Un papier de Jean-Pierre Bardinet publié le 3 juin2014 dans Contrepoints intitulé « Climat : 22 vérités qui dérangent … » (https://www.contrepoints.org/2014/06/03/167818-climat-22-verites-qui-derangent) prétend démontrer que les thèses du GIEC sont fausses.
Il en donne 22 raisons, qui témoignent soit d’une méconnaissance lamentable de la physique, soit d’une volonté délibérée de désinformation.
Nous apportons les réponses (en gras italique) à ses prétendues « vérités ».
Jean Poitou et François-Marie Bréon
… toute personne ayant une assez bonne culture scientifique, et qui se donne la peine de travailler la question, en arrive très vite à la conclusion que les thèses du GIEC sont fausses, pour nombre de raisons, dont voici une liste non exhaustive.
1.La TMAG (température moyenne annuelle globale) est stable depuis 1997, malgré une augmentation continue du taux de CO2 : .comment alors soutenir un rapport de causalité entre croissance de concentration du gaz carbonique et température ?
Le rapport de causalité est établi sur des bases physiques. Le phénomène de l’effet de serre est bien compris depuis plus de 100 ans et accessible a toute personne ayant un peu de culture scientifique. Il est clairement étable que le CO2 est un gaz à effet de serre et que, si on augmente sa concentration, la température doit augmenter. Cette augmentation n’est pas nécessairement immédiate du fait des autres facteurs qui jouent sur le climat (aérosols, soleil, volcanisme…) et de la variabilité naturelle du système climatique.
Noter aussi que l’inertie propre du système fait que le réchauffement de la basse atmosphère est nécessairement décalé par rapport à sa cause, comme le réchauffement d’une maison met un temps appréciable à se réaliser après qu’on ait mis en marche le chauffage.
2.Les émissions humaines de CO2 depuis 1997 représentent 40% de ce que l’homme a envoyé dans l’atmosphère depuis le début de la Révolution industrielle. Or, on vient de le voir, pendant cette période, la température s’est stabilisée. Comment alors soutenir un rapport de causalité entre émissions anthropiques de CO2 et augmentation de la TMAG[1. Depuis 1880, la seule période de covariation entre la TMAG et la teneur en CO2 fut 1978-1997. De 1910 à 1940 la TMAG a progressé au même rythme que 1978-1997 alors que les émissions étaient insignifiantes. De 1950 à 1978, alors que les émissions de CO2 s'envolaient, la TMAG a baissé. L'analyse des carottes de Vostock montre que c'est la hausse de la température qui fait augmenter le CO2 dans l'atmosphère (par dégazage) et non l'inverse. Ce processus est toujours valable de nos jours, même pour de petites variations de température (le retard du CO2 étant alors de quelques mois).] ?
« Voir point 1 ». En ce qui concerne l’analyse des carottes de Vostok, il est bien évident que le mécanisme responsable des évolutions climatiques n’est pas le CO2 anthropique. Par contre, il est bien compris que le CO2 a joué le rôle d’amplificateur du réchauffement initié par les variations de l’orbite de la Terre autour du soleil. Sans cet effet amplificateur, le contraste entre les périodes glaciaires et les interglaciaires aurait été bien moindre.
3.D’autant que la part anthropique du CO2 atmosphérique n’est que d’environ 5% (analyse isotopique) au lieu de 25-30% pour le GIEC…
Cette affirmation est bien évidemment fausse et contredite par la carotte de Vostok (et d’autres de l’Antarctique) citée au point précédent. En effet, sur les derniers 800 000 ans, et avant les perturbations anthropiques, la concentration de CO2 dans l’atmosphère n’a jamais franchi la valeur de 300 ppm. On est aujourd’hui à 400 ppm. Si les 100 ppm supplémentaires, 25% du CO2 atmosphérique actuel, ne sont pas dûs aux activités anthropiques, quelle en est la cause qui ne s’est jamais produite sur les 800 000 ans précédents ?
