Réflexions sur la biomasse énergétique

Paul Mathis et Georges Pelletier

 

Paul MATHIS et Georges PELLETIER - octobre 2011

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Résumé

Cette étude présente la biomasse énergétique sous les angles de ses trois sources principales (la forêt, l’agriculture, les déchets) et de trois grands besoins énergétiques (la chaleur, les carburants pour les transports, l’électricité), dans le contexte national.

La plupart des scénarios énergétiques actuels accordent une très large place à la biomasse, énergie renouvelable. Cette étude montre qu’il sera très difficile de répondre à ces attentes car la biomasse, produite sur des sols dont la surface utile ne fait que diminuer, est aussi sollicitée pour d’autres besoins en expansion :

-- pour les humains, les besoins de nourriture végétale ou animale ;

-- pour la construction, les bois d’œuvre et les matériaux d’isolation thermique ;

-- pour l’industrie, les textiles et les fibres ;

-- pour la chimie, les molécules de base en remplacement des fossiles en pétrochimie.

Face à des demandes croissantes, il nous semble qu’il faudra tirer parti des sols par une exploitation intensive, qui devra quand même rester durable, qu’il s’agisse des forêts ou de nouvelles cultures dédiées. S’agissant pour l’essentiel de productions par des exploitants individuels, ces filières ne pourront se développer que si les conditions économiques les y incitent. Les solutions techniques pourraient être les suivantes :

 

Forêt et filière bois :

-  plantations en futaie, par parcelles homogènes et de surfaces importantes ;

-  exploitation des rémanents et des forêts non exploitées ;

-  expérimentation de l’utilisation du bois pour produire de l’électricité en réponse aux pointes de demande ;

-  valorisation des bois récupérés et des déchets de l’industrie du bois ;

-  plantation et exploitation de taillis à courte rotation, pour le chauffage et la production de biocarburants de seconde génération, liquides ou gazeux.

 

Agriculture :

-  pour les bioproduits et pour le biocarburants, utiliser 5 Mha de cultures à forte productivité en lignocellulose : luzerne, triticale et graminées pérennes comme le miscanthus. Mise en place de nouvelles structures de production adaptées ;

-  encourager les exploitations mixtes agriculture/élevage pratiquant des cultures destinées à la production de biogaz, pour méthane injecté dans le réseau ;

-  les surfaces consacrées aux taillis à courte rotation et aux cultures pour biogaz seront obtenues pour partie en remplacement des terres consacrées aux biocarburants actuels ;

-  production de biocarburants de seconde génération :

+ par voie d’hydrolyse (usines couplées à des bio-raffineries : matériaux ligno-cellulosiques et betterave) pour le bioéthanol ;

+ par voie thermochimique, éventuellement avec apport d’électricité et d’hydrogène pour le biodiesel et le biométhane.

 

Déchets :

Valorisation systématique des déchets urbains et industriels par deux méthodes, selon les propriétés des déchets :

-  incinération avec cogénération sur des sites industriels ayant des besoins permanents de chaleur ;

-  production de biométhane dans de grosses unités, pour injection dans le réseau.

Par ailleurs, il est indispensable de diminuer le rythme d’artificialisation des sols agricoles de bonne qualité (60 kha/an), désastreux à long terme.

 

L’ensemble de ces mesures permettrait d’obtenir 22 Mtep/an de biomasse énergétique en 2030, et 30,8 en 2050. Ces chiffres sont largement inférieurs à ceux de scénarios récents de consommation d’énergie provenant de la biomasse, dont la réalisation pourrait nécessiter de faire un large appel à de la biomasse importée (scénario UE Vision 2050 des Verts européens), à la suppression de nos exportations agroalimentaires ou à une importante mise en culture des prairies, toutes hypothèses qui sont inadaptées.

Il nous semble clair que les objectifs que nous envisageons vont requérir une exploitation intensive de tous nos sols, laissant peu de place aux espaces non ou faiblement productifs. Ce caractère serait encore accentué pour les scénarios faisant appel à plus de biomasse énergétique.

 

Abréviations.  kha, Mha : millier, million d’hectares. ktep, Mtep : millier, million de tonnes équivalent-pétrole. BME : biomasse énergétique. ACV : analyse du cycle de vie.

 

Introduction

L’augmentation de la teneur atmosphérique en gaz à effet de serre et l’épuisement progressif des réserves mondiales en combustibles fossiles incitent les analystes à multiplier les scénarios énergétiques pour 2050, voire pour 2100. Côté ressources, dans le bouquet énergétique des pays ou des grandes régions, les énergies renouvelables occupent toujours une place importante. La biomasse figure souvent au premier rang des attentes, comme dans les scénarios associatifs Négatep (hypothèse de 33 à 38 Mtep en 2050) et Négawatt (39 ou 45 Mtep en 2050). La biomasse sera-t-elle en mesure de répondre aux attentes que l’on place en elle en matière d’énergie ? A quelles conditions ? Dépourvue de prétention réellement quantitative, cette étude tente d’apporter des éclairages sur ces questions pour le cas de la France métropolitaine (*).

(*) L’analyse est limitée à la France métropolitaine car les autres territoires français présentent des situations très différentes et variées.

 

1. La biomasse et ses usages

La biomasse est définie par l’article 29 de la loi de programme n°2005-781 du 13 juillet 2005 fixant les orientations de la politique énergétique. C’est « la fraction biodégradable des produits, déchets et résidus provenant de l'agriculture, y compris les substances végétales et animales issues de la terre et de la mer, de la sylviculture et des industries connexes, ainsi que la fraction biodégradable des déchets industriels et ménagers. » Cette définition mentionne les trois sources principales de la biomasse : produits de la forêt, produits de l’agriculture, déchets. Les océans jouent un rôle très important comme puits de carbone, mais ils contribuent faiblement à la collecte de biomasse.

A l’origine, cette biomasse provient toujours de la conversion de l’énergie solaire par les végétaux chlorophylliens, selon le processus appelé photosynthèse. A l’échelle planétaire, l’énergie chimique produite par la photosynthèse est immense, environ huit fois la consommation humaine d’énergie. En tout, les organismes photosynthétiques assimilent chaque annéeenviron 100 milliards de tonnes de carbone. Et pourtant, le rendement de cette photosynthèse est faible puisque n’est ainsi capté qu’un peu moins du millième de l’insolation reçue par la Terre. Pour les plantes terrestres, la photosynthèse est limitée par la surface et la qualité des sols, la disponibilité en eau, et les températures excessives dans un sens comme dans l’autre. Ainsi une productivité annuelle de 30 tonnes de matière sèche organique par hectare (t MS/ha/an) est un excellent résultat, alors que la productivité moyenne de la forêt française est de 5,8 t MS (soit 2,5 tep)/ha/an.

Pour l’humanité, l’utilisation de la biomasse est à la fois essentielle et traditionnelle. La biomasse constitue un stock de carbone dont la destruction reviendrait à émettre dans l’atmosphère une énorme quantité de CO2, et elle correspond à des besoins très variés, comme l’indique leur liste non exhaustive :

·    La nourriture, que ce soit directement ou par le biais des animaux d’élevage.

·    L’énergie, sous les formes traditionnelles du bois (dit bois énergie), du charbon de bois et de la traction animale. Rappelons à ce sujet qu’au début du 20ème siècle, 4,4 millions d’hectares (Mha) d’avoine produisaient 41 millions de quintaux destinés pour l’essentiel à nos 2,9 millions de chevaux (Statistiques agricoles, Exposition Universelle de 1900). Sous la forme plus moderne que sont les biocarburants, une partie de la production agricole est destinée à remplir ce rôle.

·    Les matériaux : bois et isolants thermiques pour la construction, les textiles, l’ameublement, le papier…

·    Les produits chimiques : produits pharmaceutiques et drogues, caoutchouc, produits du bioraffinage (en remplacement de la chimie basée sur les combustibles fossiles), etc.

Cette liste montre bien l’importance socio-économique de la biomasse. Sa production étant limitée par la quantité de sols disponibles, on perçoit les difficultés qui vont résulter de la concurrence entre usages légitimes. Puisque nous nous intéressons ici à la biomasse énergétique (BME), il faut noter que la production d’énergie est très généralement l’usage des sols qui est le moins valorisant au plan économique (sauf subventions).

 

2. Caractéristiques de la biomasse par rapport aux autres ressources énergétiques

Mentionnons d’abord quelques caractéristiques de la biomasse, dans une optique énergétique.

