Communiqué de presse : Le réchauffement climatique: un enjeu politique
Le mois de juin 2006 a été marqué par la parution de trois importants rapports sur le réchauffement climatique et la politique de l’énergie : le rapport de la « Mission Effet de Serre » (MES) de l’assemblée nationale (président J.Y.Le Déaut, rapporteure N.Kociusko-Morizet, http://www.assemblee-nationale.fr/12/rap-info/i3021-tII.asp )[1], celui de l’Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques et Techniques (OPECST , « Les apports de la science et de la technologie au développement durable », http://www.senat.fr/rap/r05-426/r05-426.html ) présenté par les sénateurs P.Lafitte et C.Saunier, et le projet de rapport du groupe « facteur 4 » (Ministère de l’Ecologie et du Développement Durable et Ministère de l’Industrie, http://www.industrie.gouv.fr/energie/prospect/facteur4-rapport.pdf )[2].
Les deux premiers rapports montrent que nos élus sont préoccupés, à juste titre, par un réchauffement climatique induit par les émissions anthropiques de gaz à effet de serre. Ils soulignent la gravité de ce phénomène qui peut déboucher sur des évolutions irréversibles. Il est réconfortant que ce constat soit fait sans référence à l’appartenance politique et qu’un accord existe sur l’urgence de prendre des mesures sérieuses et courageuses. Il existe un consensus pour retenir l’objectif d’une division par 4 des rejets de gaz carbonique en 2050 et sur une réduction d’environ 25% de ces rejets dès 2020.
Le rapport de l’OPECST est particulièrement complet pour ce qui concerne l’examen des propriétés des énergies non émettrices de gaz à effet de serre et recoupe nos propres analyses. Il souligne à la fois les limites des énergies renouvelables et la nécessité de recourir à l’énergie nucléaire si l’on veut atteindre l’objectif de la division par 4 des émissions de gaz carbonique. De même il souligne la nécessité de développer les techniques de séparation et stockage du gaz carbonique.
Le rapport de la « Mission effet de serre » est, quant à lui, particulièrement exhaustif pour ce qui concerne les mesures législatives à envisager pour que notre pays soit en position de relever ce défi. On trouvera sur notre site, à l’adresse http://www.sauvonsleclimat.org/fr/lect_documents.php?id_docu=14 , un synoptique des propositions de la MES, du groupe « facteur 4 » et de l’OPECST. Ce synoptique utilise le plan de la MES et mentionne les propositions complémentaires ou différentes des deux autres rapports.
Nous résumons en annexe les propositions des trois rapports qui nous ont semblé particulièrement importantes et donnons ci-après le point de vue de « Sauvons le Climat ».
Le point de vue de « Sauvons le Climat »
« Sauvons le Climat » salue l’effort de réflexion et de proposition des trois rapports. Toutefois, il regrette que les propositions faites restent, pour l’essentiel, qualitatives. Les nombreuses et intéressantes suggestions des trois rapports ont un peu l’apparence d’un catalogue de bonnes intentions sur lequel un large accord pourrait être trouvé sans pour autant garantir l’obtention du résultat recherché.
On peut se demander si le caractère consensuel des ces rapports ne risque pas d’étouffer le débat. En particulier les trois rapports conviennent que l’énergie nucléaire est nécessaire à la lutte contre le changement climatique, mais d’une façon presque timide. Or, en particulier en France, le rôle de l’énergie nucléaire est crucial comme substitut aux combustibles fossiles. Un examen comparatif sérieux des scénarios qui y font largement appel et de ceux qui, au contraire, prévoient son abolition plus ou moins rapidement paraît indispensable. Il est, en effet, impossible de faire une synthèse des deux positions. A cet égard on pouvait espérer que le groupe « facteur 4 », plutôt que de rechercher un « consensus » chimérique présente clairement les deux options, « sortir du nucléaire » ou le développer, tout en gardant la perspective d’une réduction des rejets de GES par un facteur 4. Ainsi aurait-on pu juger sérieusement l’option de sortie du nucléaire, que nous mettons d’ailleurs en doute.
Efficacité énergétique et faibles émissions de GES ne sont pas synonymes.
