Sauvons le climat en appelle au chef de l’Etat pour revoir les priorités d’action en faveur de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, et pour réorienter le dialogue européen pour une plus grande efficacité de la politique en la matière. Nous demandons également à participer à la concertation voulue par le président, ainsi que les académies et les organisations scientifiques.
Le 9 juin 2017
Monsieur le Président de la République
Sous couvert de Monsieur le Directeur de Cabinet
Monsieur,
Depuis 2004 Sauvons le climat (SLC), association regroupant de nombreux experts des domaines de l’énergie et du climat, s’attache à apporter une contribution neutre, scientifique, cartésienne, loin des postures idéologiques, au débat sur le changement climatique.
Alors que le nouveau gouvernement s’installe il devra prendre en compte l’extrême difficulté d’atteindre les objectifs des COP 21 et 22 dans les conditions actuelles dans le monde, en Europe et en France, difficulté accentuée suite à la décision du Président Trump. Nous insistons sur le fait que l’émission des gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère et les océans est un phénomène cumulatif et qu’il en résulte que toute tonne de GES évitée demain sera plus efficace vis-à-vis du changement climatique que des tonnes évitées plus tard grâce à d’hypothétiques progrès technologiques. Il y a urgence et il faudra être très pragmatique !
Nous notons en particulier que la réduction de la consommation énergétique finale depuis dix ans est insignifiante, en particulier dans les deux domaines les plus critiques que sont l’habitat/tertiaire et les transports. Les seules baisses sensibles concernent l’industrie suite à la crise économique et aux délocalisations. Parallèlement des investissements considérables ont été engagés dans les énergies renouvelables électrogènes sans progrès significatifs sur les émissions de GES. L’effort de développement des énergies renouvelables thermiques, plus efficaces, reste marginal.
Les objectifs que se sont fixés les gouvernements successifs depuis le Grenelle de l’environnement et, dans sa continuité avec la loi de Transition énergétique pour la croissance verte (LTECV), nous semblent devoir être assez profondément révisés dans un souci d’efficacité et de préservation de notre économie et de notre système social. De plus notre pays devrait agir fermement au niveau de l’Europe, en cohérence avec le principe de subsidiarité, pour faire évoluer les directives dans un sens plus réaliste, éloigné d’une orientation directement inspirée par celle mise en œuvre depuis 15 ans en Allemagne avec un coût prohibitif et des résultats au mieux médiocres.
Il est important que le gouvernement clarifie ses priorités, certaines étant antagonistes. Nous privilégions la lutte contre le changement climatique, comme l’Europe semble le vouloir aujourd’hui. Or la politique actuelle met en avant un retrait d’un nucléaire, pourtant non émetteur de GES et national, au profit d’un déploiement rapide de technologies renouvelables électrogènes largement importées et du chauffage gaz dans le bâti neuf. Nous pensons que, contrairement à la politique actuelle il serait plus efficace de renforcer les usages de technologies électriques performantes dans tous les domaines. Or le secteur électrique est en
Europe au bord du gouffre en raison d’une concurrence mortifère entre un secteur sur-subventionné et un marché libéralisé : il faudra revenir à un meilleur équilibre.
Il faut aujourd’hui conserver nos atouts, notre pays étant déjà partiellement décarboné grâce à son électricité, et mettre en œuvre les technologies non carbonées matures, économiquement et sociologiquement supportables, dont nous disposons, sans mettre à mal notre économie. Un critère logique serait de les évaluer en fonction du coût de la tonne de gaz carbonique évitée.
Nous souhaitons être associés à vos concertations sur la transition énergétique et nous serions heureux de pouvoir vous rencontrer afin de vous exposer nos points de vue, dont vous trouverez quelques éléments essentiels dans la note synthétique jointe.
Soyez certain de notre plus haute considération.
Claude Jeandron
Président de « Sauvons le climat »
Annexe La transition énergétique : nous ne sommes pas sur la bonne voie
Pour limiter à 2 °C la croissance de la température il faudrait réduire de plusieurs points annuellement les émissions de CO2, et donc l’usage des fossiles. Mondialement, mais également au niveau français, nous en sommes loin puisque les émissions de CO2 ont encore augmenté en 2015 en Europe ainsi qu’en France[1].
