans (au bout de 5730 ans la moitié des atomes de carbone 14 a redonné de l’azote 14). Le carbone des combustibles fossiles qui n’a pas interagi avec l’atmosphère depuis des centaines de millions d’années ne contient évidemment plus de carbone 14. De plus ces combustibles sont pauvres en carbone 13 du fait de leur origine biologique (l’assimilation de carbone dans les réactions biologiques favorise le carbone 12, plus léger et donc plus mobile). Les mesures isotopiques offrent donc un moyen de suivre l’effet de la combustion du charbon, du pétrole et du gaz sur la composition du carbone de l’atmosphère. La faiblesse anormale des concentrations de carbone 14 et de carbone 13 dans l’atmosphère dans les années 1950 a permis de mettre en évidence l’origine fossile d’une partie du carbone atmosphérique.
Le suivi des compositions isotopiques permet d’estimer la durée moyenne du séjour d’une molécule de CO2 dans l’atmosphère. On trouve qu’elle est faible : seulement de quelques années. La perturbation de la concentration de CO2 dans notre atmosphère est estimée par les climatologues à plusieurs siècles. Arguant de la faible durée de séjour atmosphérique d’une molécule de CO2, certains concluent que l’homme ne peut contribuer significativement à l’augmentation de la concentration de ce gaz dans l’atmosphère. Mais ce raisonnement ignore les échanges de carbone avec l’environnement et leur importance dans la concentration relative des différents isotopes du carbone. La dynamique qui régit le sort d’une molécule ne préjuge pas de celle qui décrit les grands ensembles. Par exemple dans une enceinte fermée à température constante contenant de l’eau liquide et de la vapeur d’eau, les volumes et les masses d’eau et de vapeur restent constants alors que des molécules d’eau traversent sans cesse la surface, passant d’un milieu à l’autre. Pour en revenir au CO2, sur une année, l’océan et la végétation échangent avec l’atmosphère au total plus de 10 fois ce que l’homme y injecte pendant cette période. Cela veut dire que du carbone ayant une certaine composition isotopique sera remplacé dans l’atmosphère par du carbone ayant une autre composition isotopique initialement stocké dans les océans ou les plantes. La composition isotopique du carbone de l’atmosphère n’est donc certainement pas le bon paramètre pour déterminer le temps de vie du carbone qui s’y trouve : elle permet d’estimer le temps de résidence d’une molécule de CO2 dans l’atmosphère, mais pas le temps caractéristique d’une perturbation globale de composition liée à des émissions anthropiques de CO2 qui se cumulent au fil des ans.
Origine du carbone atmosphérique
Pour certains auteurs, le carbone qui s’accumule dans l’atmosphère serait émis par l’océan suite au réchauffement marquant la sortie du Petit âge de glace depuis le milieu du 19ème siècle. Cette affirmation est contredite par les faits : la quantité de CO2 dissous dans l’eau de mer augmente régulièrement, provoquant une acidification croissante (baisse du pH) des océans. Puisque le taux de CO2 dissous augmente, c’est qu’il y a absorption et non émission par l’océan.
En outre, le bilan du carbone atmosphérique montre que son augmentation annuelle est de l’ordre de la moitié des émissions humaines. Celles-ci peuvent être déterminées avec une précision de l’ordre de 10% puisqu’on sait quelles quantités de combustibles fossiles ont été extraites puis brûlées. La moitié de nos émissions qui quitte l’atmosphère est absorbée par l’environnement (océans et surfaces terrestre), une preuve que ce n’est pas lui qui est à l’origine de ce qui s’accumule dans l’atmosphère.
Des affirmations naïves
Concentration actuelle du CO2
Certains prétendent que la faible quantité de CO2 présent dans l’atmosphère ne peut avoir d’impact sur le climat. Ce raisonnement qui ne repose sur aucune théorie, ignore un certain nombre de réalités. D’abord, la quantité de CO2 (0,04 %) n’est pas négligeable : si au lieu d’être mélangés, les différents gaz se séparaient et stratifiaient par densité, le CO2 formerait autour du globe une couche de 3,20 m d’épaisseur. Ensuite, une concentration très faible n’est pas la preuve d’une action négligeable. Ainsi, dans notre organisme, les hormones qui y jouent un rôle essentiel pour notre bonne santé ont des concentrations 1000 fois plus faibles que celle du CO2 dans l’atmosphère.
Concentration passée du CO2
Dans le passé, la Terre a connu des concentrations de CO2 bien plus élevées qu’actuellement sans que cela entraine un réchauffement. Il faut toutefois préciser ce qu’on appelle le passé et ce qui s’est alors réellement produit. Le passé, cela peut être les années précédant les mesures précises du CO2 atmosphérique, effectuées loin des sources de pollution, initiées par Keeling en 1958, mais cela peut aussi être les ères géologiques de la Terre.