4.Et que la durée de vie du CO2 dans l’atmosphère est en moyenne de 5 ans au lieu de 100 ans pour le GIEC.
Où le GIEC dit-il cela, dans son rapport de 2013 ou le précédent, sur la durée de vie du CO2 dans l’atmosphère ? En effet, il ne dit rien de tel. Là encore, incompréhension manifeste des phénomènes atmosphériques. Merci de nous expliquer la cause de l’augmentation actuelle du CO2 qui ne s’est pas produite sur les 800 000 dernières années.
Les climato-sceptiques qui prétendent que la durée de vie du CO2 dans l'atmosphère est inférieure à 10 ans, se basent sur le rapport stock/flux du CO2. Un tel calcul n'est valable que pour un équilibre donné. Les 4 à 5 Gt qui s'accumulent dans l'atmosphère font justement sortir le système de l'équilibre ci-dessus. La durée de vie de ce CO2 fait alors intervenir les échanges océan de surface/océan profond, et c'est là qu'on obtient les temps de résidence beaucoup plus longs, au delà du siècle.
5.Les variations de la TMAG se font de manière sinusoïdale, avec une période de 60 ans qui correspond aux mouvements du soleil par rapport au centre de gravité du système solaire. Nous sommes au sommet de la sinusoïde, et donc les prochaines années devraient se refroidir, comme ce fut le cas après 1950.
On aimerait qu’on nous explique le lien entre la position du soleil par rapport au centre de gravité du système solaire et la température de la Terre. Notons que le mouvement du soleil par rapport au centre de gravité du système solaire est uniquement lié à la position des planètes. L’auteur vient donc d’inventer le concept de climastrologie.
6.Il y a un phénomène de saturation du CO2 sur une épaisseur optique de dix mètres environ. Si vous prenez une source d’IR à large spectre (corps chauffé à 1000°C, par exemple), et que vous mesurez avec un spectromètre le spectre restant après la traversée de quelques mètres d’atmosphère, vous verrez que les bandes du CO2 (4,3 et 15 microns) ont été entièrement absorbées. Donc l’atmosphère au-dessus de quelques dizaines de mètres ne voit plus les bandes d’absorption du CO2, et donc, le rajout de CO2 ne change plus rien, si ce n’est que l’épaisseur optique diminue. C’est cela le processus de saturation du CO2 atmosphérique, confirmée par les satellites, qui ne « voient » quasiment plus les bandes du CO2.
Ce type d’affirmation démontre que l’auteur n’a pas compris les bases du mécanisme de l’effet de serre. C’est parce que l’atmosphère a un profil vertical de température décroissant et une extension verticale très supérieure au parcours moyen des infrarouges que l’effet de serre existe et qu’il croit avec la concentration des gaz à effet de serre (voir l’article « L’effet de serre atmosphérique : plus subtil qu’on ne le croit ! » dans La Météorologie, N° 72, février 2011).
7.Dans le passé (Carbonifère), le taux de CO2 a été 25 fois supérieur au taux de CO2 actuel, et il n’y a pas eu d’emballement des températures, grâce au processus de saturation. Pourquoi nos misérables émissions de CO2 auraient-elles à présent un impact cataclysmique, alors que les lois de la Nature sont invariantes dans le temps et l’espace ?
Au carbonifère, le taux de CO2 était bien moindre que 25 fois l’actuel, et l’intensité du rayonnement solaire nettement plus basse. A la fin du carbonifère, la température était très basse aux hautes latitudes (glaciations), chaude aux tropiques et le taux de CO2 était comparable à l’actuel, comme on le voit sur la figure ci-dessous.
8.Les niveaux océaniques montent de 1,7 mm/an (d’après les mesures au marégraphe de Brest), de moins 1,6 mm/an à Marseille depuis la fin du dix-neuvième siècle et aucune accélération n’a été mesurée ces dernières années.
