Jean Fluchère : FUKUSHIMA, suite du document rédigé le 16 mars 2011
Ce document complémentaire à celui du 16 mars est le fruit des réflexions d'un ancien exploitant qui essaie de reconstituer le fil des événements.
Les informations que je donne dans ce document le sont avec beaucoup de réserves. Nous n’avons pas d’informations précises autres que celles de la note de synthèse faite chaque jour par l’IRSN.
Il faut souligner le courage de nos collègues Japonais qui ont dû travailler dans le noir et en manuel depuis la nuit du 11 au 12 mars jusqu’au rétablissement progressif de l’électricité du 19 au 23 mars.
Dans le document rédigé le 16 mars, j’ai omis plusieurs points :
- Le premier est essentiel pour comprendre les difficultés rencontrées par les exploitants. Après l’arrêt des groupes électrogènes de secours lors du Tsunami, l’éclairage de secours et les polarités électriques de contrôle commande n’ont été alimentés que par les batteries. Quelques heures après, probablement dans la nuit du 11 au 12 mars, heure locale, ces batteries se sont retrouvées complètement déchargées. Les exploitants n’ont plus eu d’éclairage de secours, les salles de commande étaient dans le noir, plus aucune information n’était transmise et aucune commande à distance n’était possible. Cette situation a duré jusqu’à la remise sous tension des salles de commande. Lorsque l’on sait que la partie supérieure des bâtiments réacteurs est naturellement obscure, on imagine la difficulté des opérations.
- Les piscines de ces réacteurs sont situées hors enceinte de confinement comme sur les REP (Réacteurs à Eau Pressurisée), mais dans le bâtiment réacteur. Les groupes turbo-alternateurs sont placés tangentiellement au bâtiment réacteur. Dans les études sur les "missiles" provenant d’un éclatement des groupes, il apparait que les piscines sont dans le cône d’éjection. Elles ont donc été recouvertes de dalles de béton "antimissiles". Nous avons rencontré cette situation sur le CP1 ce qui nous a amené à bunkeriser les bâtiments électriques, la salle de commande et le réservoir d’alimentation de secours des générateurs de vapeur. La piscine de désactivation est protégée par le bâtiment réacteur. Ces dalles ont pu poser des problèmes soit pendant le séisme, car elles peuvent bouger ou se fragmenter et des débris peuvent tomber, mais surtout après car il n’y a pas de vision directe sur le niveau d’eau et les appoints par la partie supérieure sont moins évidents que dans nos REP.
- Le nombre d’assemblages en cœur des REB (Réacteurs à Eau Bouillante ou BWR : Boiling water Reactor) est environ 4 fois supérieur à celui des REP en raison d’une puissance linéique moyenne inférieure consécutive au refroidissement par une émulsion eau vapeur ; De plus, les épaisseurs de gainage sont plus importantes. Ceci conduit en cas de réaction zirconium- vapeur d’eau à des relâchements importants d’hydrogène.
- Il se trouve sur le site une piscine commune qui contient de l’ordre de 6 000 assemblages à retraiter.
- La séparation de phase de l’eau dans la cuve ne permet pas l’utilisation du bore. Le contrôle neutronique de moyen et long terme est assuré par des absorbants consommables fixes.
- La partie supérieure en cuve est surmontée par les séparateurs- sécheurs de vapeur.
- La masse de métal en partie supérieure et inférieure de cuve est favorable à une fixation des halogènes, iodes et bromes.
Le fonctionnement normal et accidentel est donné en annexe d’après la présentation du SEPTEN faite par Pascal et Rousselot. Elle permet de voir que :
- Le bas de l’enceinte de confinement contient l’équivalent des réservoirs d’eau de l’injection moyenne pression sur les REP,
- Il existe une turbopompe de secours entièrement autonome,
- La pression vapeur dans la cuve agit sur des soupapes de décharge à l’intérieur de l’enceinte de confinement, un peu comme les soupapes de décharges d’un pressuriseur de REP,
- Il existe un réservoir d’eau extérieur pour l’injection de sécurité en cuve avant de passer sur la recirculation.
