Se passer de nucléaire, c’est « sauter d’un avion sans parachute en espérant le tisser pendant la descente… »

Georges SAPY

Se passer de nucléaire, c’est « sauter d’un avion sans parachute en espérant le tisser pendant la descente… »

 

 Publié par Le Monde de l'Energie le 09.11.2022 ,    par Sauvons le climat

Une tribune signée par l’association Sauvons le Climat, qui défend un scénario de sortie des combustibles fossiles dans une optique « positive, scientifique, cartésienne », sous la plume de Georges Sapy, ingénieur en électricité.

Quels scénarios vers la neutralité carbone pour la France ?

Répondre à cette question passe par l’inventaire des solutions énergétiques peu carbonées qui sont disponibles selon les connaissances actuelles. Or, il n’y en a que deux : l’énergie nucléaire, la moins carbonée de toutes avec l’hydraulique, qui est en outre « pilotable » (on peut moduler sa production) et apte à produire de l’électricité à très grande échelle et à un coût raisonnable. L’autre solution est le recours aux énergies renouvelables dont les trois principales sont l’hydraulique, utilisée depuis très longtemps mais dont le potentiel de croissance est limité, et les énergies variables et intermittentes du vent et du soleil, qui sont les seules à avoir un potentiel de croissance important. Il faut y ajouter la biomasse, au potentiel de croissance limité par le renouvellement annuel.

La question qui se pose est donc : pourra-t-on se passer en 2050 de l’une ou l’autre de ces sources d’énergie, notamment du nucléaire comme certains le prônent pour ne conserver que les énergies renouvelables ? Ou faut-il retenir le mix le mieux adapté possible de ces énergies ? La réponse se trouve essentiellement dans les lois de la physique et les caractéristiques technologiques et économiques de ces différentes solutions. Il existe ainsi deux raisons majeures pour lesquelles une solution « 100 % renouvelable » est irréaliste, une seule de ces raisons suffisant à conclure.

* La première raison est que se passer de nucléaire conduirait à un changement total du mode de fonctionnement des réseaux actuels. Ces derniers utilisent en effet depuis la fin du 19ème siècle, date d’apparition des premiers réseaux publics, de machines synchrones, solution qui a fait ses preuves dans tous les pays du monde et conduit actuellement à la très grande sûreté de fonctionnement des réseaux d’électricité. Se passer de nucléaire, qui serait massivement remplacé par de l’éolien et du photovoltaïque, obligerait à passer d’un réseau majoritairement piloté par des machines synchrones pilotables à un réseau majoritairement piloté par de l’électronique de puissance, moyen de couplage au réseau des éoliennes et des panneaux photovoltaïques. Il s’agit là d’une révolution technologique extrêmement complexe dont le bon aboutissement est très incertain et constitue un pari extrêmement risqué. Le rapport commun de l’AIE et de RTE publié le 27 janvier 2021 et intitulé « Conditions et prérequis en matière de faisabilité technique pour un système avec une forte proportion d’énergies renouvelables à l’horizon 2050 » indique en effet très clairement :

« Quatre ensembles de conditions strictes devront être remplies pour permettre, sur le plan technique et avec une sécurité d’approvisionnement assurée, l’intégration d’une proportion très élevée d’énergies renouvelables dans un système électrique de grande échelle comme celui de la France […] Il n’existe aucune démonstration de la faisabilité d’une intégration très poussée d’EnR variables comme l’éolien et le photovoltaïque sur un grand système électrique ».

La réalité est que l’on est actuellement très loin de pouvoir démontrer que ces conditions très contraignantes pourront être satisfaites. Cela ne permet donc en aucun cas d’engager de façon responsable la France dans cette voie, pour un système électrique dont la robustesse et la sûreté de fonctionnement sont tout simplement vitales pour le pays. Cela reviendrait à « sauter d’un avion sans parachute en espérant le tisser pendant la descente… ».

* La deuxième raison est qu’un système de production « tout renouvelable » est incapable de produire suffisamment d’électricité pour répondre aux futurs besoins. Ceci pour une raison physique, en dépit des progrès d’efficacité et des efforts de sobriété qui seront nécessaires : il sera impossible d’installer suffisamment d’éoliennes à terre, d’éoliennes en mer et de panneaux photovoltaïques, compte tenu de la très faible densité surfacique de ces sources d’énergie.

Un exemple concret le prouve : l’Allemagne, qui a décidé de sortir du nucléaire et donc de prendre dès maintenant le risque du « tout renouvelable » évoqué ci-dessus, devra doubler sa production d’électricité d’ici 2050. Cette dernière devra alors être fournie à environ 90 % par des sources d’électricité éolienne et photovoltaïque, qui représentent actuellement moins de 35 % de sa production totale. Un calcul très simple montre que pour atteindre ses objectifs de 2050, l’Allemagne devra multiplier par plus de 5 sa capacité éolienne et photovoltaïque installée actuelle, pourtant de loin la plus importante d’Europe et qui lui a coûté plus de 600 milliards d’euros. Est-ce réaliste ? Ce l’est d’autant moins que cet énorme parc éolien et photovoltaïque ne fournira presque rien durant les longues nuits d’hiver sans vent ou par vent très faible. La seule solution pour ne pas mettre le pays dans le noir sera alors de déstocker massivement de l’énergie accumulée, pour produire à nouveau de l’électricité. A cette échelle très importante, une seule solution existe : déstocker de l’hydrogène. Mais comme produire ces très grandes quantités d’hydrogène sans émettre CO2 consommera beaucoup d’électricité, l’Allemagne ne pourra pas les produire sur son sol et prévoit d’ores et déjà d’en importer 70 à 75 %1[1] , depuis des pays ensoleillés d’Afrique et d’ailleurs où cet hydrogène sera produit par de l’électricité photovoltaïque réputée peu chère dans ces pays.

Mais il faudra ensuite transporter ces très grandes quantités d’hydrogène, soit par tuyauteries soit surtout sous forme liquide à – 253 °C, ce qui est très loin d’être au point et coûtera très cher. Sans compter que ces importations conduiront l’Allemagne à accepter une dépendance géostratégique dangereuse en cas de conflits.

Par refus du nucléaire, l’Allemagne fait donc un deuxième pari également risqué et très coûteux de façon certaine.

La conclusion est que le « tout renouvelable » est une double impasse. La France fait heureusement un autre choix en pérennisant un socle nucléaire majoritaire complété par des énergies renouvelables minoritaires. Ce choix responsable évite les deux paris précités.

Malheureusement, cela ne met pas complètement la France à l’abri, les interconnexions croissantes des réseaux des pays européens mutualisant de plus en plus les risques, qui s’étendront à toute l’Europe si trop de pays refusent également l’option nucléaire. De trop grandes tensions sur l’approvisionnement en électricité seraient alors susceptibles de faire éclater la solidarité européenne et de remettre en cause l’objectif de neutralité carbone, car le seul « plan B » des pays sans nucléaire sera un retour aux énergies fossiles. C’est un enjeu européen vital le climat.

1 Importations d’hydrogène décarboné dans l’Union Européenne : défis et opportunités – La Revue de L’Energie – Hors-série / Octobre 2021

 

Retrouvez aussi le premier volet de notre série de tribunes de Sauvons le climat : La loi de transition énergétique a fait l’impasse sur la sécurité de l’alimentation électrique de la France, par Claude Jeandron

 

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