Pourquoi ne pas directement attaquer Dieu en justice … pour l’obliger à modifier les lois de la nature ?

Gérard Bonhomme

Le succès de la pétition « l’affaire du siècle », (https://laffairedusiecle.net/), s’il traduit une indéniable sensibilisation de l’opinion publique, est aussi tout-à-fait symptomatique des temps que nous vivons, où trop souvent l'émotion l'emporte sur l'analyse et la discussion des faits.

Combien parmi les signataires qui par un simple clic s’achètent une bonne conscience écologique, réalisent-ils que la signer revient à cautionner implicitement l'idée qu'une volonté politique suffirait pour résoudre le problème de la décarbonisation totale de notre économie, c'est-à-dire que les solutions existent et que l'Etat est bien fautif de ne pas les mettre en œuvre ? Avant de mettre l'Etat en accusation, il conviendrait de vérifier en quoi il a failli.

Or la lecture du paragraphe de cette pétition listant les obligations fixées à l'Etat :

"L’État a l’obligation d’agir. Il doit prendre les mesures politiques qui s’imposent, tout en garantissant la justice sociale. Il doit réduire notre dépendance au pétrole et nous fournir des alternatives en matière de transport. Il doit investir dans la rénovation des logements et promouvoir l’usage des énergies renouvelables, en abandonnant le recours aux énergies fossiles et nucléaire. Il doit instaurer l’accès de tous à une alimentation suffisante, saine et de qualité, garantir un revenu décent pour les agriculteurs et lutter contre la déforestation. Il doit aussi mettre en place les dispositifs indispensables à l'adaptation de nos territoires et à la protection de nos côtes. Toutes ces mesures auront un impact positif sur nos vies. Pourtant, ce qui est sur la table aujourd’hui est largement insuffisant."

est édifiante et la liste de ces obligations n'est pas sans rappeler, dans ses incohérences hélas déjà présentes dans la loi de 2015 pour la transition énergétique et la croissance verte, (par exemple, réussir à décarboniser en sortant simultanément des énergies fossiles et nucléaire), les revendications protéiformes des 'gilets jaunes'.

Seul un Etat se hissant à un niveau divin d'omnipotence pourrait être à la hauteur d'un tel défi, comparable à ... la restauration du paradis terrestre ... pour nous éviter la fin du monde, annoncée avec beaucoup de complaisance par toutes les dystopies bien dans l’air du temps. Hier on dansait pour amadouer le dieu de la pluie, mais aujourd'hui, même après avoir cru pouvoir acter la mort de Dieu, on marche pour le climat. Malheureusement, ou heureusement dans une perspective chrétienne, une intervention divine directe ne nous sauvera pas. Dieu nous a confié la gestion du domaine et la mission de le faire prospérer avec nos moyens et ressources limitées. Notre devoir est donc de mobiliser pour cela toutes les ressources de notre intelligence humaine et ne pas compter sur quelque transcendance omnipotente pour réaliser nos rêves utopiques. Et d'ailleurs l'Etat c'est nous ! Il est étonnant qu'en dépit des immenses catastrophes qu'elles ont provoquées au siècle dernier, des utopies imaginant des possibilités de sociétés parfaites, entendez zéro déchet, forcément constituées de citoyens tous parfaits, se mettent à refleurir. Mais comme l’espérance et la foi dans le progrès ont perdu du terrain, les nouvelles utopies sont aussi moins universelles, plus locales, plus diverses et souvent plus radicales dans leurs aveuglements allant pour certaines jusqu’au rejet des Lumières et des sciences, ou à leur dévoiement comme dans les délires transhumanistes aux conséquences sans doute aussi redoutables que l’eugénisme de si sinistre mémoire du siècle passé.

On peut bien sûr constater l’insuffisance des résultats obtenus en termes de décarbonisation de notre économie, mais n'est-il pas un peu paradoxal que des ONGs qui en attribuent la faute à la politique gouvernementale ne sont pas elles-mêmes, par leur lobbying efficace, en partie responsables des incohérences de la loi de 2015 qui permettent précisément d’expliquer les raisons, (notamment confusion entre transition énergétique et sortie du nucléaire), de cette mauvaise trajectoire ?