Il s’agit d’une énergie renouvelable, fruit de l’action de la lumière solaire. On peut même dire que c’est la seule « énergie verte ». Son bilan intrinsèque de CO2 est nul : son utilisation entraîne, directement ou pas, le dégagement d’une quantité de CO2 égale à ce qui a été capté dans l’atmosphère pour sa formation par photosynthèse. Le bilan effectif fait toutefois apparaître des émissions de gaz à effet de serre (CO2, CH4, N2O) dues aux procédés agricoles et industriels nécessaires à sa production. Ces émissions sont parfois très importantes. Le bilan doit en être fait au cas par cas. Notons aussi que, si le bilan théorique est nul dans le cas de cultures en assolements répétitifs sur les mêmes sols, il peut y avoir de fortes émissions de CO2 lors de la mise en culture de prairies ou de forêts, par combustion de la matière organique stockée dans le sol et dans la partie aérienne de la végétation. Inversement, certaines formes de culture continue sur un même sol (prairies permanentes, accroissement d’une forêt) correspondent à un stockage progressif de quantités importantes de carbone, sous forme aérienne et souterraine.

Notons toutefois que le caractère renouvelable de la biomasse suppose que la collecte annuelle soit inférieure à la production biologique. Sinon, prenant le cas de la forêt, on assiste à une diminution progressive du stock existant.

Une autre caractéristique, c’est qu’il s’agit fondamentalement d’une énergie de flux, liée au flux de lumière solaire. Mais, pour la plupart des productions, cette énergie est stockée sur un temps de l’ordre de l’année, et parfois beaucoup plus dans le cas du bois dont la durée de vie peut être de plusieurs siècles. Cette caractéristique différencie la biomasse de certaines énergies renouvelables électriques (éolien, solaire) qui sont intermittentes et non stockables.

Par ailleurs, la production de biomasse dépend des aléas climatiques. A l’échelle d’une région elle peut varier de 40% d’une année sur l’autre. Dans le cas de la production forestière, ces variations sont moyennées à l’échelle de la décennie.

La biomasse présente des formes très variées, pour des usages en compétition. En agriculture, cette compétition peut se manifester à l’échelle annuelle, l’agriculteur pouvant orienter ses productions en fonction des perspectives du marché de l’année suivante. Cela est moins vrai quand on passe aux cultures pérennes, et encore moins pour les forêts. Pour une même ressource produite, l’usage peut varier en fonction du marché : consommation locale ou exportation, alimentation humaine ou alimentation du bétail, ou biocarburant, etc.

A l’échelle européenne, la France dispose relativement d’un fort potentiel de production de biomasse. Cela tient à la qualité de ses sols, en moyenne, et à des conditions climatiques favorables. Cette production pourrait être augmentée et réorientée, par exemple vers des produits mieux adaptés aux demandes énergétiques. Les surfaces agricoles et forestières couvrent en France 470 000 km2 sur les 550 000 du territoire métropolitain. L’usage des terres a été en évolution lente depuis 1950. Trois tendances fortes sont apparues : la diminution de la surface agricole utilisée, l’augmentation de la surface boisée, et de celle des sols artificialisés. En 2008 (Agreste), les sols cultivés étaient de 18 494 kha, les surfaces toujours en herbe de 9 518 kha, les sols boisés de 16 947 kha, les landes, friches et garrigues 2 881 kha, les sols artificialisés 5 145 kha, et les autres 1 936 kha, pour un total de 54 919 kha, soit 549 190 km2.

 

Depuis plusieurs décennies, l’artificialisation des sols s’est poursuivie à un rythme assez constant de 60 kha/an. Si ce rythme se maintenait, cela représenterait une perte importante de 2,3 Mha d’ici 2050. La production future de biomasse pourrait souffrir pour deux autres raisons. D’abord à cause du réchauffement climatique : ses effets au niveau de la France sont mal prévisibles, mais les perspectives sont quand même plutôt négatives. Et par ailleurs la question de la durabilité des sols se pose ici comme ailleurs.

 

3. Les besoins énergétiques que peut satisfaire la biomasse

Trois besoins peuvent être distingués : chaleur, carburant pour les transports, électricité.

3.1. Besoins de chaleur

Le bois énergie fournit de la chaleur par combustion directe. Pratiquée selon des méthodes traditionnelles, cette combustion a un très faible rendement (moins de 10% avec une cheminée à foyer ouvert), et elle peut être la source de sérieuses pollutions atmosphériques. Ces défauts peuvent être évités par un séchage convenable du bois et par l’utilisation de poêles et chaudière performants, dont le rendement thermique est de l’ordre de 80%. Les besoins de chaleur sont multiformes et importants : c’est 83 Mtep de consommation énergétique finale, dont 73 Mtep fournies par les combustibles fossiles. Une bonne partie de ces besoins peut sans doute être satisfaite par la biomasse, d’autant plus qu’une amélioration des isolations des bâtiments doit permettre de diminuer les besoins.

Chaleur industrielle.

Il y a de nombreux besoins, actuellement satisfaits par le gaz et le charbon, à remplacer par le bois énergie ou par des déchets. Ces besoins ne devraient pas beaucoup diminuer (sauf délocalisations) car l’industrie a déjà beaucoup amélioré son efficacité énergétique. Les industries requièrent un approvisionnement important et sécurisé sur le long terme, et elles sont très attentives aux coûts relatifs des différents combustibles. La plupart des besoins sont permanents, ce qui est favorable à la cogénération de chaleur et d’électricité. Trois secteurs sont à mentionner : la chimie, la papeterie (avec utilisation des liqueurs noires), et les industries agricoles et alimentaires (IAA) où de forts besoins de chaleur peuvent aller de pair avec la production de biogaz à partir des déchets. Certaines cimenteries font usage de farines animales comme combustible. (Ce qui, avouons-le, est un gâchis sans nom de protéines qui ont coûté cher à produire, les protéines n’étant pas a priori un combustible ! Mais le précautionnisme n’a pas de limites…)

 

Chauffage agricole pour serres, aviculture, séchage. Il est parfois effectué avec du bois produit sur l’exploitation.

 

Chauffage domestique et tertiaire.

Les maisons individuelles constituent un cas très favorable pour le chauffage au bois, avec une association possible au chauffage solaire ou à la pompe à chaleur. Un réseau commercial durable est toutefois nécessaire, sauf situation d’autoconsommation.

Les immeubles et des équipements collectifs, y compris du secteur tertiaire, peuvent être chauffés par de grosses chaudières, qui ont un bon rendement thermique, couplées à un réseau de chaleur. Il y a nécessité d’un approvisionnement garanti à long terme, et la situation est plus favorable dans les petites villes, surtout dans les régions boisées.

L’application des nouvelles normes (RT 2005, 2012, 2020) et les incitations à la rénovation des bâtiments anciens pourraient entraîner une diminution progressive des besoins, mais celle-ci sera sans doute contrecarrée par une demande accrue de confort (surface par habitant) et par l’augmentation de la population.

Outre le prix et la garantie d’approvisionnement, deux facteurs importants sont à prendre en compte : la commodité d’usage et, surtout pour les usages industriels, l’élimination des cendres.

 

3.2 Besoin de carburant pour les transports

Pour les transports, il y a un besoin impérieux, unanimement reconnu, de remplacer progressivement la majeure partie des produits pétroliers : essence, gazole, kérosène, GPL. C’est un problème massif, nécessitant environ 45 Mtep par an, pour lequel il n’y a pas de solution unique, mais un ensemble de solutions partielles : moins de déplacements, des modes de transport moins gourmands en énergie, l’amélioration du rendement des moteurs, l’énergie électrique et, trouvant leur source dans la biomasse, les biocarburants.

 

Ces derniers se présentent actuellement sous la forme de dérivés de l’éthanol, ETBE en remplacement de l’essence, et de dérivés des huiles, EMHV en remplacement du gazole. Ces carburants, appelés de première génération, sont obtenus à partir de produits agricoles à vocation traditionnellement alimentaire. En France, il s’agit du blé, de la betterave à sucre, du maïs, du colza et du tournesol. La canne à sucre et le palmier à huile sont utilisés dans les pays chauds, le maïs et le soja en Amérique.

Des carburants équivalents, appelés de seconde génération, peuvent être obtenus à partir de plantes entières, constituées majoritairement de celluloses et de lignine. C’est la raison pour laquelle cette filière, encore au stade pré-industriel, est appelée « ligno-cellulosique ».

Une troisième génération pourrait provenir des huiles retirées des algues. La grande diversité biologique qui existe chez les microalgues répond sans doute à une exceptionnelle adaptabilité et laisse préjuger d’une richesse proportionnelle en molécules originales dont des lipides. Le principe est simple : il s'agit de faire pousser des algues et d'en retirer les huiles, pour en faire du carburant. En conditions de stress, leur production de lipides augmente et peut atteindre plus de 50% de la biomasse totale. Une étude récente s’appuyant sur des données de terrain a ainsi estimé le potentiel de productivité en lipides des cultures de microalgues autour de 20 t/ha en l’état actuel de la pratique, et évalué un maximum à 40 t/ha (contre 1,4 t/ha pour un colza en Europe) (Rodolfi et al. 2009). Leur croissance en suspension dans un milieu aqueux leur permet un meilleur accès aux ressources : eau, CO2 ou minéraux. Il s'agit toutefois d'une technologie encore au stade expérimental car les coûts de production restent trop élevés pour envisager une exploitation industrielle de grande échelle.

