L'effet de l'accident du Fukushima sur la production et la consommation d'électricité du Japon

Frédéric Livet

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Frédéric Livet,

SIMaP- CNRS, UMR 5614, Domaine Universitaire, BP 75

         38402 St Martin d'Hères Cedex, FRANCE

 

On a trouvé dans certains médias français des annonces sur la décroissance de la consommation électrique du Japon suite à l'arrêt  des centrales nucléaires. Pour discuter cela, il est possible de se procurer les statistiques de la production électrique japonaise et de la ventilation des divers moyens de production utilisés[1]. On se sert ici de cette information pour mener une étude sur les réponses du Japon à cette situation, sans pour autant donner quelque certitude sur l'évolution ultérieure.

 

La consommation électrique du Japon: décroissance?

 

On voit sur la figure1 l'effondrement de la production nucléaire à partir d'une contribution qui fluctuait autour de 25%.. On voit aussi que cet effondrement s'est accompagné d'une quasi-stabilité de la consommation électrique, contrairement à une idée répandue dans certains médias selon laquelle les Japonais, répondant massivement aux demandes de l'état de limiter leur consommation, auraient significativement diminué celle-ci. On trouve de nombreux exemples de cette fable entretenue par les milieux écologistes.

On peut entre autres lire ce blog d'une journaliste (C. Bernard[2]) intitulé: "Depuis l'accident de Fukushima, tous les réacteurs nucléaires ont été arrêtés et les Japonais ont dû réduire leurs besoins en énergie électrique d'environ 15%.". Cet article est emblématique des illusions « décroissantistes »: il cite en particulier un membre de l'association "négawatt" qui considère que diminuer la consommation de 15% serait "fastoche": «Il existe en effet un énorme gisement d'économies à réaliser simplement en éliminant les gaspillages actuels».

 

On voit sur la figure 1, où on a représenté les consommations annuelles que la chute entre 2010 (année avant Fukushima) et 2012 est minime, et nous pensons que cela montre qu'il est très difficile à un pays de réaliser la décroissance de sa consommation. Le sommet de ces illusions est atteint par C. Lepage, qui annonce une décroissance de la consommation de 28%[3]! Sur la figure 2, on a représenté la consommation mensuelle. Le Japon a deux maxima de consommation annuelle: un en hiver, correspondant au chauffage, aux surplus d'éclairage… et un en été, dû à la mise en oeuvre de la climatisation. Après l'accident de Fukushima, le gouvernement a lancé l'été suivant un appel à la population pour qu'elle limite sa consommation électrique[4], et on voit en fait que cela a abouti à une très modeste baisse par rapport aux années précédentes. Par exemple, le pic saisonnier en Aout 2011 est à 84TWh, alors que le même pic s'établissait à 85TWh en Aout 2009 et à 95TWh en Aout 2010.

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Fig. 1 Production annuelle d 'électricité japonaise

 

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Fig. 2- Production mensuelle d'électricité

 

 

Le développement de l'utilisation des carburants fossiles.

 

Sur les figures 1 et 2, on a aussi représenté la production fossile (au milieu), et l'on voit que celle-ci a essentiellement compensé les pertes nucléaires (il y a a aussi une petite contribution hydraulique et une due à des petits producteurs non prises en compte ici). On montre sur les figures 3, 4 et 5 la ventilation des diverses contributions à la production d'électricité. Pour le pétrole, on mesure en m3, soient 0.86 tonnes, ou 6.3 barils. Une tonne de charbon permet de produire 3 MWh électrique, un m3 de pétrole 4 MWh, et une tonne de GNL autour de 5-8 MWh (turbine à gaz ou cycle combiné), en tenant compte des rendements des centrales électriques. On peut à partir de ces figures donner un ordre de grandeur de l'augmentation des ces diverses sources: la figure 3 montre qu'il a fallu à peu près 1Mt de charbon mensuelle, et la figure 4, où on a regroupé les consommations de pétrole et de fioul lourd, montre une augmentation de 1.8 Mm3 par mois.

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Fig.3-Consommation mensuelle de charbon pour l'électricité

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Fig. 4-Consommation mensuelle de produits pétroliers pour l'électricité

 

 

De la figure 5, on estime l'augmentation de gaz naturel liquéfié (GNL) autour de 1Mt. On remarque aussi que le Japon, dans le cadre de sa politique de diminution des émissions de CO2, réduisait avant l'accident de Fukushima significativement sa consommation de charbon et de pétrole pour produire de l'électricité: entre 25% et 30% de l'électricité était nucléaire, et le Japon espérait augmenter celle-ci jusqu'à 50%. Evidemment, ce plan a été profondément affecté par l'accident de Fukushima.