Les trois rapports insistent, à juste titre, sur l’importance de l’intensité en carbone mais restent ambigus à l’égard du concept d’efficacité énergétique. En fait, une politique d’efficacité énergétique, pour souhaitable qu’elle soit sur le plan économique, n’entraîne pas automatiquement une réduction des émissions de GES. La distinction entre intensité énergétique et intensité en carbone est essentielle. Ce qui compte, en effet, pour l'effet de serre, c'est l'émission de carbone qui dépend non seulement de l'efficacité énergétique, mais aussi de la quantité de gaz à
effet de serre émise par unité d'énergie produite. Une comparaison entre les émissions et les structures énergétiques du Danemark et de la Suède en est une illustration remarquable : en 2004, la consommation énergétique par tête valait 3,69 tep au Danemark et 5,72 tep en Suède tandis que les émissions de CO2 par tête valaient 9,52 tonnes au Danemark et 5,62 tonnes en Suède. Le Danemark est le pays qui a la meilleure intensité énergétique en Europe (0,09 tep/k$US95) mais aussi un des plus importants taux d’émission de CO2 par tête. La raison en est toute simple : 80% de l’électricité danoise est d’origine fossile (intensité CO2 de 2,59 tCO2/tep) alors que la Suède (intensité CO2 de 0,98 tCO2/tep ) produit son électricité par l’hydraulique et le nucléaire (à part sensiblement égales).
Une des méthodes envisageables pour réduire les émissions de CO2 est de le capturer sur le site des centrales électriques à flamme et de le séquestrer. Cette technique requiert une dépense énergétique estimée aux environs de 15 à 20% de l’électricité produite et augmente donc l’intensité énergétique. La diminution de l’intensité en carbone peut donc être accompagnée d’une augmentation de l’intensité énergétique.
Un exemple pratique montre les contradictions dans lesquelles on peut se trouver en se contentant de diminuer l’intensité énergétique pour diminuer les rejets de CO2 : considérons une maison chauffée au fioul à raison de 5000 litres par an. Pour diminuer les rejets associés on peut investir dans l’isolation pour ramener la consommation à 2500 litres (par exemple). On aura joué sur l’intensité énergétique. On peut aussi, sans dépense d’isolation, installer un chauffage solaire permettant de produire la moitié des besoins de chaleur. On divise par 2 les rejets, comme dans le cas précédent, mais sans améliorer l’intensité énergétique. Si, de plus, on installe un chauffage électrique à la place du chauffage au fioul, en se plaçant dans le cas de la Suède (électricité produite sans rejet) l’intensité énergétique primaire augmente (avec un rendement de 0,33 il faut 7500 litres équivalent pétrole) mais les rejets de CO2 s’annulent ! Si l’électricité est produite par des centrales à charbon le passage au chauffage électrique est, au contraire, catastrophique.
Dans la mesure où les ressources financières sont limitées il peut être préférable – à coût égal - de changer de source d’énergie plutôt que de consommer moins.
Le caractère stratégique de l’électricité n’est pas suffisamment souligné
En effet même si l’efficacité énergétique des appareils électriques peut et doit s’améliorer, l’électricité va jouer un rôle croissant dans l’avenir. Dans le domaine des transports, le recours à des transports collectifs électriques ou à des voitures individuelles électriques ou hybrides rechargeables, ainsi, à long terme, que l’utilisation éventuelle du vecteur « hydrogène » entraîneront une part croissante d’électricité dans notre consommation d’énergie. Ajoutons que la répétition des épisodes de canicules produira et produit déjà une augmentation de la demande de climatisation. Si l’électricité est produite majoritairement par des combustibles fossiles sans capture ni stockage du CO2 produit, une telle évolution de la demande d’électricité augmentera de manière catastrophique les émissions de gaz à effet de serre. Au contraire si l’électricité est produite grâce aux énergies renouvelables et nucléaires cette évolution sera bénéfique.
Actuellement, en France, les projets de centrales électriques au charbon ou au gaz se multiplient. « Sauvons le Climat » s’élève avec force contre cette évolution due au manque d’investissement dans les moyens de production non émetteurs de gaz carbonique, et, tout particulièrement dans le nucléaire.
Nous proposons donc que la loi exige que les nouvelles installations de production d’électricité soient « sans carbone » : renouvelables (y compris l’hydraulique), nucléaires ou, si elles font appel à des combustibles fossiles, qu’elles soient obligatoirement équipées d’un système de capture et de stockage du gaz carbonique suffisamment efficace. Dans l’immédiat, les nouvelles installations thermiques à flamme devraient se procurer des permis sur le marché d’échanges, et, donc, ne pas bénéficier d’allocations gratuites.