Concernant les diverses mesures effectuées antérieurement à 1958, les résultats présentent des variations considérables en des temps très courts, des variations qui ne peuvent être représentatives de l’atmosphère terrestre dans son ensemble. En effet, il n’existe aucun processus qui puisse, à l’échelle globale, absorber suffisamment de CO2 en des temps très courts pour faire passer de valeurs élevées d’une mesure aux valeurs faibles mesurées peu de temps après. En fait, dans ces cas-là les mesures étaient effectuées à côté des laboratoires de sorte qu’elles intégraient au moment de la mesure le CO2 qui venait juste d’être émis localement par les usines, le chauffage ou la circulation. C’est précisément pour s’affranchir de ces perturbations fluctuantes liées aux activités humaines que Keeling a eu l’idée d’installer ses stations de mesure loin de celles-ci dans une île au milieu du Pacifique.
En ce qui concerne les ères géologiques, les conditions générales étaient alors très différentes. Il suffit de rappeler que l’activité du soleil croissant avec son âge (augmentation de 7% par milliard d’années), il y a quelques centaines de millions d’années, il fallait une concentration de CO2 beaucoup plus élevée qu’aujourd’hui pour aboutir à la même température à la surface du globe.
Emissions de CO2 et variation du climat
Le climat de la Terre a connu des variations importantes. Pensons par exemple aux glaciations que la Terre a connues au cours des 3 derniers millions d’années, et dont nous avons une connaissance assez précise pour les dernières centaines de milliers d’années grâce à l’analyse des carottes de glace extraites de l’Antarctique et du Groenland. Dans certains cas, l’initiation des variations de température semble avoir précédé celle des variations de la concentration atmosphérique du CO2. Si c’est le cas pour le déclenchement du refroidissement, dont les caractéristiques astronomiques de l’orbite de la Terre sont la cause, c’est faux au moins dans un certain nombre de cas pour le réchauffement. Néanmoins, certains déduisent des cas où le début du réchauffement aurait précédé le début de l’accroissement atmosphérique du CO2, que ce n’est pas le CO2 qui agit sur le climat mais l’inverse. Serait-il donc si extraordinaire que deux phénomènes ne puissent selon les circonstances servir de cause l’un à l’autre ? Par exemple un moteur électrique asynchrone engendrera un mouvement lorsqu’on l’alimente en courant mais pourra produire de l’énergie électrique si par une action extérieure on le force à tourner. Notons de plus que, si l’effet de serre n’est pas le processus qui déclenche les glaciations, la diminution de l’effet de serre due à la décroissance des concentrations atmosphériques de CO2 et de vapeur d’eau a joué un rôle fondamental pour donner au refroidissement l’ampleur qu’on lui connait.
Certains mentionnent des variations passées du climat où le CO2 ne joue pas de rôle moteur comme l’optimum (période chaude) d’il y a 8000 ans. Or on sait que ce dernier est dû à une configuration orbitale spécifique de la Terre autour du soleil, une situation qui se met en place sur des échelles de temps de milliers d’années et non de dizaines d’années comme les variations que l’activité humaine actuelle est en train de créer.
D’autres mentionnent des observations limitées géographiquement où un réchauffement régional était compensé globalement par un refroidissement d’autres régions.
Des données satellitales détournées
Les satellites sont très utilisés pour acquérir des données météorologiques et climatologiques et suivre leur évolution. Les instruments embarqués sur satellites apportent des informations précieuses, en particulier car un instrument unique peut apporter une couverture quasi globale quotidienne. Plusieurs instruments sur un satellite donné permettent d'observer simultanément des paramètres variés. Cependant, ils ont aussi leurs limites que certains utilisateurs de leurs données ignorent ou feignent d’ignorer. Ces dernières années, les climato-sceptiques ont mis en avant la température de l'atmosphère, qui est déduite de l’intensité du rayonnement, infrarouge et microonde émis par le milieu observé. Une limitation majeure est que la température obtenue est représentative d’une couche d’atmosphère très épaisse et mal définie. Le lien avec la température de surface n’est pas direct et peut varier dans le temps. D’autre part, l’étalonnage des instruments en vol n’est pas facile et est une source d’incertitude. Les climato-sceptiques présentent ces indices de température, sans mentionner les limitations, et surtout sans indiquer qu’elles ne sont pas directement représentatives de la température de surface, qui est pourtant le paramètre important puisque c’est à la surface, et pas à 5 km d’altitude, que nous vivons.