Or les quinze prochaines années seront particulièrement importantes car la durée de vie du gaz carbonique étant longue (1 à plusieurs siècles), il y a accumulation du CO2 dans l’atmosphère. Il sera essentiel d’utiliser au mieux les technologies matures actuelles, avant démonstration d’une efficacité et d’une compétitivité supportable des technologies prospectives.
Alors que notre pays est largement plus performant que la majorité des pays européens, il devrait s’appuyer sur ses atouts afin de préserver sa compétitivité, sa sécurité d’approvisionnement, dans une vision durable. Or on a confondu fin et moyens : décarboner l’économie ne veut pas dire nécessairement développer prioritairement des énergies renouvelables aux dépens d’autres énergies décarbonées matures et compétitives comme le nucléaire.
Quel est le tableau de la situation ?
- La France représente environ 1% des émissions mondiales de gaz carbonique et l’Europe des 28 environ 10%, mais quatre pays (Chine, USA, Inde et Russie), près de 45% ensemble. Or les objectifs proposés dans le cadre des COP 21 et 22 montrent un déséquilibre certain. Si l’Europe propose une baisse de ses émissions de 40% en 2030, les contributions proposées par des pays majeurs sont bien plus modestes :
- les USA, bien que gros consommateurs, se contentaient avec le Président Obama par rapport à la même date de référence, 1990, d’une réduction de 11% en 2025[2]. Celle-ci, bien modeste, est désormais caduque suite aux décisions du Président Trump, même si certains états et industriels resteraient prêts à poursuivre leurs efforts,
- la Chine propose un maximum non défini en 2030,
- et l’Inde indique une réduction de 35% en 2030, mais par point de PIB par habitant, celui-ci étant en forte croissance.
L’élaboration des contributions contre le réchauffement climatique semble ressortir d’un jeu de dupes dont l’Europe pourrait être la victime. Ses efforts seront sans efficacité réelle si l’équilibre des contributions n’est pas rétabli. La COP 21 se révèle être principalement un succès diplomatique et médiatique.
- Les pays qui produisent massivement leur électricité avec du charbon ou du lignite (USA, Allemagne, Chine et Inde par exemple) pourront présenter un bilan positif en basculant simplement vers le gaz sans pour autant devenir performants. Nous ne pourrons utiliser cette facilité ! A plus long terme le poids du charbon dans la production mondiale d’électricité étant encore de 40%, si de nombreux pays confirmaient son abandon (ou si une réelle taxe carbone l’imposait ?), une forte pression sur le marché du gaz serait probable, fragilisant d’autant l’Europe.
- L’essentiel des investissements est désormais orienté en Europe et en France vers les énergies renouvelables électrogènes alors que le secteur de l’électricité est en pleine réforme (la « libéralisation » du marché). Ce marché a été sinistré suite à l’apport massif de subventions aux renouvelables, il n’y a plus d’investissements productifs hors technologies subventionnées et le prix de l’électricité, taxes et contributions incluses, s’envole[3]. Un manque d’analyse des conséquences de l’introduction d’énergies intermittentes et aléatoires dans le mix conduit désormais à une recherche de solutions palliatives, elles-mêmes coûteuses et qui exigent de nouvelles subventions (stockage, réserves de puissance, surdimensionnement des réseaux HT et BT). La situation est désormais caractérisée par des surinvestissements aidés massifs et, en France, une sur-taxation d’une électricité pourtant décarbonée.
- « Réseau de transport d’électricité » montre très clairement dans le cas de la France, avec son nucléaire et son hydroélectricité, que la pénétration des énergies renouvelables électrogènes aura un impact insignifiant sur nos émissions de GES. Il serait, au prix d’un investissement très important, de l’ordre de 1 à 2 % au mieux de nos émissions, seulement 4,1 Mt CO2 de 2015 à 2021 selon le scénario RTE sur un total de 350 Mt[4], en alourdissant le prix de l’électricité[5], et en fragilisant notre réseau
- Les bilans énergétiques annuels de la France montrent des progrès insignifiants. Notre consommation énergétique est restée quasi stable (baisse moyenne de 4/1000 par an de 2009 à 2015). Les émissions des secteurs résidentiel/tertiaire et transports, qui représentent les 2/3 de nos émissions de CO2, sont au même niveau qu’en 2005[6]. La politique d’efficacité énergétique est en échec.