Au plan technique, les biocarburants sont tout à fait fonctionnels. Ils sont déjà incorporés dans les carburants achetés à la pompe. De nombreux pays ont fixé des quotas minimums d’incorporation. En UE, le quota (en contenu énergétique) est de 5,75%, montant à 7% en 2020. En France, le quota est déjà de 7%, avec un objectif de 10% avant 2020.

Les milieux agricoles sont d’ardents promoteurs des biocarburants qui constituent un débouché rentable pour leurs productions. A condition toutefois que la filière bénéficie de subventions. Celles-ci sont accordées pour plusieurs raisons : soutien à l’agriculture, production nationale d’énergie renouvelable pour les transports, faible émission de gaz à effet de serre. Ces raisons doivent être examinées précisément (voir plus loin).

Autre carburant, le GNV (gaz naturel véhicule) est constitué de méthane. Il peut être remplacé par du biogaz, obtenu par fermentation anaérobie de biomasse, déchets humides ou plantes herbacées. Il correspond plutôt à des usages de niche (flottes municipales, besoins agricoles) mais il ne serait pas difficile de développer un vaste réseau de distribution de GNV. Selon des études en cours (projet Gaya), le même méthane pourrait être obtenu à partir de bois par voie thermochimique. Ce serait une méthode complémentaire de la méthanisation anaérobie pour obtenir du biométhane. Dans tous les cas, la nécessaire purification du gaz est une contrainte technique et économique forte.

 

3.3 Besoins d’électricité

Les besoins français en électricité sont couverts essentiellement par les centrales nucléaires et par l’hydroélectricité. La demande intermittente est couverte par les centrales à gaz et à charbon. La production d’électricité se développe aussi à partir de l’énergie éolienne et de l’énergie solaire. Y a-t-il besoin de produire de l’électricité à partir de biomasse, seule ou en cogénération de chaleur ?

La production d’électricité seule à partir de biomasse se fait avec un faible rendement et un prix élevé. Elle n’est pas justifiée. Il y a toutefois une exception qui mériterait d’être étudiée : le bois étant une énergie stockée, il pourrait répondre aux pointes hivernales de consommation électrique, en remplacement du fioul ou du charbon (l’éolien et le solaire sont mal adaptés aux demandes de pointe car non corrélés à la demande, et l’hydroélectricité ne suffit pas). Un apport annuel de 10 000 GWh serait tout à fait significatif. Avec un rendement de 33% et 0,43 tep/tonne de bois sec, il faudrait 2,6 Mtep, soit 6 Mt de bois sec. Il faudrait étudier si c’est techniquement et économiquement faisable, sachant que la production serait rémunérée comme électricité de pointe, non carbonée. A titre de comparaison, le bois bûche utilisé pour le chauffage domestique fournit 7 Mtep/an.

Actuellement, il y a une petite production d’électricité par cogénération, en réponse à des appels d’offres de la Commission de régulation de l’énergie. Cette électricité bénéficie d’un tarif d’achat favorable. Le rendement étant faible (environ 30%), cela n’a de sens que si la biomasse est bon marché et si la chaleur est bien utilisée, en réponse à des besoins permanents. Les déchets ménagers sont d’ores et déjà utilisés dans des usines d’incinération, avec réseau de chaleur pour le chauffage urbain. Cette solution souffre de deux défauts : la chaleur est mal utilisée car les besoins de chauffage varient beaucoup ; et, pour assurer une bonne combustion, les déchets doivent être associés à du gaz ou du charbon, sources de CO2. Il serait préférable d’associer les incinérateurs à des usines ayant un besoin permanent de chaleur, l’électricité étant vendue ou utilisée partiellement sur place. C’est ce qui se passe avec les papeteries et autres industries du bois qui utilisent sur place leurs déchets (liqueurs noires, résidus de sciage).

La cogénération peut aussi se faire par combustion de biogaz obtenu à partir de déchets. Cela peut correspondre à la situation d’IAA qui doivent se débarrasser de quantités importantes de déchets humides, et qui ont des besoins combinés d’électricité et de chaleur. Il ne s’agira sans doute que de situations de niche, non généralisables dans des conditions économiques satisfaisantes. Le biogaz produit dans des exploitations agricoles peut aussi donner lieu à cogénération, à la condition d’un très bon usage de la chaleur. Au sein de petites unités, le rendement électrique est loin d’être optimum.

 

4. Les trois sources de biomasse

A l’avenir, la biomasse énergétique devrait être utilisée pour remplacer une part des combustibles fossiles. Hors biomasse aquatique, peu crédible actuellement, trois sources sont à considérer : la forêt, l’agriculture, et les déchets industriels et ménagers.

 

4.1. Produits de la forêt et besoins énergétiques

L’arbre produit le bois, dont la forme la plus noble est le bois rond des fûts, obtenu après plusieurs décennies de croissance. Suivant l’essence, il peut servir de bois d’œuvre (construction, ameublement), ou de bois d’industrie pour la production de papier ou de panneaux. Ces valorisations étant plus rémunératrices que le bois énergie, elles sont privilégiées par les producteurs organisés. Les 15,5 Mha de la forêt française ont une production biologique annuelle d’environ 135 Mt, ce qui correspond, en valeur énergétique brute, à 2,5 tep/ha/an. Elle est utilisée comme suit (étude CGAAER) :

-  19 Mt de bois d’œuvre sous forme de grumes ; après ouvrage, il reste 10 Mt, et 9 Mt de déchets ;

-  11 Mt de bois d’industrie (papeterie, panneaux d’agglomérés) ;

-  24 Mt, soit 7,0 Mtep, de bois-énergie (bûches), dont 6 Mtep en autoconsommation ;

-  21 Mt de rémanents, qui restent en forêt après l’abattage ;

-  60 Mt qui ne sont pas valorisées (forêts sous-exploitées ou non récoltables car difficilement accessibles, forêts d’agrément).

A ces chiffres, il faut ajouter 3 Mt en provenance de vergers, de haies, d’arbres d’alignement, etc.

Les déchets de bois d’oeuvre peuvent être utilisés pour la fabrication d’agglomérés, ou comme source d’énergie (production de pellets ou de granulés pour le chauffage). Un bilan énergétique sérieux devra déduire l’énergie nécessaire à la production du bois-énergie.

Les rémanents et les bois dits « non valorisés » sont a priori disponibles comme bois-énergie, mais avec un coût de collecte important. Une partie doit être laissée sur place pour maintenir la fertilité du sol (pas trop car la dégradation du bois est source d’émission de CO2).

La production des particuliers, que ce soit sur leur propriété ou par affouage, est le plus souvent utilisée comme bois-énergie, sous forme de bûches.

En fin de vie, les bois de construction, les palettes et les meubles sont récupérables, ce qui peut constituer une ressource importante (bois de récupération), théoriquement égale à la quantité de bois d’oeuvre. Ils représentent 6 Mt actuellement. Une bonne part de ces bois sont « souillés » par les peintures et traitements divers, et ils sont difficilement exploitables. Plus généralement, il faut noter que tous les produits de la forêt peuvent avoir une double vie. Un premier usage, qui conserve les biomolécules, dans la construction, l’ameublement, les papiers et cartons, la chimie, etc. et ensuite, s’ils sont bien récupérés, une valorisation énergétique par combustion, avec dégradation moléculaire et production de CO2.

Il n’est pas question ici de détailler toute la complexité des problèmes de la forêt et de la filière bois. Mentionnons seulement quelques problèmes.

Le premier, c’est que la filière bois française est lourdement déficitaire. Nous exportons des bois non transformés, et nous achetons des produits élaborés, comme beaucoup de pays sous-industrialisés. Le déficit annuel est de 7 Milliards € : le bois est le second poste déficitaire, après l’énergie ! Cette situation anormale traduit une mauvaise adaptation de la forêt aux besoins du pays. Ainsi, il est bien établi que l’industrie française de la scierie est très faible. La raison principale en est la parcellisation de la forêt et le manque de parcelles vastes et monospécifiques, susceptibles d’une exploitation rentable.

Par ailleurs, une grande partie de la production biologique de bois reste inexploitée. Le morcellement de la propriété n’est pas un obstacle absolu à une gestion productive, mais c’est un sérieux handicap. Les propriétaires privés, qui représentent 75% de la forêt française et 3,5 millions de décideurs, ne sont pas motivés par l’exploitation de leurs bois, pour des raisons économiques (petites parcelles à peuplement mélangé, bois de taillis vendu à bas prix, filière mal organisée) ou culturelles (importance de la chasse, etc.). Seulement 10% de la forêt appartient au domaine de l’Etat ; elle est bien exploitée par l’ONF. 16% appartient aux collectivités locales réparties sur 15 000 communes ; leur gestion est aussi confiée à l’ONF, mais les objectifs de gestion sont décidés au niveau local, le plus souvent en donnant la priorité à des intérêts locaux.