Nous regrettons qu’une telle approche ne soit envisagée dans aucun des trois rapports
Il faut renoncer à utiliser les combustibles fossiles pour le chauffage
Les rejets de gaz carbonique dus à l’utilisation du gaz et du fioul dans les secteurs résidentiels et tertiaires atteignent près de 100 millions de tonnes. L’utilisation du pétrole dans le secteur des transports conduit, de son côté, à des rejets d’environ 150 millions de tonnes. Mais, alors que de multiples solutions existent pour se passer des combustibles fossiles pour chauffer nos logements et nos bureaux (bois, solaire thermique, pompes à chaleur, chauffage électrique) et sont déjà largement appliquées, la transition énergétique dans le domaine des transports promet d’être beaucoup plus difficile. La priorité doit donc être de réduire de façon drastique l’utilisation des combustibles fossiles dans les secteurs résidentiels et tertiaires. De multiples propositions des trois rapports vont dans cette direction. Les plus nombreuses concernent l’amélioration des performances thermiques du bâti neuf et ancien. Il ne semble pas logique, du point de vue du réchauffement climatique, de traiter sur le même pied les logements et bureaux chauffés à l’aide de combustibles fossiles et les autres. Les subventions, crédits d’impôts et autres aides pour améliorer les performances thermiques et changer de mode de chauffage devraient être réservées aux mesures réduisant effectivement la consommation de combustibles fossiles. Il est d’ailleurs bien connu que l’utilisation pour le chauffage d’une énergie onéreuse comme l’électricité amène naturellement les usagers à rechercher des solutions économiques.
Il est nécessaire de donner, dès aujourd’hui, un signal clair concernant l’abandon des combustibles fossiles pour le chauffage.
Nous proposons de promouvoir le remplacement des modes de chauffage utilisant des combustibles fossiles par des systèmes non émetteurs de gaz à effet de serre. Ce remplacement devrait bénéficier en priorité des aides publiques.
La fiscalité sur le carbone ne doit pas être cosmétique
« Sauvons le Climat » apprécie positivement le fait que les trois rapports envisagent une fiscalité sur le carbone qui concernerait l’ensemble des consommateurs, en particulier par la proposition de l’instauration d’une « vignette carbone » et d’une éventuelle Taxe sur la Valeur Ecologique. Toutefois, l’expérience montre que, pour être efficace et conduire à une réduction notable des consommations de combustibles fossiles, l’augmentation des prix taxes comprises doit être importante et donc douloureuse. L’augmentation de 1% par an proposée par l’OPECST nous paraît très insuffisante pour être efficace, d’autant qu’elle ne s’appliquerait pas au fioul domestique. Nous sommes, bien sûr, sensibles au fait qu’une augmentation importante du prix des combustibles fossiles sera surtout ressentie par les ménages ayant des revenus modestes. Comme le souligne le groupe « Facteur 4 » des solutions doivent être trouvées pour limiter cet effet. Pourquoi, par exemple, ne pas instituer une Aide Personnalisée à l’Energie ? Ou une distribution de bons de réduction sur l’énergie éventuellement négociables ? On pourrait aussi envisager l’instauration de plusieurs prix des carburants, avec l’inconvénient, il est vrai, d’une grande complexité et d’opportunités pour toutes sortes de pressions corporatistes.
Au moment où les projets de centrales au gaz et au charbon se multiplient en France et dans le Monde sans provoquer de protestations sérieuses des professionnels autoproclamés de l’environnement qui préfèrent multiplier les manifestations contre l’EPR, «Sauvons le Climat » espère que la lutte contre le changement climatique sera abordée sérieusement au cours des campagnes électorales de 2007 et que le courage politique l’emportera sur la démagogie chez tous les candidats. Il est prêt à contribuer à enrichir le débat et à apporter ses propositions.
ANNEXE : Propositions essentielles des trois rapports
Organisation des pouvoirs publics.
Faire de la lutte contre le changement climatique une priorité nationale en créant ou renforçant des instances de coordination et de suivi. Créer un grand ministère de l’environnement, des transports et de l’énergie (MES) et un poste de Commissaire à la transition climatique (OPECST). Exiger la prise en compte de la lutte contre le réchauffement climatique dans la Loi d’Orientation des Finances, dans les contrats de plan Etat-Région et dans les schémas de développement des communes.
Formation, information et sensibilisation
Formation des professionnels à la prise en compte des économies d’énergie dans leur démarche.
Sensibilisation du public par un étiquetage systématique des émissions de CO2 et par des campagnes audio-visuelles.