Des experts qui n’en sont pas
La controverse sur l’action de l’homme sur le climat par opposition avec les conclusions du GIEC, est rarement le fait de climatologues. Certes on en trouve quelques-uns (John Christy, Judith Curry, Richard Lindzen) qui y participent. Mais quelle théorie n’a pas ses détracteurs au sein de la communauté de ses spécialistes ? La théorie de l’évolution, la relativité, la mécanique quantique, ont toutes eu leurs opposants, et il en reste toujours quelques-uns, bien que la relativité et la mécanique quantique soient à l’œuvre partout dans notre vie quotidienne (sans elles, nos ordinateurs ou le GPS ne fonctionneraient pas).
Parmi les scientifiques, le gros des opposants à l’influence de l’homme d’aujourd’hui sur le climat se recrute dans d’autres disciplines. Ces scientifiques n’ont cependant qu’une connaissance très partielle des processus en jeu. On les retrouve ainsi parmi les défenseurs des thèses erronées mentionnées dans les pages précédentes. Certains, pour crédibiliser leur point de vue, se présentent néanmoins comme des experts du climat : comme des experts du GIEC pour les rapports sur le climat que cette entité publie régulièrement.
Qui sont les experts du GIEC ? L’élaboration des rapports du GIEC se fait en plusieurs étapes. Tout d’abord, des scientifiques choisis pour leur connaissance de la discipline, attestée par leur production scientifique dans des revues de référence, sont sélectionnés pour rédiger le rapport. Ils en rédigent une première version qui est soumise à un panel aussi large que possible d’« experts » qui feront toutes les remarques, commentaires, demandes de modifications, qui leur semblent justifiées. À ce stade, n’importe quel scientifique peut se faire agréer comme expert et soumettre son point de vue. De là vient l’ambiguïté de la notion d’expert dont certains jouent pour confondre le public. Pour être expert, il suffit d’en faire explicitement la demande, en justifiant qu’on a des compétences scientifiques. Si la très grosse majorité des experts sont effectivement des experts du domaine, les scientifiques ayant leurs compétences dans des domaines extérieurs à celui des sciences du climat sont également acceptés comme experts. Il est en effet apparu judicieux de disposer d’un éventail aussi large que possible incluant des regards extérieurs au domaine pour garantir la pertinence des rapports. Les auteurs du rapport ont alors l’obligation d’étudier toutes les remarques qui leur sont faites, quelle que soit leur origine. Si elles ne leur semblent pas pertinentes, ils doivent expliciter pourquoi ils choisissent de ne pas les prendre en compte. Le projet de rapport est alors modifié pour tenir compte des avis d’expertise qui ont été validés. La seconde version est alors soumise à un nouveau panel d’experts qui peuvent avoir fait partie ou non du premier panel.
Que peut-on alors penser de ceux qui, ayant relu un rapport et l’ayant seulement commenté, se présentent publiquement comme « experts auprès du GIEC » ? Juste qu’ils utilisent un label rendu facilement accessible par la communauté elle-même, pour jouer sur les termes et faire accroire que cela garantit qu’ils ont des compétences en climatologie ?
Les conséquences du réchauffement
Indépendamment des questions concernant le climat, on assiste aussi à des controverses sur les impacts du changement climatique, pour l’homme et pour l’environnement. Dans ce cas ce ne sont pas nécessairement le réchauffement ni le fait qu’il soit dû à l’homme qui sont niés. Par contre les conséquences sont présentées comme négligeables voire bénéfiques pour le globe et pour l’humanité. Nous allons donner quelques exemples.
Température
« Une augmentation de trois degrés, ce n’est finalement rien de plus que de retrouver à Lille le climat actuel de Marseille. Ce serait donc plutôt agréable. »
Ce genre d’affirmation plaisante est malheureusement tendancieuse pour trois raisons :
- d’une part le réchauffement n’est pas uniforme à la surface du globe ; les continents se réchauffent beaucoup plus que les océans ; et le réchauffement est d’autant plus accentué qu’on est plus loin de l’équateur. C’est ce qui est déjà observé actuellement. Un réchauffement terrestre moyen de 3 degrés, c’est au moins un réchauffement de 5 degrés à Lille.
- L’environnement géographique de Lille est très différent de celui de Marseille. La ville n’est pas située au bord d’une mer qui tempère les effets des canicules.
- la modification du climat ne se limite pas à un réchauffement moyen. Le régime des précipitations aussi est modifié. Et, surtout, les extrêmes (par exemple les fortes précipitations, l’intensité et la durée des canicules …) sont accentués. Or ce n’est pas tant l’état moyen que les extrêmes qui ont un impact fort sur nous.