Le bois a des usages très variés et importants autant sur le plan économique que pour le développement durable. Ainsi est-il appelé à jouer un rôle croissant dans le bâtiment, comme bois de construction, comme isolant thermique, etc. C’est autant de carbone stocké durablement. La chimie fera de plus en plus appel au bois, avec les bioproduits, les tissus, et la « chimie verte » produisant des monomères à partir de lignine et de celluloses. La question des biocarburants de la filière lignocellulosique est examinée en 4.4. Le bois énergie représente 9,0 Mtep, dont ¾ pour le chauffage domestique et ¼ pour la chaleur industrielle (données 2009, Bilan énergétique de la France). L’objectif gouvernemental est de l’augmenter de 6,2 Mtep d’ici à 2020, dont 2/3 pour le chauffage collectif et tertiaire, et 1/3 pour la chaleur industrielle. Mais il y a aussi le souci de maintenir la biodiversité forestière, la forêt d’agrément, la qualité des eaux, etc.   [voir les COMOP 10 et 16]

Et pour 2050, les objectifs sont encore bien plus ambitieux !

Comment répondre à ces objectifs ? Les deux facteurs sont l’offre de bois et son exploitation.

D’ici 2050, et en fait plutôt à l’horizon 2100, il faut rendre la forêt française plus productive et mieux adaptée aux industries du bois. Cette évolution est possible pour les surfaces actuelles de futaies et de taillis sous futaie, mais elle nécessite des investissements importants dans les plantations (en augmentant les espèces productives comme le douglas) et dans l’entretien, des changements de mentalité des propriétaires, et sans doute aussi des restructurations de propriétés pour aboutir à des parcelles de taille suffisante (au moins 10 ha de peuplement monospécifique, en peuplement irrégulier). Elle nécessite aussi en parallèle la mise en place d’une filière de collecte et de transformation du bois. Mais les choses sont liées : l’industrie de la scierie ne pourra pas se renforcer si la forêt n’évolue pas. Tout cela nécessitera, pendant de nombreuses décennies, un très fort investissement de l’Etat et des collectivités territoriales.

D’ici 2020, la seule chose possible c’est une meilleure collecte des rémanents et du bois des forêts non valorisées. Cela ne se fera que si le bois énergie devient compétitif. La taxe carbone suffira-t-elle, ou faut-il envisager des subventions transitoires ?

Il y a aussi 2 Mha de taillis peu productifs et 7 Mha de taillis sous futaie qui pourraient évoluer ou bien en forêt de gros bois, ou au contraire, là où les conditions de milieu le permettent, être cultivés sous forme de taillis à courte rotation (TCR) ou à très courte rotation (TTCR). A l’inverse de la forêt traditionnelle, il s’agit ici de « cultiver » des arbres qui seront coupés au bout de 3 à 10 ans. Les souches repoussent en taillis pour une nouvelle coupe. Plusieurs espèces sont adaptées à ce mode de production : peuplier, saule, robinier, eucalyptus, etc. Le bois ainsi récolté peut servir à la papeterie, à la production de plaquettes forestières ou pour les biocarburants de seconde génération. Sur sol riche, avec une bonne ressource en eau, la production peut être de 10 à 12 t MS/ha, par an sur 8 ans (soit 4 à 5 tep/ha/an). Il y a actuellement quelques milliers d’ha de TCR. Une petite partie des prairies pourrait être reconvertie en TCR, avec le risque du relargage de CO2.

 

4.2. Produits de l’agriculture et besoins énergétiques

La biomasse produite par l’agriculture, ce sont d’abord des molécules, pas de l’énergie. Sa vocation essentielle est de nourrir les humains, une fonction dont le poids énergétique n’est pas considérable : les aliments directement consommés par l’homme (500 à 600 Mtep) représentent seulement 5% de la production d’énergie primaire mondiale.Il est traditionnel que l’agriculture produise bien d’autres choses : des fibres textiles (coton, chanvre, lin), des plantes médicinales, du tabac, de l’avoine pour les animaux de trait, etc. Depuis quelques décennies, notre agriculture est subventionnée pour produire aussi de l’énergie pour les véhicules automobiles, sous la forme des denrées de base (blé, maïs, betteraves, colza, tournesol) qui servent à produire deux biocarburants : l’éthanol et l’huile, ersatz de l’essence et du gazole. Ces productions ont un caractère industriel car elles approvisionnent des usines de grande taille, produisant de l’ordre de 100 000 tonnes de carburant par unité/an.

En 2008 [chiffres Agreste], le territoire agricole s’étendait sur 28 Mha, dont 11,9 Mha en prairies permanentes ou temporaires (dont 2 Mha d’alpages et de prairies peu productives) ; 1,2 Mha en arboriculture et vigne ; et 14,8 Mha de cultures. 11 Mha le sont en céréales (dont la moitié en blé tendre), 2,1 Mha en oléagineux, et 0,4 Mha en betteraves. Pomme de terre et légumes occupent 0,5 Mha, les protéagineux 0,2 Mha,. Les fibres et les plantes aromatiques occupent 80 kha. Les terres en jachère sont d’environ 0,6 Mha. On notera la domination des céréales, et surtout du blé. Dans cet ensemble, les surfaces cultivées en non alimentaire représentaient 1,6 Mha dont 1,1 pour l’énergie et 0,5 pour les fibres et l’amidon industriel. L’amidon est actuellement le produit de base de la « chimie verte », une activité appelée à un fort développement pour remplacer la chimie basée sur les matériaux fossiles. Actuellement, sur les 78,2 Mtep de pétrole consommées en France, 11,6 Mtep, soit 15%, sont utilisées pour des applications non énergétiques. Pour les remplacer entièrement, combien faut-il de biomasse ? Ces applications valorisent au mieux les molécules et l’énergie. Il faut considérer que c’est une priorité parmi les usages non alimentaires de la biomasse agricole ou forestière.

Les biocarburants de première génération.

Cinq espèces (colza et tournesol pour le biodiesel ; blé, maïs et betterave pour l’éthanol) fournissent une part très variable de leur production pour la filière biocarburants. En 2009, les surfaces agricoles dédiées à l’énergie étaient de 1 111 kha dont 720 kha sont hors jachère (aide aux cultures énergétiques) et 391 sur jachères industrielles. Ces surfaces se répartissent en : colza : 861 kha, tournesol : 118, blé : 105, betterave : 27. En 2010, il s’est ajouté 56 kha de maïs, suite à l’ouverture de l’usine Total de Lacq.

Tableau

Productions nationales (métropole) et rendement énergétique moyen des cultures destinées aux biocarburants.

Données

2009

Surfaces

(ha)

Production

d’huile tonnes

Production

d’EMHV tep

Rendement brut

d’EMHV tep/ha

Rendement

net tep/ha (*)

Colza

861 000

1 374 000

959 000

1,11

0,605

Tournesol

118 000

141 600

97 520

0,826

0,45

Total

979 000

 

1 056 520

 

 

(rendement moyen brut d’EMHV : 1,1 tep/ha)

 

Données

2009

Surfaces

(ha)

Production

d’éthanol tep

Rendement brut

d’éthanol tep/ha

Rendement

net tep/ha (*)

Betterave

27 500

153 000

5,56

2,29

Blé

105 000

144 000

1,37

0,564

Maïs

0

0

1,8 (en 2010)

0,74

 

188 500

399 880

 

 

(rendement moyen brut d’éthanol : 2,1 tep/ha)

* Rendements nets de carburants obtenus avec les coefficients tirés de l’étude 2010, Analyse du Cycle de Vie des biocarburants de première génération (ADEME, FRANCEAGRIMER, Ministères en charge de l’agriculture et de l’écologie). Ces chiffres peuvent être contestés (voir par exemple Chavanne et Frangi, 2008).

 


Etats-Unis et Brésil, deux pays gros producteurs de biocarburants.

Aux Etats unis, 36 % du maïs produit sur les 36,8 Mha a été converti en éthanol en 2010, fournissant 6% en énergie des carburants utilisés pour le transport routiers.Cette production plafonne, de sorte que la sole consacrée aux grandes cultures reste 10% en deçà de son record historique (112 Mha) de 1996. (USDA). Moins de 10% du soja y est converti en biodiese,l ce qui représente un volume environ 20 fois inférieur à l’éthanol.

Au Brésil, 4,6 Mha de canne à sucre étaient convertis en 27 millions de m3d’éthanol en 2009, et le gouvernement prévoit son expansion sur environ 60 Mha, aux dépens des prairies utilisées pour l’élevage extensif qui représentent 237 Mha. Le biodiesel (soja, graisses animales) n’y représente en volume qu’environ le vingtième de la production totale de biocarburants. Au début 2011, l’éthanol représente 50% de la consommation des véhicules légers et plus de 22% de la consommation totale, tous types de véhicules confondus. La tendance est à l’augmentation de ces proportions avec en perspective 75% pour les véhicules légers en 2020.