- La commission européenne a fait le choix en 2016 de proposer une répartition des réductions des émissions de GES entre chacun des 28 pays, hors ETS, en fonction de leur PIB par habitant, donc de leur richesse, sans prise en compte de leurs performances actuelles. L’anomalie de cette proposition apparait quand les deux pays les plus performants (Suède et France) se voient proposer le même niveau de réduction entre 2005 et 2030 que des pays de même niveau de richesse (Allemagne, Royaume-Uni et Danemark) mais émetteurs notablement plus importants. Il en résulte un avantage économique certain pour ces derniers : en 2030 l’Allemagne aurait le même niveau d’émissions par habitant que la France en 2013. La France devrait proposer une répartition plus équilibrée conduisant à une convergence des rejets par habitant pour des pays de même niveau de vie.
Quelles évolutions introduire dans la politique énergétique de la France
Les objectifs climatiques de l’Europe pour 2030 sont extrêmement ambitieux par rapport au reste du monde, voire inatteignables. Mais les objectifs de la France sont encore plus difficiles à atteindre car son économie est fragile et elle part d’un bilan déjà plus performant, avec moins de marges de manœuvre. Elle n’a donc d’autres solutions que de se donner trois priorités pour s’approcher de son objectif sans se ruiner : développer ses forces actuelles, le faire en faisant appel aux technologies et adaptations sociétales les plus économiques, et en veillant à l’équilibre de sa balance commerciale
Quelques inflexions devraient être introduites dans la Loi sur la transition énergétique et la croissance verte (LTECV) et la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) pour améliorer l’efficacité de notre transition énergétique. Il n’est pas question ici de proposer un programme détaillé de lutte contre le changement climatique mais plutôt de présenter quelques pistes de progrès dans une vision pragmatique.
Ø Le secteur résidentiel tertiaire, encore très carboné[7] est étouffé par une réglementation abusive, inspirée d’une doctrine anti électricité résultant des objectifs de réduction de la production nucléaire.
o La priorité n’est pas assez donnée à l’habitat ancien dont une moitié est encore très énergivore. Les gains en émissions de GES résulteront essentiellement de ce secteur si nous portons l’effort sur les technologies bénéficiant du meilleur retour sur investissement[8] et sur la professionnalisation du secteur. Les objectifs généraux de la LTECV sont irréalistes (nombre de logements concernés, performances visées) et trop encadrés. Les aides doivent se concentrer sur les bâtiments les moins performants.
o La construction neuve aura un impact tardif sur les émissions de GES avec un renouvellement faible (moins de 1% par an) et une augmentation globale du parc. Les bénéfices en termes de rejets des bâtiments basse consommation sont partiellement annihilé par un recours très accentué au chauffage gaz[9], conséquences de la Règlementation Thermique pour le bâtiment (RT 2012). La priorité devrait être donnée à une modification de cette réglementation en substituant aux limites imposées en énergie une limite d’émissions de CO2. Il faudrait également simplifier la règlementation applicable aux logements BBC pour en faciliter l’acquisition par les jeunes et réduire les coûts de construction. L’intérêt des logements à énergie positive, obligatoire à partir de 2020 dans la LTECV, est tout à fait contestable et nous recommandons de mieux l’évaluer et à minima d’en reporter l’obligation jusqu’à analyse complète.
Ø Le secteur des transports bénéficie en France d’une électricité très décarbonée et de la présence de constructeurs de niveau mondial : deux pistes sont à privilégier, l’électrification des transports et l’amélioration du rendement des moteurs. C’est un domaine où le déploiement de nouvelles technologies peut être rapide compte tenu des rythmes de remplacement. Les perspectives des biocarburants sont encore très incertaines, la première génération s’est révélée décevante (performances GES faibles, usage de terres agricoles, importations d’huile de palme)[10], et la viabilité de la seconde reste encore à démontrer. On ne peut compter sur des biocarburants de 2ème génération avant une dizaine d’années.
Ø Le secteur des énergies renouvelables thermiques doit être plus largement soutenu car utilisant efficacement l’énergie potentielle. En ce qui concerne la biomasse il sera limité par la ressource[11], qu’il s’agisse de biogaz, de biocarburants (sans apports cultivés) ou de la forêt traditionnelle. Mais elle présente l’intérêt d’un appoint de ressources non négligeable pour les exploitations agricoles et des zones en voie de désertification à condition d’alléger les réglementations, de simplifier les gouvernances et de reprofessionnaliser le secteur.