Renforcement de l’ADEME et mise à disposition des communes de dossiers « climat et énergie » consultables par le public.
(OPECST)
Fiscalité et finances publiques
Réforme de l’ensemble de la fiscalité pour y introduire une approche cohérente et globale de protection de l’environnement et de lutte contre le changement climatique.
Instauration d’une fiscalité sur le Carbone dans les secteurs « hors quota », compensée par une diminution des charges sur le travail tout en veillant à ne pas trop pénaliser les faibles revenus (facteur 4)
Proposition (MES) d’une « taxe à la valeur écologique » (TVE)
Augmentation progressive et généralisation de la TIPP mais limitée à 1%/an et en excluant le fioul domestique(OPECST)
Taxation des véhicules en fonction de leur émission de CO2 (vignette Carbone) (OPECST)
Taxe annuelle applicable à tous les transporteurs routiers usagers du réseau d’autoroute (OPECST)
Habitat et tertiaire
Mise en place d’un plan de rénovation énergétique des bâtiments existant 400 000 logements par an) avec une cible de 50 KWh/m2 par an. (MES)
Pour les constructions nouvelles, planifier un nouveau renforcement de la réglementation thermique (MES)
Des « bilans carbone » ou équivalent devront être réalisés par les Pouvoirs publics avant d’engager tout investissement public d’une certaine taille (facteur 4).
Lutter contre le développement anarchique des zones périurbaines (OPECST)
Transports
Développer les projets ferroviaires, les voies d’eau navigable [3],le transport maritime, les transports collectifs urbains, et autres moyens de transport (MES).
Viser un engagement clair et réaliste des constructeurs au niveau européen (a priori moins de 100 gCO2/km dès 2020). Pour cela, introduire un marché de crédits carbone entre constructeurs (facteur 4).
Faciliter l’utilisation des biocarburants (OPECST).
Vignette « Carbone » associée à un crédit d’impôt ou des subventions pour faciliter l’achat de véhicules peu émetteurs de CO2 (OPECST)
Multiplier les expériences de mise à disposition de solutions alternatives gare routière en pleine campagne, vélos, véhicules électriques, flottes captives de mini véhicules électriques urbains avec parkings dédiés, ferroutage massif des véhicules individuels (OPECST)
Recherche
Les trois rapports soulignent l’importance de soutenir le recherche dans tous les domaines liés au réchauffement climatique . Une proposition originale de l’OPECST est de nommer un responsable par filière de recherche rendant compte au « Commissaire à la transition énergétique ».
Industrie, énergie, entreprises, produits
Evolution des règles relatives aux quotas: extension au transport aérien, intégration d’autres gaz (NO2, HFC, PFC) (MES).
Utiliser toutes les ressources énergétiques disponibles pour minimiser la part « carbone » du mix énergétique français. Ceci conduit à favoriser les énergies renouvelables (dont l’hydraulique et la biomasse) et le nucléaire(hydraulique et nucléaire n’ont pas fait l’unanimité) (Facteur 4)
Généraliser et renforcer les normes et réglementations sur la performance énergétique minimale des objets de consommation et des bâtiments existants (Facteur 4).
Agriculture, forêt
Etablir un plan de gestion global des forêts permettant de mobiliser au maximum le rôle de « puit de carbone » joué par la forêt française(MES) .
Développer des recherches sur des engrais moins polluants du point de vue du climat(MES).
Favoriser l’utilisation massive de la ressource biomasse pour une valorisation énergétique, chimique ou en matériaux, en substitution des énergies fossiles (en particulier pour les usages thermiques, électriques en co-génération et biocarburants)(MES)
Adaptation
La MES s’attarde sur la question de l’adaptation du pays à un réchauffement climatique inéluctable.
Action internationale
Les trois rapports insistent sur la nécessité d’un action internationale au niveau européen et mondial (inclusion de l’environnement dans les discussions de l’OMC) pour éviter les distorsions de la concurrence au détriment des pays ayant une politique active de réduction de leurs émissions de GES.
[1] « Sauvons le Climat » salue la participation importante de membres de son Conseil Scientifique aux travaux de la MES.
[2] « Sauvons le Climat » regrette que les ONG parties prenantes du groupe « facteur 4 » soient toutes « antinucléaires ». Sans nier l’importance de ce courant d’idées il ne saurait représenter l’ensemble de la société française, loin de là.
[3] Dommage d’avoir renoncé au canal Rhin-Rhône !