Globalement, les situations accidentelles prises en compte sont analogues sur un REB et sur un REP. Les dispositifs de sauvegarde sont adaptés aux différences de design.
La succession des événements est assez bien connue.
- Les sources électriques sont toutes perdues à l’exception des unités 5 et 6 qui ont conservé chacune un diesel,
- Les exploitants ont travaillé dans le noir, sans informations et sans systèmes de télécommande ce qui constitue un facteur aggravant de la situation,
- Une fois les réserves d’eau des dispositifs de secours épuisées, la puissance résiduelle n’a pas pu être évacuée ce qui a entraîné un échauffement des cœurs et une oxydation brutale des gaines produisant de l’hydrogène en quantité,
- Les sources froides sont inexistantes à la fois par manque d’électricité et en raison de l’effet dévastateur du tsunami sur la station de pompage.
Pour éviter une montée en pression des enceintes de confinement (risque de rupture) en raison des dégagements de vapeur depuis les soupapes de décharge des réacteurs, les exploitants ont procédé à des éventages de l’enceinte de confinement. Ces éventages ont conduit à l’accumulation de la vapeur et des gaz, dont l’hydrogène, dans la partie supérieure des bâtiments réacteurs. L’hydrogène a explosé d’abord sur le bâtiment 1, puis sur le 3 et enfin sur le 2.
Il semble que l’explosion du bâtiment 3 ait endommagé les parois de la piscine de ce réacteur et du réacteur 4 occasionnant une perte d’eau.
A toute chose malheur est bon, l’explosion de la partie supérieure des bâtiments réacteur a permis d’envoyer de l’eau et a donné une vision directe pendant le jour.
A partir du 13 mars, les exploitants ont injecté de l’eau de mer borée dans les cuves. Nous ne savons pas avec quels moyens. Cependant l’eau de mer en s’évaporant dépose du sel qui peut être un facteur important de bouchage des canaux de refroidissement dans le cœur mais surtout de blocage des robinets d’éventage et d’alimentation.
D’un autre coté TEPCO a rapidement décidé de ramener une alimentation haute tension pour rétablir une source.
Le 17 mars, des hélicoptères ont pu larguer de l’eau et des camions de pompiers munis de lances à haute pression ont pu atteindre le site.
L’arrosage par les pompiers a permis de rétablir un refroidissement des réacteurs. Des bras articulés utilisés pour pousser du béton ont été utilisés pour mieux cibler les renvois d’eau.
A partir du 19 mars, l’électricité a pu progressivement être rétablie. Mais cette réalimentation est extrêmement difficile en raison des défauts sur les divers départs.
Progressivement, l’éclairage de secours a permis de retrouver les salles de commande dans lesquelles semblent régner un débit de dose important à certains moments qui doivent correspondre à des rejets.
Le 23 mars, l’alimentation électrique était disponible sur tous les réacteurs. Cependant, les moyens normaux de refroidissement n’avaient pas pu être rétablis. En revanche, la réalimentation des réacteurs se faisait en eau douce.
Le 25 mars, toutes les salles de commande et l’éclairage de secours était réalimentés. Cependant, les moyens de refroidissement des cœurs n’ont toujours pas pu être remis en service.
Ce point est crucial pour l’avenir. Si le refroidissement est remis en service, les exploitants reprendront progressivement la maîtrise des installations et auront alors à gérer une situation post accidentelle de long terme. Dans le cas contraire, le refroidissement devra être fait par des moyens de fortune pour éviter une fusion totale du cœur.
Vis-à-vis des populations, les débits de dose directs de l’installation sont nuls. Les contaminations sont éventuellement le fait du césium. L’iode a dû pouvoir être évitée par la prise de comprimés d’iodure de potassium destinés à saturer les glandes thyroïdes.