Certains argüent que l’homme a déjà connu des réchauffements importants. Entre le maximum de la dernière glaciation il y a 21 000 ans et l’optimum d’il y a 8 000 ans, la température moyenne globale avait augmenté de 6 degrés. Selon eux cela s’est fait sans conséquences catastrophiques pour l’humanité. Cette affirmation est difficilement vérifiable, mais prenons la pour vraie. Nous devons noter que l’augmentation de la température a été 10 fois plus lente que celle que nous induisons actuellement. Et la Terre ne comptait que quelques millions d’habitants et non des milliards comme aujourd’hui. Les ajustements individuel et collectif aux modifications de l’environnement pouvaient être effectués posément, et sans les problèmes conflictuels majeurs que risquent d’engendrer les déplacements massifs de population.
Finalement n’oublions pas qu’il n’est pas exclu que des changements climatiques aient été la cause de l’extinction de certaines civilisations.
Le grand Nord va souffrir particulièrement du réchauffement : toutes les infrastructures s’appuient sur un sol gelé et donc rigide, dont la fonte va complètement faire disparaître la cohésion. Dès à présent, on constate des effondrements d’infrastructures et d’habitations.
Niveau de la mer
En se réchauffant, l’eau des mers se dilate. Mécaniquement cela fait monter leur niveau. En outre, le réchauffement provoque des fontes massives de glaciers, tant continentaux qu’alpins. Ceci ajoute de l’eau aux océans et participe à l’élévation du niveau marin.
Beaucoup pensent qu’une montée du niveau de la mer de quelques dizaines de cm en un siècle c’est peu de choses : il serait « facile » de s’en protéger avec des digues comme le montre l’exemple néerlandais dont de grandes métropoles côtières (Rotterdam, Amsterdam) sont situées plusieurs mètres au-dessous du niveau de la mer. Cependant les personnes qui disent cela paraissent ignorer que la mer n’est pas une grande bassine d’eau calme. Le système océanique mondial est soumis aux vents et aux tempêtes. Il est le siège de courants marins. Sa température n’est pas partout la même. Il s’ensuit que le niveau de la mer présente de fortes variations selon le lieu. Ces variations vont se trouver amplifiées par le réchauffement climatique qui va aussi altérer les courants marins. Ainsi, comme le montre la figure 4, on observe déjà une grande disparité géographique dans la montée du niveau de la mer. Si certaines régions seront peu affectées par une montée moyenne de 40 à 50 cm (la valeur actuellement prévue d’ici la fin du 21ème siècle), d’autres le seront beaucoup.
D’autre part, si construire et entretenir une digue est à la portée d’un état développé et peu étendu comme les Pays-Bas, il en sera tout autrement pour les pays plus pauvres qui ont justement une part de plus en plus importante de leur population qui vit dans leur bande côtière.
Figure 4 : le niveau de la mer ne monte pas de façon uniforme. Certaines régions telles que les états insulaires du Pacifique, subissent une élévation 10 fois plus rapide que d’autres régions.
Biodiversité
Les espèces animales et végétales prospèrent chacune dans les conditions environnementales (température, pluviosité) qui leur sont favorables. Quand les conditions locales changent, les espèces qui le peuvent migrent pour retrouver des conditions favorables, alors que les autres disparaissent. La plupart des animaux peuvent en principe migrer (tant qu’ils ne rencontrent pas un obstacle naturel (mer, montagne) ou artificiel (voies de circulation, urbanisation) qui le leur interdit. Il leur reste ensuite à dénicher des écosystèmes qui leur conviennent. Il n’en est pas de même de la végétation, particulièrement les arbres qui ont un cycle végétatif long qui ne leur permet pas de suivre la rapidité d’un changement climatique qui s’accélère.
Conclusion
Comme exposé dans l’avant-propos, ce papier ne présente et ne discute pas les arguments des climato-sceptiques sauf dans des cas où c’est clairement une méconnaissance du sujet qui est à l’origine de ces arguments. La réfutation de la plupart des arguments nécessite souvent des connaissances sur le fonctionnement du climat que n’a pas le profane et des développements dont le volume aurait nui à la lisibilité de ce papier. Pour les questions sur le réchauffement climatique l’Institut Pierre Simon Laplace a créé un site : « Le climat en questions » https://www.ipsl.fr/Pour-tous/Le-climat-en-questions où le lecteur trouvera des réponses accessibles au non spécialiste. Le fonctionnement du climat est détaillé dans un livre accessible sans connaissances mathématiques (il ne contient aucune formule mathématique) abondamment illustré : « Le Climat : la Terre et les hommes » de Jean Poitou, Pascale Braconnot et Valérie Masson-Delmotte (EDP Sciences). Il est aussi disponible en version électronique.
Lien vers l'étude de Jean POITOU, document pdf complet : Climat : distinguer le vrai du faux