 

Les biocarburants de première génération fonctionnent techniquement. Pour cela, les produits agricoles de base doivent être transformés pour mieux répondre aux besoins de la logistique et des moteurs. Les huiles sont trans-estérifiées avec du méthanol, ce qui donne de l’ester méthylique d’huile végétale (EMHV, carburant) et du glycérol, coproduit. L’éthanol, de son côté, est mis à réagir avec l’isobutène, donnant de l’éthyl-tertio-butyl-éther (ETBE). L’Etat a décidé de fixer à 7%, en valeur énergétique, le quota d’incorporation des biocarburants pour le secteur routier. Compte tenu des consommations actuelles de 8,5 Mtep d’essence et de 32,7 Mtep de diesel, cela nécessite 0,59 Mtep d’éthanol et 2,29 Mtep d’EMHV. Avec les rendements actuels et la même répartition des emblavements, cela nécessiterait 2 120 kha d’oléagineux, et 278 kha pour la production d’ETBE. Soit 2 398 kha en tout. C’est nettement plus que les superficies actuelles de 1 167 kha. Le déficit est compensé par une petite contribution d’huiles végétales récupérées, de graisses animales, et surtout d’importations d’huiles (de palme et de soja) et d’éthanol brésilien ex- canne à sucre. Il était prévu que le quota monte à 10% avant 2020.

Les biocarburants actuels sont produits sur des terres à haute valeur agricole. Il est essentiel de s’assurer que l’obligation d’une incorporation minimum et le soutien important qui leur est accordé par l’Etat, sous forme de subventions ou de réduction de taxes, présentent vraiment de l’intérêt. Le premier objectif est à un soutien à l’agriculture. Il s’agit là d’un choix politique, qui est d’ailleurs effectué dans de nombreux pays, et d’abord aux USA.

Le second objectif est de soutenir une production nationale d’énergie renouvelable, en réponse aux besoins des transports. Cet objectif doit toutefois être questionné du fait de l’importance de l’énergie requise par la production des biocarburants. Cela conduit à prendre en compte, non pas l’énergie brute en sortie d’usine, mais d’en défalquer l’énergie utilisée pour les procédés agricoles et industriels, pour obtenir une énergie nette. Cette approche est parfois critiquée comme étant idéologique, mais elle est tout à fait indispensable. Elle n’est pourtant pas facile, car il faut prendre en compte le fait que la chaîne agro-industrielle produit des carburants, mais aussi des co-produits : drèches, pulpes, tourteaux, glycérol. Les modalités de calcul donnent lieu à des interprétations divergentes. L’approche « massique » utilisée initialement surestime fortement le bilan énergétique carburant. La méthode de « substitution » est plus rationnelle. Elle montre que l’apport énergétique effectif de nos biocarburants est faible : en acceptant les données du rapport Ademe 2010, la mise en œuvre du quota de 7% n’apporte au mieux qu’un total net de 1,8 Mtep, à comparer à la consommation de 41,2 Mtep de combustibles fossiles par nos moyens de transport pris en considération, soit 4,3%. S’il était obtenu à partir de produits agricoles nationaux, ce quota de 7% nécessiterait 2,4 Mha de nos meilleures terres. Dans les conditions actuelles, le quota de 10%, qui est envisagé, en nécessiterait 3,4 Mha et apporterait 6,1% de l’énergie requise pour les transports

Troisième objectif, la réduction des émissions de gaz à effet de serre par rapport aux carburants d’origine fossile. Les biocarburants présentent un mauvais bilan à cet égard. Premier facteur de ce bilan, les engrais azotés employés pour la culture. Ils sont peu importants pour la betterave, mais il n’en va pas de même pour le colza ou les céréales. Par ailleurs l’énergie requise pour tous les procédés provient souvent de combustibles fossiles, avec émission de CO2. Un troisième facteur est à prendre en compte dans le cas où le biocarburant ou sa matière première est importé. Cette demande induit souvent le défrichement de sols occupés par des forêts ou des prairies, source de fortes émissions de CO2. Cet effet, appelé changement d’affectation des sols, peut ruiner complètement l’intérêt du biocarburant en matière de gaz à effet de serre. C’est le cas pour le biodiesel, puisqu’une bonne partie de ce qui est utilisé chez nous pour répondre au quota de 7% provient d’huiles importées. En 2009, les producteurs français d’EMHV utilisaient 17% d’huile de soja et 4% d’huile de palme, toutes deux importées.

 

En bilan, au niveau de la France, on notera que la productivité nette à l’hectare est faible pour le biodiesel, assez bonne pour l’éthanol ex-betterave, et faible, voire très faible, pour l’éthanol ex-céréales. Leur bilan GES est insuffisant ou mauvais. Leur coût reste trop élevé et les perspectives d’amélioration ne pourront avoir un impact significatif que sur le long terme.

Indépendamment de l’aspect énergétique, il faut signaler l’importance économique des coproduits pour l’alimentation du bétail. Leur usage devrait permettre de diminuer les importations de tourteaux de soja et de diminuer d’environ 300 kha les cultures de céréales destinées à l’alimentation animale.

Les milieux agro-industriels font valoir que les biocarburants actuels sont une solution transitoire, dans l’attente de la filière lignocellulosique, qui pourrait utiliser en partie les mêmes équipements.

Les carburants de seconde génération sont discutés en 4.4.1.

 

4.3. Déchets

Les déchets sources d’énergie appartiennent à trois catégories : ménagers, agricoles, et industriels.

Déchets ménagers

Les déchets ménagers fournissent de l’énergie de deux façons :

-   par incinération, avec production de chaleur et souvent aussi d’électricité, en cogénération. La production annuelle est de 1,2 Mtep. Ces chiffres représentent la moitié de la production car, par convention, les déchets renouvelables constituent la moitié du total. Le reste est constitué de matières plastiques synthétisées à partir de produits pétroliers.

-   par production de biogaz en décharge contrôlée ; 0,3 Mtep actuellement.

A priori, cette offre « fatale » va se stabiliser ou diminuer en application d’une politique de diminution des déchets (ex : emballages), d’incitation au compostage, et de la priorité donnée au tri en vue d’un recyclage matière.

 

Déchets agricoles

Les exploitations agricoles produisent des déchets qui peuvent être valorisés comme sources d’énergie : pailles, autres restes de récolte, fumier et lisier. Leur disponibilité est faible car une bonne part est (ou devrait être) retournée au sol pour maintenir sa teneur de humus. Avec une bonne répartition des activités d’élevage et de culture, la majeure partie des pailles serait mélangée aux déjections animales pour former du fumier, amendement précieux et « naturel » pour les sols. La réalité est différente : les régions de culture disposent de surplus de pailles, et les régions d’élevage ne savent que faire de leur lisier. Ce dernier est pauvre en carbone, et il n’a qu’une faible valeur énergétique. Il est épandu directement sur les champs, ce qui engendre une pollution des eaux par des matières azotées et la prolifération des algues vertes.

Les déchets agricoles fournissent actuellement 0,2 Mtep. Cette quantité pourrait doubler, mais sans doute pas plus. Les pailles sont souvent mentionnées comme BME. Il semble toutefois que leur disponibilité soit faible car une bonne part doit retourner au sol pour maintenir sa fertilité, et une autre part sert comme fourrage (disponibilité de 10% dans les régions de grande culture, communication de Daniel Thomas, UTC).

 

Déchets industriels

En termes de biomasse énergétiques, les plus importants proviennent des industries agricoles et alimentaires : amidonneries, distilleries, conserveries, etc. Les déchets secs (épluchures, coques et noyaux, farines animales,…) peuvent servir de combustibles et les déchets humides de substrat pour la production de biogaz. Les graisses animales sont un substrat pour produire du biodiesel. Les boues résiduaires de traitement des eaux sont une autre source, valorisable pour le biogaz.

 

4.4. Deux cas transversaux : le biogaz et les biocarburants de seconde génération.

Il s’agit ici de procédés qui utilisent a priori toutes les sources de biomasse.

4.4.1. Le biogaz.

Quand de la biomasse est placée en conditions anaérobies, c'est-à-dire en absence d’oxygène, dans de grandes cuves appelées digesteurs, elle est dégradée par des bactéries méthanogènes. Il se dégage ce qu’on appelle le biogaz, et il reste un « digestat » riche en azote et en minéraux, utilisable comme fertilisant. La composition du biogaz dépend de la ressource mise à fermenter. En gros, il est constitué de 55% de méthane (il s’agit bien du méthane CH4, mais on l’appelle ici biométhane), ainsi que de gaz variés, dont 30% de CO2, de la vapeur d’eau, de l’azote et des polluants divers, comme H2S, l’ammoniac, des hydrocarbures aromatiques. Sa teneur en méthane en fait un bon combustible, mais il doit être purifié pour la plupart des applications.