La contamination de l’eau de mer par l’iode ne pose aucun problème de moyen et long terme en raison de la période de 8 jours de ce radioélément et de la dilution par les courants marins.
En revanche, la contamination des terres par le césium posera un problème de réhabilitation de la zone contaminée en surface.
Document provenant de la note de situation de l’IRSN
Fonctionnement des REB. (P.Pascal /O Rousselot (EDF-SEPTEN) 3)
Le fluide caloporteur qui circule dans l'unique circuit primaire est de l'eau non borée sous pression (pour éviter les problèmes de dépôts localisés ou transitoires). La compensation est assurée par des poisons consommables fixes et les nombreuses barres de commande.
Ainsi, comme le figure le schéma, à la différence du réacteur à eau pressurisée qui possède un circuit primaire en eau sous-saturée à 155 bars séparé du circuit secondaire en eau-vapeur, le réacteur à eau bouillante n'a qu'un seul circuit d'eau alimentaire et de vapeur produite après évaporation dans la cuve. L'eau et la vapeur en circulation peuvent être appelées "primaires" en ce sens que le fluide en question a traversé le coeur pour en extraire la chaleur produite. Il n’y a pas de générateur de vapeur comme sur les REP.
Le rendement thermodynamique d'un REB est un peu meilleur que celui d'un REP tout en restant voisin (les deux types de réacteur produisent de la vapeur saturée sèche à des températures assez voisines, la pression d’un REB (typiquement 80 bars) étant supérieure à la pression au secondaire des REP (jusqu’à 78 bars sur EPR).
De façon plus précise;
• L'eau alimentaire extraite du condenseur est pompée à la pression cuve via les pompes alimentaires principales et admise dans celle-ci en périphérie du coeur
• L’eau alimentaire se trouve mélangée et réchauffée par un débit important d'eau saturée provenant de la séparation (vapeur eau) de l’émulsion produite dans le coeur
• Le mélange d'eau sous saturée (alimentaire froide et de recirculation saturée) descend le long de la paroi de cuve ou il est repris par des pompes primaires pour être dirigé dans le coeur
• Le mélange d'eau traverse ensuite le coeur ou la chaleur produite est extraite provoquant un réchauffage à saturation et une évaporation. En fonctionnement à pleine puissance, le débit massique d'eau et de vapeur en ébullition nucléée passant dans le coeur est typiquement 7 fois supérieur au débit nominal de vapeur produite.
• En sortie du coeur le mélange eau vapeur (l'émulsion) est séparé (de façon statique gravitaire et par centrifugation):
- la vapeur produite est dirigée vers les collecteurs de vapeur et les turbines en aval,
- l'eau saturée est recirculée pour être mélangée à l’eau alimentaire plus froide.
Le combustible nucléaire utilisé dans le coeur d'un REB est de l'uranium enrichi, sa technique générale est très semblable à celui utilisé dans les REP. Les taux d'enrichissement utilisés dans les REB sont les mêmes au 1er ordre que ceux utilisés dans les REP. Les différences principales entre les coeurs REB et REP sont liées au système de contrôle neutronique:
• dans un REP les mécanismes de manoeuvre des absorbants de contrôle de la réaction nucléaire sont placés au-dessus du coeur
• dans un REB les mécanismes de manoeuvre sont au-dessous du cœur et agissent par un dispositif hydraulique sous pression
• Dans un REB la vaporisation progressive du modérateur en partie supérieure du cœur est moins favorable du point de vue des contre-réactions à une augmentation de puissance que dans un REP (moins aisée à maîtriser et modéliser).
Les principaux systèmes du REB (base= document USNRC training center).
Fonctionnement normal.
L’enceinte de confinement (Drywell) est en forme « d’ampoule ».
Sont en fonctionnement :
- les deux boucles de recirculation primaire avec en entrée des jet pumps un mélange entre de l’eau d’alimentation normale issue du condenseur et de l’eau saturée issues des séparateurs eau – vapeur situées en sortie coeur.