Le lecteur verra là une tentative manifeste de tromperie : Pourquoi utiliser le marégraphe de Brest comme représentatif du niveau des océans mondiaux alors que le niveau de la mer se mesure très bien par satellite, que ces mesures montrent sans ambiguité une hausse de l’ordre de 3 mm par an. La compilation des données de marégraphes réparties dans le monde indique clairement une tendance à l’accélération.
La montée du niveau de la mer n’a rien d’uniforme : la mer n’est pas un beau lac tranquille et bien plat. Les courants jouent un rôle important dans la répartition géographique de l’élévation du niveau. Ces mesures françaises ne concernent qu’une infime part des eaux marines.
9.Le hot spot (« point chaud ») prévu en zone tropicale, qui devait être LA preuve indubitable du rôle du CO2 sur la TMAG, n’a pas été détecté, donc il n’existe pas.
Qui prévoit quoi exactement ? Ce point, régulièrement mis en avant par les climato-sceptiques, a été démontré comme erroné depuis une bonne dizaine d’années
10.Le taux de vapeur d’eau atmosphérique diminue (alors que le GIEC avait prévu l’inverse – rétroaction positive – quand le CO2 augmente). La rétroaction réelle est donc négative.
Le GIEC a bien prévu une augmentation de la quantité de vapeur d’eau dans l’atmosphère, et c’est bien ce qui est observé. Les climato sceptiques, qui cherchent à tromper le public, montrent souvent une tendance de la vapeur d’eau dans la haute atmosphère, en la présentant comme une mesure de l’atmosphère totale. La tendance dans la haute atmosphère (qui est extrèmement sèche du fait des températures basses) n’est bien sur pas la même que dans l’atmosphère totale.
11.La banquise australe atteint des records de superficie.
Et donc ? Est ce contraire à ce que dit le GIEC ? Cette information se trouve dans le dernier rapport du GIEC. Ces records sont les valeurs à la fin de l’hiver austral. Cette glace disparaît quasi complètement en été. Une donnée pertinente serait la masse moyennée sur l’année, de la banquise australe.
12.La somme des surfaces des deux banquises, dont les variations sont en opposition de phase, est à peu près constante, donc l’albedo de la cryosphère aussi.
Une erreur et une information non pertinente.
L’erreur c’est affirmer que l’albédo de la cryosphère ne varie pas. Il y a une diminution nette des surfaces enneigées au printemps (la neige fait partie de la cryosphère).
L’information non pertinente, c’est la surface de la banquise. Ce qui compte, c’est la masse, ou le volume, pas la surface. Et la masse est en décroissance continue et rapide.
13.Les mesures des 3000 sondes océaniques ARGO montrent, depuis leur mise en service en 2003, un très léger refroidissement des océans, entre la surface et 700 à 1000 m de profondeur (au mieux aucun gain de chaleur).
Sur les 700 premiers mètres il n’y a certainement pas de refroidissement des océans, même si le réchauffement récent est moins rapide qu’il ne l’a été. Voir la figure ci dessous (en vert la période soigneusement choisie par les climato-sceptiques pour appuyer leur discours).
Cependant, pourquoi s’arréter à 700 mètres ?
Voici la figure montrant la chaleur dans les océans déduite des sondes Argo entre la surface et 2000 mètres de profondeur. Cette figure a été réalisée à partir des données disponibles ici :
http://data.nodc.noaa.gov/woa/DATA_ANALYSIS/3M_HEAT_CONTENT/DATA/heat_3month/
14.Le flux IR (infrarouge) quittant la haute atmosphère est supérieur aux prévisions des modèles (Il n’y a pas d’effet couverture par les GES de la troposphère).
Il est bien évidemment faux qu’il n’y a pas d’effet de couverture par les GES de la troposphère. Dire une telle énormité devrait complètement disqualifier son auteur.