Au plan énergétique, le biogaz renferme une proportion mal connue et variable de l’énergie de la biomasse de départ. Une étude irlandaise donne une valeur de 56% (« cost-of-methane », Murphy, 2010). C’est une question qui mérite d’être creusée.

Le biogaz obtenu à partir de toutes sortes de déchets a un potentiel limité car la quantité de déchets ne devrait pas augmenter. Mais il est fréquent que le biogaz produit soit torché sans valorisation.

Il est aussi possible de cultiver des végétaux pour approvisionner des digesteurs. En Allemagne, 600 kha de maïs fourrager sont cultivés à cette fin. Les pieds de maïs sont récoltés avant la maturité des grains. Ces productions sont fortement subventionnées par le biais d’un tarif d’achat du biométhane ou de l’électricité produite par sa combustion. Pour des cultures dédiées à la production de biogaz, d’autres espèces sont possibles : luzerne, fétuque, triticale, etc. Leur rendement optimum serait d’environ 12 t MS/ha, soit 5,2 tep/ha. Si le rendement énergétique de production de biogaz est de 58%, on obtiendrait ainsi 3,0 tep/ha de combustible. C’est un rendement brut, dont il faut déduire l’énergie des procédés, qui est d’environ 50% (étude GDF Suez et al), ce qui conduit à une production nette de 1,5 tep/ha. On voit donc ici une filière qui pourrait concurrencer très légitimement les biocarburants liquides. Notons toutefois que le gaz est moins prisé pour les transports que les carburants liquides et que les coûts complets devront être évalués.

Le lisier est souvent mentionné comme ressource pour la production de biogaz. C’est une erreur car il contient peu de carbone et il n’a qu’un faible contenu énergétique. Par contre, il peut être ajouté à des ressources carbonées (pailles, herbes, etc.) pour favoriser le développement des bactéries méthanogènes. Pour cela, il serait plus rationnel d’avoir des exploitations mixtes agriculture/élevage pratiquant des cultures (luzerne, triticale) destinées à la production de biogaz. Les déchets animaux pourraient être valorisés de deux manières : production de fumier pour l’amendement des sols, et addition aux digesteurs. Les digestats, riches en azote, trouveront un usage comme fumure azotée.

 

4.4.2  Biocarburants de seconde génération : les filières lignocellulosiques.

La seconde génération de biocarburants est basée sur les filières lignocellulosiques qui visent à obtenir les ersatz de l’essence et du gazole à partir de la matière lignocellulosique des plantes. Par unité de surface, la lignocellulose est produite en quantité plus importante que les matières premières alimentaires utilisées pour les biocarburants actuels. Elle pourrait provenir de cultures dédiées à forte productivité : des herbes pérennes comme le miscanthus (15 t MS/ha/an), des cultures annuelles comme le sorgho ou le triticale, ou du bois de taillis à courte rotation (12 t MS/ha/an pour le peuplier). On peut aussi utiliser divers types de bois comme les rémanents d’exploitation.

Les procédés industriels sont en phase de développement, mais des usines pilotes fonctionnent ou sont en construction. Deux filières sont à l’essai.

La voie liquide, produisant de l’éthanol après hydrolyse de la lignocellulose. Celle-ci comporte trois composants, la cellulose, l’hémicellulose et la lignine, qui doivent être dissociés, ce qui n’est pas facile. L’hydrolyse de la cellulose donne des sucres en C6, aisément fermentescibles. Il reste par contre beaucoup de progrès à faire pour tirer parti des hémicelluloses, qui donnent des sucres en C5. La présence de lignine est un handicap pour la production d’éthanol. Il est toutefois envisagé d’intégrer les usines dans des bio-raffineries qui pourraient tirer le meilleur parti de toute la biomasse, en particulier de la lignine. Une autre orientation serait de produire d’autres carburants, comme le butanol, plus favorables au plan de la logistique de distribution.

La voie thermochimique vise à produire du gazole. Elle commence par la gazéification de la biomasse, avec formation d’un mélange de CO et H2. Ces gaz sont alors la base d’une synthèse d’hydrocarbure par la méthode de Fischer-Tropsch, une méthode classique utilisée pour produire du carburant liquide à partir de charbon. Il est toutefois nécessaire, pour des raisons économiques, de disposer de très grosses usines traitant de l’ordre de 400 kt de bois par an. Ramené à l’hectare de culture, le rendement de biocarburant est actuellement trop faible, mais il pourrait être nettement amélioré par un apport d’hydrogène (obtenu par électrolyse avec de l’électricité d’origine nucléaire ou éolienne) ou de chaleur (chaleur de centrale nucléaire).

Sur la base d’une production de 12 Mt MS/ha/an, on peut attendre l’obtention de l’ordre de 2 tep/ha/an par voie thermochimique et de 1,4 tep/ha/an pour la voie enzymatique (chiffres dans Hohwiller, p 54, et dans Poitrat 2009).

Les filières lignocellulosiques nécessitent encore pas mal de recherches. Quand celles-ci auront abouti, des ACV permettront d’estimer leur intérêt réel. Leur bilan environnemental est encore inconnu. Le projet REGIX de l’ANR vise à répondre à certaines de ces questions et à faire un premier bilan économique.

Rappelons que les gaz obtenus par traitement thermochimique du bois peuvent être traités pour obtenir du méthane. Le projet français Gaya (études en cours) vise à déterminer les caractéristiques de ce procédé qui donne beaucoup d’espoirs.

 

5. Conclusions et commentaires

Le tableau ci-dessous représente une vision qui nous semble cohérente de l’évolution de l’usage des sols (en Mha) et de la production primaire nette de BME (en tep). Il s’appuie sur deux principes forts : une préservation des surfaces destinées aux cultures annuelles pour l’alimentation ; la production de types de biomasse nécessitant le moins d’intrants et profitant de la dynamique de la chimie verte. Il est construit dans l’hypothèse de rendements constants. Les rendements pourraient diminuer pour plusieurs raisons : extension significative de l’agriculture biologique ; effets du réchauffement climatique ; diminution de la fertilité des sols. Mais ils pourraient aussi augmenter par culture de variétés à plus fort potentiel ou par introduction d’espèces à fort rendement comme le sorgho à sucre (sur lequel un travail de sélection génétique reste à faire).

[NB La distinction entre production brute et production nette s’impose pour les biocarburants à cause du faible rendement de leur obtention. En fait elle devrait s’appliquer à toutes les sources de BME. Mais les analyses détaillées manquent. Nous appliquons un abattement de 20% pour le bois.]

Biomasse forestière : mieux produire, mieux utiliser. Il semble anormal que la filière bois française donne lieu à un solde import-export aussi négatif qu’il l’est, avec une forte exportation de grumes non travaillées. Comment adapter les structures forestières pour qu’elles répondent à une demande croissante de bois d’œuvre (en particulier pour le bâtiment) et qu’elles permettent le renforcement de l’industrie de la scierie (quantité et type de bois, approvisionnement à long terme) ? Comment améliorer la collecte de tous les types de bois produits par les forêts, y compris les rémanents ? Pour cela, il faut qu’ils répondent à des demandes solvables : il est tout à fait clair que notre filière bois, y compris pour ses usages énergétiques, ne se développera que si le bois redevient compétitif.

Pour la biomasse agricole, il nous semble que le problème essentiel sera celui de l’acceptation (par la société, par les agriculteurs) de l’intégration de grands secteurs de production énergétique dans le paysage agricole : taillis à courte rotation, cultures énergétiques de graminées pérennes, cultures pour la production de biogaz. Les biocarburants actuels offrent un bilan insuffisant, mais de nombreuses incertitudes subsistent quant à la rentabilité, au rendement énergétique et à l’impact environnemental des filières de biocarburants lignocellulosiques. Il apparaît qu’elles devront être intégrées avec la bio-raffinerie et avec la production d’hydrogène et de chaleur.

Les déchets doivent être valorisés au mieux, mais il semble clair que leur potentiel devrait plutôt stagner, à l’exception notable des bois de récupération quand ils seront techniquement utilisables sans pollution de l’air. Il est essentiel de voir concrètement les meilleures manières de tirer partie des déchets : bien valoriser la chaleur, ne pas négliger les atouts de l’incinération avec cogénération. La méthanisation n’est pas toujours la bonne solution. Et il ne faut pas oublier la nécessité qu’une partie des déchets soit retournée au sol pour maintenir sa fertilité.

 

D’une manière générale, les scénarios concernant l’arbitrage quant aux utilisations de la biomasse doivent être globaux : tous besoins, toutes ressources, aspects énergétiques, environnementaux et économiques (voir par exemple la thèse de C. Hohwiller). Ainsi l’intérêt de la production d’électricité à partir de biomasse apparaît-il généralement faible, sauf peut-être pour remplacer le charbon lors de pointes de consommation. Par contre la chimie verte ou bioraffinerie est un secteur incontournable, qui devrait se développer. Au plan énergétique, il conduit à des produits qui serviront pour l’énergie, via les déchets, selon un cycle de durée variable. A quelle échelle géographique cela doit-il être organisé pour minimiser le coût énergétique du transport tout en disposant de quantités suffisantes pour les rendements industriels ? C’est sans doute aux régions de prendre la main car il s’agit à la base d’une question d’aménagement rural et forestier. Des initiatives se mettent en place dans les régions. On peut citer à titre d’information le Réseau Rural Français, suite aux directives européennes, qui est chargé d’étudier les modalités de développement rural au niveau régional, et dont l’un des sujets est la biomasse. Voir références en annexe 1. Voir atelier Véga en annexe 2.