Ø Un recours accru à l’électrification par les moyens les plus efficaces est une option clairement souhaitable du point de vue climatique. Cette croissance autoriserait, à un rythme économiquement supportable, la croissance des énergies renouvelables électrogènes en complément du nucléaire. Le déploiement de ces énergies doit être considéré comme un moyen au service d’un objectif essentiel et non un but en soi. Un rééquilibrage du mix électrique est-il souhaitable ? Seulement selon des critères d’efficacité sociale en ne perdant pas de vue le bénéfice des investissements antérieurs de la nation, dans le nucléaire et l’hydraulique, dont nous bénéficions aujourd’hui, et le rôle de la péréquation des tarifs. Il faudrait de ce point de vue que la régionalisation de l’énergie, dans le cadre des plans énergie-climat régionaux, ne détruise pas ce ciment social, certaines régions bénéficiant de ressources locales largement plus importantes que d’autres.
Ø La formation professionnelle dans les domaines impactés par la transition énergétique (bâtiment, domotique, intelligence, équipements énergétiques) doit évoluer par le haut car le secteur des petites entreprises du bâtiment et des installateurs d’équipements énergétiques, très éclaté, manque souvent des compétences nécessaires. C’est une des clés du succès de la transition énergétique.
Ø Il faudrait enfin, dans le cadre de révisions que nous jugeons essentielles de la LTECV et de la PPE, simplifier ces textes inutilement complexes et très redondants en ayant pour objectif de redonner plus d’initiatives aux entreprises. Le pragmatisme devrait l’emporter sur les idéologies.
Dans le cadre de ses initiatives en Europe et lors des COP, la France devrait accompagner la demande, exprimée lors de la COP 22 par de nombreux états, d’une répartition plus équilibrée des aides apportées au tiers monde entre la lutte contre le réchauffement et l’adaptation à celle-ci (50/50 au lieu de 20/80). La difficulté d’atteinte des objectifs climatiques de la COP21 est évidente. Est-ce souhaitable aussi en Europe et en France ? Il est probablement important de renforcer les recherches sur ces adaptations, qui doivent être prévues largement en amont. C’est particulièrement critique pour l’agriculture !
Plus globalement un abandon massif des énergies fossiles, et du charbon en particulier, semble quasiment impossible sur quelques dizaines d’années[12]. Elles contribuent encore pour plus de 80% à la consommation d’énergie de la planète alors que la population continue à croitre. La France, avec l’Europe, devrait peser pour un programme ambitieux de démonstration et de déploiement de la séquestration du gaz carbonique applicable aux centrales électriques du futur et à des industries très carbonées.
[1] D’après EUROSTAT +0,7% en 2015 en Europe et + 1,7 % en France
[2] Les USA proposent une baisse de 26% en 2025 par rapport à 2005 mais après une croissance de 15% de 1990 à 2005
[3] En 2017 d’après la CRE la charge annuelle liée à l’éolien sera de 1500 millions et celle liée au solaire de 2813 millions. Leur coût moyen d’achat par les distributeurs sera de 357 €/MWh pour un prix de marché 6 à 7 fois inférieur.
[4] RTE : “Bilan de l’équilibre offre demande 2016 »
[5] D’après la CRE le prix moyen net d’achat de l’électricité renouvelable a été de 317 € par MWh HT en 2015 alors que l’électricité est vendue au particulier 170 € TTC transport, commercialisation et distribution inclus.
[6] Source : http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/energie-climat/s/consommations-secteur-tous-secteurs.html
[7] Le chauffage de l’habitat repose encore sur les énergies fossiles pour 57% du parc
[8] L’union française de l’électricité propose par exemple l’isolation des combles, la suppression du chauffage fuel, le développement des pompes à chaleur de préférence au chauffage gaz, les chauffe-eaux solaires
[9] Dès 2013 le chauffage gaz dans le neuf concernait 72% du collectif, 55% de l’individuel grouppé et 22% des maisons.
[10] La commission européenne a suggéré fin 2016 de réduire de manière draconienne la part des biocarburants de première génération entre 2021 et 2030. Ils tomberaient ainsi à 3,8% alors que l'objectif est de 7% pour 2020.
[11] Il représente avec le solaire thermique moins de 10 % de notre énergie finale mais sa progression sera très limitée, au mieux 11,5% en 2023
[12] 5 pays (Chine, Inde, USA, Russie, Australie) ont produit 75% du charbon mondial en 2014, et l’Europe des 28 moins de 4%. Leur imposer un retrait rapide du charbon est sans doute irréaliste.