Il est donc essentiel, avant de juger l’action de l'Etat, de s’assurer que les engagements pris en notre nom par ce dernier pourront être tenus. Sinon la dangereuse conséquence à attendre est la perte de confiance en l’action gouvernementale et les responsables politiques. Pour éviter cela il est nécessaire que les ONGs et leurs militants, qui ne risquent pas ce discrédit, dans leurs efforts louables en faveur de la défense de l'environnement, prennent aussi vraiment conscience des contraintes imposées par les lois de la nature et ne laissent pas imaginer aux citoyens ou décideurs politiques insuffisamment informés que le vert paradis est pour demain s'ils le veulent. Mais comment faire comprendre aux responsables d'ONGs trop souvent aveuglés par leurs convictions militantes, au grand public souvent mal informé sur les aspects scientifiques et techniques incontournables, (comme disait fort justement Francis Bacon à la fin du XVIème siècle : "pour commander la nature il faut obéir à ses lois"), que tout n'est pas possible et que définir des priorités et construire des compromis cohérents est une absolue nécessité ?

Une approche scientifique objective, basée sur des faits et une analyse rationnelle non biaisée par des convictions idéologiques, conduit en particulier à démontrer que deux illusions dangereuses doivent être dissipées :

- il serait possible de maintenir une société à haut niveau de services tout en réduisant drastiquement la consommation d'énergie. L'accès à l'énergie est une condition du développement des sociétés humaines. Ce n'est pas une invention du capitalisme, dont il suffirait de sortir ("changeons le système, pas le climat", comme on a pu voir dans les manifestations), pour résoudre le problème. Ce qui ne veut pas dire bien sûr que le "système" n'est pas perfectible. Il en va des sociétés humaines comme des êtres vivants qui les constituent, ce sont du point de vue thermodynamique des systèmes ouverts qui ne peuvent pas se maintenir et croître en complexité et organisation sans apports en énergie et en ressources suffisants. C'est au travers de l'optimisation de ces processus d'échanges, que la dynamique de l'évolution cosmique se manifeste. Il ne pourra y avoir pour une bonne moitié de la population mondiale, (qui doit se contenter actuellement d'environ un tiers de la moyenne mondiale par tête, alors que nous consommons le double), d'accès au développement, et à plus de services, sans croissance de sa consommation énergétique. La croissance au niveau mondial de la consommation d'énergie, dont environ 80% proviennent des ressources fossiles, (notons qu’elles n’interviennent que pour environ moitié dans la consommation d’énergie primaire en France), résulte à la fois de l'évolution démographique et du développement. Ceci bien sûr ne remet pas en cause la nécessité pour les pays développés de mettre en œuvre des programmes d'économie d'énergie et de ressources. Mais il est illusoire de croire que ceci permettra de réduire la consommation mondiale et n'aura par ailleurs qu'un impact positif sur nos vies. Le principal problème sera le partage équitable des efforts, pour éviter que le citoyen pétitionnaire ne vire du vert au jaune.

 - les énergies renouvelables électrogènes (PV et éolien) constitueraient la panacée permettant une sortie des énergies fossiles et nucléaire. Ceci est (malheureusement) totalement faux, en particulier faute de pouvoir gérer à grande échelle les conséquences de leur intermittence. Mais aussi parce que la captation de ces énergies, dont le flux est certes inépuisable, mobilise, du fait de leur faible intensité, de grandes quantités de ressources minérales. On leur consacre pourtant déjà en France un budget très important (notamment via la CSPE), que la récente PPE envisage de porter de 5 à 8 milliards d’euros par an, alors que l'incidence de leur déploiement sur les émissions de gaz à effet de serre est négligeable.

En France la vraie priorité doit donc être donnée à la rénovation thermique des bâtiments et à la décarbonisation des transports. Il conviendrait donc de demander à l'Etat de réorienter les financements vers ces deux priorités. D'un point de vue global, il est impératif d'aider les pays en développement à recourir aux énergies décarbonées. Dans les pays du sud, le solaire est pour le coup vraiment pertinent et doit être développé pour remplacer le recours aux combustibles fossiles ... et à la biomasse pour limiter la déforestation.

Nancy, décembre 2018

Gérard Bonhomme (Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.)

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