Pour la mise en œuvre concrète il faudra des incitations, des subventions. Mais qui paiera ??

 

Cette étude n’a pas pris en considération les aspects économiques, pourtant essentiels. Pour les effleurer un peu, disons qu’il semble inévitable que les affectations de la biomasse soient régulées essentiellement par le marché, ce qui nécessite l’institution d’une taxe carbone d’un montant significatif, qui pourrait être élargie en une taxe sur les GES si les émissions de CH4 et de N2O pouvaient être suivies correctement. Par ailleurs il faudrait une utilisation limitée et bien conçue des subventions, pour que l’argent public soit bien utilisé. Des critères clairs devraient être retenus, comme :

  - la tonne de CO2 évitée (comment appliquer ce critère ?) ;

  - la mise au point de technologies efficaces. Elles sont essentielles pour que la BME puisse être achetée à bon prix (permettant d’assurer la pérennité de la ressource) et de vendre à des prix compétitifs, pour une (essentielle) compétitivité des entreprises.

- la constitution d’une industrie nationale : scierie, bio-raffinerie, équipements de production de biogaz et de biocarburants de seconde génération, utilisation du bois dans la construction, etc.

Pour des ordres de grandeur, une étude du Programme National de Recherche sur les Bioénergies, a évalué le coût de différentes biomasses (plaquettes forestières, luzerne, triticale, sorgho, panic érigé, miscanthus), tenant compte des coûts de production, de récolte, de transport et de logistique, entre 20 et 25 euros par MWh (soit 45 à 56 euros par tonne de matière sèche, ou 232 à 250 euros par tep), rendu usine de transformation.

Les évaluations économiques présentent des difficultés. Comment donner une valeur à l’aménagement du territoire ? Au maintien de la biodiversité ? Les « emplois verts » sont souvent présentés comme un critère important. Mais ce critère n’a de réelle signification que s’il s’agit d’emplois non subventionnés ou, dans le cas de subvention, s’il s’agit d’une étape transitoire dans la constitution d’une filière industrielle. En vue du long terme, il semble plus important de pouvoir créer des entreprises efficaces, capables de résister à la concurrence de producteurs étrangers, et de vendre à l’exportation.

 

Les scénarios entraînant des importations massives de BME par la France (comme d’ailleurs par l’UE) ne sont pas acceptables car ils entraîneront des émissions de GES par changement d’usage des sols pour la mise en culture de prairies et de forêts. Ces émissions commencent à être quantifiés ; elles sont très importantes. Inversement, il nous semble nécessaire de maintenir un niveau d’exportation de denrées agricoles. Les scénarios sur l’évolution de l’agriculture mondiale et sur les besoins alimentaires débouchent sur la constatation que des régions entières n’ont aucune chance de devenir autosuffisantes (Michel Griffon). C’est le cas du Moyen Orient/Afrique du Nord et de l’Asie du Sud. Les régions exportatrices, telles la France, doivent le rester.

Enfin, il est évident que la lutte contre l’artificialisation des sols doit être menée tout de suite, vigoureusement et durablement.

 

En conclusion, il nous apparaît que, face à des demandes croissantes, il faudra tirer parti des sols par une exploitation intensive, qui devra quand même rester durable, qu’il s’agisse des forêts ou de nouvelles cultures dédiées. Il est parfois supposé qu’il y a contradiction entre production durable et production intensive. Il faut toutefois remarquer que la durabilité de la production de ligno-cellulose est supérieure à celle des productions agricoles classiques, dans la mesure où il s’agit de prélever essentiellement sous forme carbonée ce que la photosynthèse a produit. Ainsi, une conduite durable du miscanthus consiste à récolter après la chute des feuilles, ce qui permet de recycler une grande partie de la matière azotée tout en ayant une production importante de l’ordre de 15 tonnes de matière sèche/ha. Dans le cas des ligneux des taillis à courte rotation les éléments sont stockés et remobilisés par la plante (les feuilles mortes des arbres contiennent très peu d’azote). De plus la pérennité des espèces assure une photosynthèse sur une plus grande période dans l’année. De la sorte, des productions intensives de plus de 20 t/ha de matière sèche sont possibles (comparables à la matière sèche totale d’un maïs). A contrario il ne nous paraît pas opportun de mobiliser outre mesure les résidus de récolte comme les pailles, dont la production par hectare est plus faible par définition et dont la récolte et le transport sont moins économiques. De plus il est important de recycler dans les sols la matière organique issue des résidus de cultures, pour préserver la qualité de ceux-ci. On estime que 3 à 5 millions de tonnes sont disponibles dans ces conditions (1,5 Mtep maximum récupérable).

 

Remerciements

Cette étude a bénéficié d’entretiens avec M. Ludovic GUINARD (FCBA), Paul LUCCHESE (CEA), Daniel THOMAS et Ghislain GOSSE (Pôle de compétitivité Industries et agro-ressources).

 

Tableau indicatif de l’évolution de l’usage des sols (en Mha) et de la production primaire nette de BME (en Mtep). Hypothèse d’une évolution presque linéaire.

 

Ressource BME

Surfaces

2010

BME

2010

Surfaces

2030

BME

2030

Surfaces

2050

BME

2050

1 Forêts et divers

15,5

9,0

13,5

10,5

12

12,0

2 Taillis,TCR, graminées

pérennes

0

0

2

4

3

6

3 Terres cultivées pour

biocarburants 1ère génér.

1,2

0,8

0,4

0,4

0

0

4 Terres cultivées pour

biogaz 

0

0

1,0

1,5

2,0

3,0

5 Terres cultivées pour

bioproduits

0,5

1,5

1,5 

3,0

3,0 

6 Terres cultivées pour

alimentation

13,2

13,2

0

13,2

0

7 Prairies

12,8

0

11,1

0

8,9

0

8 Déchets urbains

renouvelables

0

1,2

0

1,5

0

2,0

9 Résidus agricoles

et IAA

0

0,4

0

0,6

0

0,8

10 Bois de récupération

0

1

0

2,0

0

4

11 Terrains artificialisés

7,3

0

7,9

0

8,5

0

Totaux

50,6

12,6

50,6

22,0

50,6

30,8

Remarques sur les lignes.

1 La surface diminue du fait du développement des TCR et des terrains artificialisés. Collecte plus systématique des rémanents. La cohérence de la production peut être vérifiée en supposant que la production biologique de la forêt française passe en moyenne de 2,5 à 3 tep/ha/an, que 40% de la production biologique est consacrée à l'énergie, et que le rendement énergétique des processus est de 80%.

2 La surface actuelle est négligeable. Développement par remplacement de taillis mal gérés (forêts). Utilisation pour la production de chaleur et de biocarburants ligno-cellulosiques, y compris le biométhane obtenu par voie thermochimique.

3 Extinction progressive des biocarburants de 1ère génération. BME : production nette, sur la base des rendements de Ademe / France Agrimer 2010.

4 Extension surtout au détriment des prairies (surtout temporaires). BME : production nette, sur la base de 1,5 tep/ha (voir étude GDF Suez / IFP / Ademe). Biogaz essentiellement injecté dans le réseau. Ceci est dans l’hypothèse où la production de biogaz présentera un bon bilan énergétique. Sinon, ces surfaces pourront servir pour des TCR ou des graminées pérennes, avec un bilan analogue.

5 La BME est produite sous forme d’une augmentation des déchets industriels et ménagers, et par valorisation des produits en fin de vie (hypothèse de 2 tep/ha et 50% d’énergie de déchets). Surfaces : d’après Bichat.

6  Déchets inclus dans les postes 9 (déchets urbains) et 10 (déchets agricoles et IAA).

7  Faible diminution, par pertes de prairies temporaires et extension des terrains artificialisés.

8  Petite augmentation des rendements, mais quantités en faible diminution. Biogaz et incinération avec cogénération. Production nette.

9  Légère augmentation du rendement de transformation. Biogaz et chaleur. Production nette.

10  Augmentation progressive du taux de récupération. Utilisation pour bois de feu industriel (chauffage et électricité de pointe) et biométhane.