- la ligne vapeur et la ligne de retour d’eau alimentaire
Evacuation de la puissance résiduelle à l’arrêt
Lors du passage à l’arrêt, le débit résiduel de vapeur rejoint le condenseur par la ligne de by-pass et le débit d’eau correspondant est renvoyé vers le coeur par l’alimentation normale.
Lorsque la pression passe en dessous de 3,5 b, le relais est pris par le système de réfrigération à l’arrêt. L’eau est pompée en sortie cuve sur chaque boucle de recirculation, passe à travers un échangeur et est renvoyée dans la boucle.
La partie inférieure de l’enceinte de confinement ou Wet well contient: 2500 à 5000 m3 d’eau froide selon les REB.
Appoint coeur en cas d’isolement vapeur et perte de l’eau alimentaire (Reactor Core Isolation Cooling - RCIC)
En cas d’isolement vapeur qui doit entraîner à terme celui de l’alimentation normale (passé le tassement et la sollicitation des soupapes), ce système, fonctionnellement comparable à l’ASG est composé d’une turbopompe qui permet d’alimenter le coeur en eau depuis une bâche de stockage ou la « suppression pool » (tore ou piscine (selon les BWR) de condensation / barbotage encore appelé « wetwell »). Il démarre automatiquement sur bas niveau coeur ou en manuel.
Le débit de la turbo pompe correspond à la vaporisation de la puissance résiduelle 15 mn après l’arrêt automatique.
Systèmes de refroidissement d’urgence du coeur
Système d’injection haute pression et de dépressurisation (High Pressure Coolant Injection - HPCI) & (ADS)
Ce système autonome (ni sources électriques de puissance, ni air, ni source froide) assure via une TPS une injection HP pour couvrir les situations de petite brèche et brèche intermédiaire.
Si besoin, un système de dépressurisation rapide (ADS), reposant sur les vannes de décharge dédiées, peut être activé (en cas d’échec de l’HPCI) pour rejoindre au plus tôt l’injection basse pression.
La zone de recouvrement entre HPCI et LPCI est autour de 7 bars.
Les soupapes doivent évacuer le plein débit en vapeur vive : elles sont nombreuses et de grosse capacité (entre 11 et 16 selon les BWR). Certaines des soupapes sont en même temps des vannes de décharge commandables. Elles déchargent dans la « suppression pool » (tore sur Fukushima 1).
Système d’injection basse pression et d’aspersion (LPCI)
Ce système comprend deux sous systèmes indépendants qui pompent de l’eau dans la chambre de surpression pour :
1) asperger le coeur en partie haute pour limiter les effets d’un dénoyage (cette aspersion est une spécificité intéressante des ces réacteurs)
2) injecter de l’eau dans le coeur après passage sur échangeurs tout en assurant le contrôle de la pression de l’enceinte et de la chambre de surpression par deux aspersions.
L’échangeur les pompes sont celles du refroidissement à l’arrêt
Les systèmes de sauvegarde présentent une redondance diverse :
• 1 seule turbopompe de secours d’injection HPCI mais 2 lignes de dépressurisation ADS (à préciser)
• 2 ensembles réfrigération composés de 2 pompes et d’un échangeur
• 2 x 2 motopompes d’aspersion du coeur et 2 diesels.
Nota sur les éléments combustibles BWR
Chaque assemblage est entouré d’un gainage en Zircalloy assez épais et présente en partie inférieure un ajutage qui permet d’assurer un débit spécifique en fonction de la composition de chaque assemblage. La quantité de Zircalloy est donc, en proportion nettement plus importante sur un REB que sur un REP.
En cas de fusion du coeur, la quantité d’H2 produite est donc nettement supérieure sur un REB que sur un REP
Le combustible est de l’UO2 enrichi ou de l’UO2 + MOX (enrichissement autour de 3 %, mais sans doute un peu plus pour les BWR plus récents (allongement des cycles).