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Fig. 5-Consommation mensuelle de gaz naturel liquéfié pour l'électricité

 

Effets sur les émissions de gaz à effet de serre (GES)

 

Des résultats précédents, on peut donner des estimations des émissions de GES (en équivalent CO2). On se sert des estimations de l'ADEME: 1t de charbon donne 3.456 t de CO2, 1 t de gaz liquéfié 3.84 et 1 t de pétrole 3.74. Une application de ces formules aboutit  aux résultats de la figure 6: les émissions mensuelles de CO2 pour l'énergie qui étaient descendues autour de 30Mt/mois sont remontées à plus de 40 Mt.

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Fig.6-Emissions mensuelles de GES pour la production d'électricité au Japon

 

On voit donc la forte augmentation des émissions de GES qui a suivi l'accident nucléaire, et on peut en obtenir une grossière estimation à partir de nos estimations des figures 3, 4 et 5 (équivalent CO2): 6.7 Mt pour le pétrole, 3.46 Mt pour le charbon et 3.8 Mt pour le GNL, ce qui donne autour de 160 Mt/an, et pour une population de 126 millions d'habitants, un supplément de 1.2 t CO2/habitant pour le Japon. Pour une année normale, les émissions japonaises étaient de 9.5 t/habitant de CO2, la France se situant en dessous de 6 t/habitant et l'Allemagne à près de 10 t/habitant.

Il s'agit donc d'une augmentation significative, et de plus elle intervient dans un pays qui se destinait à augmenter la part du nucléaire, et donc à diminuer ses émissions du même ordre de grandeur que l'augmentation observée!

 

Effets sur la balance commerciale

 

Les carburants fossiles utilisés sont importés et on peut donner une estimation du surcoût représenté

pour le Japon: 100 $/baril se traduit par un prix de 630 $/m3 de pétrole, 15 $/GJ (le prix du GNL à l'arrivée au Japon) donne 750 $/tonne de GNL et on compte 100 $/t de charbon. En ce cas, une estimation grossière donne un surplus d'importations de 2. G$/mois ou 23 G$/an.

 

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Fig. 7-Evolution mensuelle de la balance commerciale japonaise (1000 Gyens correspondent à 7 G€)

 

   C'est probablement la première cause du déficit du commerce extérieur japonais, qui estimé d'Avril 2011 à Avril 2012 s'établit autour de 41G$[5]. Bien sûr d'autres causes se sont rajoutées, en particulier récemment la politique du nouveau premier ministre Abe, mais on peut considérer que cette cause de déficit évitable sera le premier objectif du gouvernement japonais. Quelles que soient les capacités des énergies renouvelables, elles ne peuvent apporter une contribution qu'à une échéance lointaine, et le redémarrage prévu de la plupart des centrales (une fois que la nouvelle Autorité de Sûreté, similaire à l'ASN française, mise en place depuis aura donné son feu vert), voire la continuation du programme de constructions déjà entamé semble avant tout répondre à des préoccupations économiques. Cependant, la tentation est forte au Japon de reporter les coûteuses importations de produits pétroliers par la construction de centrales au charbon: par exemple, TEPCO a mis en service en Avril 1.6 GW de puissance en centrales au charbon. Cela ne peut que contribuer à accroître les émissions de CO2 du Japon.

 

Résumé

 

 

quantités

CO2 unitaire

CO2 émis

prix unitaire

Surcout total

Charbon

1Mt/mois

3.45t/tonne

41Mt/an

100$/tonne

1.2G$/an

Pétrole

1.8Mm3/mois

3.74t/m3

72Mt/an

630$/m3

13.G$/an

GPL

1Mt/mois

3.84t/tonne

46Mt/an

750$/tonne

9G$/an

total

 

 

160Mt/an

 

23G$/an

 

Le tableau résume nos estimations.  La récente chute du yen, associée à la politique "laxiste" en matière de crédits de Abe, l'actuel premier ministre, aggrave le problème du déficit japonais (7 G$ en Aout 2013). Ajoutons que le supplément de consommation pétrolière que représentent ces nouvelles importations japonaises (autour de 400000 barils/jour, près de 0.5% de la consommation mondiale) exerce une forte pression sur les prix dans un contexte où les perspectives de croissance de la production pétrolière sont faibles. 



[1]     http://www.fepc.or.jp/english/news/generated_purchased/

[2]              http://www.slate.fr/story/56401/consommation-electricite-economie-energie-japon-france

[3]     http://www.atlantico.fr/decryptage/fukushima-temoignage-catastrophe-corinne-lepage-centrale-nucleaire-tsunami-181476.html

[4]     http://japon.aujourdhuilemonde.com/apres-fukushima-les-japonais-prives-de-clim

[5]     http://lexpansion.lexpress.fr/economie/le-commerce-exterieur-japonais-plombe-par-fukushima_291708.html

 

  • Assemblée Générale Ordinaire des Adhérents de Sauvons Le Climat
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