11  Division par deux du rythme d’augmentation par rapport au passé récent, soit 30 000 ha/an.

 

Surface de prairie : variable d’ajustement. Perte progressive de prairies. Deux hypothèses :

1/ Diminution des prairies temporaires, remplacées par des cultures dédiées pour biogaz (mélanges légumineuses (trèfles), graminées (fétuques, ray-grass) fonctionnant avec faible apport d’azote) et des cultures pour bioproduits. Cette diminution est rendue possible par un moindre besoin de fourrage si le cheptel bovin diminue. La demande en viande a légèrement baissé depuis 1998. Mais elle reste forte : 87, 8 kg.ec par personne et par an. La part de la viande bovine est de 29% de ce total, soit 25,4 kg.ec par personne et par an [kg.ec = kg équivalent carcasse]. Le cheptel de vaches est passé de 9,877 millions en 1985 à 7,823 millions en 2009 soit une baisse de plus de 20% et, parmi elles, les laitières de 6,538 millions en 1985 à 3,673 en 2009 soit une baisse de 44%. Pendant le même temps, la collecte de lait n’a pas varié : 24,6 millions de m3 en 1985 contre 23,3 millions en 2008 livrés aux laiteries. Le cheptel bovin français comprenait 19,2 millions de têtes en 2009 (1,9% du cheptel mondial), contre 23,6 en 1980, se répartissant en laitières (19,2%), allaitantes (21,6%), veaux, jeunes bovins et bœufs (59,2%). La viande de qualité est issue des races allaitantes qui ont « pris la place » des races laitières dans ces 25 dernières années. Seuls les bovins (et ovins et caprins, mais peu consommés) peuvent exploiter les prairies, et l’élevage est indispensable pour l’apport de matières organiques aux cultures dans un système durable. Une diminution des prairies n’est pas forcément liée à une diminution proportionnelle des effectifs s’il s’agit de prairies de mauvaise qualité. L’élevage « extensif » est moins performant en terme de GES par unité de produit (lait ou viande) que l’élevage « intensif ». Donc diminution souhaitable mais pas du facteur 2 que suppose le scénario Négawatt.

2/ Diminution des prairies permanentes peu productives. L’argument du CO2 émis par la mise en culture de vieilles prairies est-il une justification suffisante, en particulier s’il s’agit d’y mettre des TCR ? De même que fera-t-on des miscanthus quand ils auront fixé du carbone dans leurs rhizomes pendant 10 ans ? L’argument du CO2 émis par le travail du sol conduirait-il à les maintenir indéfiniment ? Est-ce possible ?

 

 

Total de la BME en 2050 : notre estimation conduit à 30,8 Mtep de biomasse énergétique nette, dont 3-5 Mtep pour la production d’électricité (cogénération et électricité de pointe). A titre de comparaison, le scénario Négawatt table sur 519 TWh, soit 44,6 Mtep. Le schéma de Sankey de Négawatt table sur 451 TWh, soit 38,9 Mtep, dont 3,8 Mtep de carburant liquide et

13,2 Mtep de biogaz. Ce dernier proviendrait de la méthanisation de déchets et de la transformation de cultures dédiées. A 1,5 Mtep/ha, et en supposant 4,2 Mtep provenant de déchets, il faudrait 6 Mha de cultures dédiées, ce qui est considérable.

Le rapport Bichat, largement inspiré des données de C. Roy et du CGAAER, étudie les différentes filières de production de la biomasse énergétique et de sa valorisation. Il donne des valeurs de 25 à 30 Mtep/an en 2020-2030 et de 35 à 40 Mtep/an en 2040-2050. Il table sur un très forte production de biocarburant, 10 Mtep/an.

Le scénario Négatep se penche surtout sur les besoins d’énergie. En matière de biomasse, il table sur une fourchette de 33 à 38 Mtep, dont 22,5 Mtep destinés aux biocarburants.

 

 

Quelques références

Acket C. et Vaillant J. Les énergies renouvelables (éditions Technip, 2011)

Ademe. Analyse du cycle de vie appliquée aux biocarburants de première génération. 2010 (téléchargeable).

Agreste (données statistiques) http://www.agreste.agriculture.gouv.fr/publications/documents-de-travail/

Bichat, H. Rapport du groupe de travail « Biomasses et énergies » de l’association Prospective 2100 (2011). Site Internet.

CETIOM, Les oléagineux en chiffres http://www.cetiom.fr/index.php?id=12288

CGAAER (Conseil général de l’agriculture, de l’alimentation et des espaces ruraux). La forêt française en 2050-2100. (éditions Cêtre, 2011).

CGDD, Bilan énergétique de la France en 2010. (2011)

Chavanne X. et Frangi J.-P. Le rendement énergétique de la production d’éthanol à partir de maïs. 2008 Comptes-Rendus de l’Académie des sciences,Géomatériaux, 340, 263-287. www.sciencedirect.com

De Galbert M. Le défi forestier (éditions ING, 2005).

Field C.B., Randerson M.J.et Falkowski P. Primary production of the biosphere: integratingterrestrial and oceanic components. 1998, Science, vol. 281,  237–40.

GDF Suez, IFP, Ademe. Etude Biogaz. Etat des lieux et potentiel du biométhane carburant. Atee, 2099.

Hohwiller, C. La production de carburants liquides par thermoconversion de biomasse lignocellulosique : évaluation pour le système énergétique français futur. 2011, Thèse de doctorat Mines Paris Tech.

INRA, atelier VégA. http://www.inra.fr/arpvega

Murphy J.D. Cost of biomethane.

http://www.ucc.ie/en/eri/ericonferences/Cost-of-Biomethane.pdf (2010).

Négatep (2011) http://www.sauvonsleclimat.org/images/articles/pdf_files/best_of/negatep 2011.pdf

Négawatt (2011)

http://www.negawatt.org/telechargement/SnW11//Scenario_negaWatt_2011-Dossier_de_synthese-v20111005.pdf

Prévot, H. site Internet  http://www.hprevot.fr/notesbreves.html#biomasse

Rodolfi, L. et al. (2009). "Microalgae for Oil: Strain Selection, Induction of Lipid Synthesis and Outdoor Mass Cultivation in a Low-Cost Photobioreactor." Biotechnol. Bioeng. 102(1): 100-112.

Sommerville, C. et al. Feedstocks for lignocellulosic biofuels. 2010, Science, 329, 790-792.

 

 

 

Correspondances énergétiques

 

Matière sèche végétale moyenne : 1 t donne 0,43 tep

                                                       1 t de bois non sec (25% d’eau) fournit 0,29 tep.

En tep par m3:                                                                                

Ethanol 0,508 / Biodiesel 0,792 / Essence 0,765 / Gazole 0, 862

             

En tep par tonne :

Ethanol 0, 643  /  Biodiesel  0, 892  /  Essence 1, 020  /  Gazole 1, 027

 

 

Annexe 1 :

Gisements régionaux et actions :

http://www.reseaurural.fr/biomasse_energie  (paragraphes IV et V)

www.chambres-agriculture-picardie.fr/...biomasse/.../synthese_enseignement_gisement_RRF_CRAP.pdf

 

 

Annexe 2 :

Extraits d’un atelier de réflexion VégA  (végétaux pour l’avenir) (INRA) 2010

http://www.inra.fr/arpvega

« « « 

Il reste encore beaucoup de questions en suspens surtout si la biomasse énergie est couplée à la chimie dans une perspective de bio-raffinerie. Par exemple :

Analyse comparative et quantification les fonctions d’intérêt de la biomasse  (Food, Feed, Fibre, Fuel)

Aptitude à la transformation

Organisation et optimisation de la chaîne logistique (stabiliser les approvisionnements, organisation générale des filières)

Assurer la durabilité des systèmes de production-transformation (indicateurs de durabilité pour les filières, systèmes de cultures et territoires, acceptabilité sociale).

 

Pour les biomasses agricoles d’origine pérenne, les techniques de récolte et de densification pour le transport sont à résoudre. Il en est de même pour les ressources d’origine forestières auxquelles pourront s’ajouter des problèmes d’accès aux chantiers de collecte. De même les autres sources de biomasse constituées de co-produits d’industries existantes ou de résidus pourront nécessiter de créer des chaînes logistiques d’approvisionnement en ces différents produits. Un autre point à considérer est le transport de la biomasse qui dépend du rayon de collecte. En effet, les bénéfices environnementaux peuvent être réduits voire annulés par l’énergie fossile consommée et les gaz à effet de serre émis lors du transport. Inversement, la concentration autour des usines, d’espèces dédiées peut homogénéiser les mosaïques paysagères et créer des situations de monoculture défavorables à l’environnement. L’exploitation de la biomasse doit donc être pensée à partir de la réalité d’un territoire donné et dans un périmètre qui reste restreint pour qu’en soient retirés des bénéfices environnementaux réels.

Ces considérations tendent à impliquer une localisation des bioraffineries au plus près des bassins de production pour limiter les coûts d’approche. Cependant, une autre typologie semble se dessiner. Elle correspond à des bioraffineries localisées dans les ports où pourrait être transformée de la biomasse acheminée par voie maritime en complément de ressources provenant de l’intérieur des terres ce qui permettrait de garantir un approvisionnement en continu sur des volumes importants.

 

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