Le total des flux solaire et infrarouge thermique quittant l’atmosphère est inférieur au flux solaire entrant.
15.La loi de Stefan-Boltzmann n’est pas applicable aux gaz, qui ne sont pas des corps noirs, ni des corps gris, alors que le GIEC l’applique aux gaz.
Encore une affirmation non fondée, l'auteur serait bien en peine de dire où le GIEC utilise Stefan Boltzmann pour les gaz de l'atmosphère.
Le GIEC retranscrit ce qu’on trouve dans la littérature scientifique. Ce qu'on y trouve, c'est le calcul du transfert radiatif dans l'atmosphère traité au niveau le plus fondamental en considérant les propriétés d'absorption et d'émission du rayonnement par les molécules du gaz pour chacune des longueurs d'onde où elles jouent un rôle.
16.Les gaz émissifs, plus froids que la surface terrestre, ne peuvent en aucun cas la réchauffer (second principe de la thermodynamique, qui interdit le réchauffement d’un corps chaud par un corps plus froid).
Encore une grosse bêtise. L’auteur nie t-il que l’effet de serre existe ? C’est pourtant un phénomène physique bien compris depuis plusieurs siècles… De telles affirmations devraient le décridibiliser immédiatement auprès des lecteurs qui ont un minimum de connaissance scientifique.
Si l’auteur appliquait correctement le second principe de la thermodynamique, il verrait que, au bilan, c’est bien la surface qui apporte de la chaleur aux gaz émissifs, qui sont aussi les gaz absorbants. Ces gaz empêchent la surface de perdre une partie de la chaleur que lui apporte le soleil.
17.Ce sont les températures qui ont toujours piloté les variations du CO2, jamais l’inverse. À notre époque, le retard du CO2 sur la température est de quelques mois.
Encore un discours climatosceptique mal digéré. Si le CO2 suit la température de quelques mois, comment se fait il que on observe une hausse continue du CO2 alors que l’auteur nous explique qu’il n’y a plus de hausse des températures depuis 1997 ?
Les variations lentes du CO2 sont pilotées par la tectonique des plaques et la dégradation des silicates. Les gaz à effet de serre ont joué un rôle essentiel dans les grandes variations du climat des ères géologiques (voir figure au point 7).
18.Le projet CLOUD du CERN teste la théorie de Svensmark-Shaviv (rôle des rayons cosmiques, dont le flux est modulé par l’activité solaire, sur la formation des nuages) et les premiers résultats, assez positifs, ont été publiés dans Nature.
Les premiers résultats publiés dans Nature (2011 et 2013), les suivants dans Science (2014) ont identifiés des composés présents dans l’atmosphère qui sont susceptibles de conduire à la formation de noyaux de condensation en quantités comparables aux observations. Mais les rayons cosmiques n’y contribuent que pour une faible fraction.
Cela est discuté dans le dernier rapport du GIEC
19.Les modèles ne savent pas modéliser la cryosphère, ni l’ennuagement, dont les variations ont un impact important sur la TMAG. Le projet Earthshine, qui mesure les variations de la réflectance de la Terre, vue de la lune quand elle n’est éclairée que par notre planète, montre que cette réflectance varie essentiellement en fonction de l’ennuagement. Elle a décru de 1984 à 1998 et augmenté par la suite jusqu’en 2004, ce qui suit assez bien les variations de la TMAG.
Encore une belle brochette de bêtises dans ces affirmations. Le projet Earthshine a commencé en 1999. Les mesures de EarthShine ne peuvent pas montrer que l’albédo de la Terre varie essentiellement en fonction de l’ennuagement. C’est un fait qui est connu par ailleurs, alors que les mesures de EarthShine, intégrées sur toute la Terre, ne permettent pas de faire la différence entre l’impact des nuages, des aérosols ou de la neige. Les mesures de EarthShine sont entachées de barres d’incertitudes importantes qui ne permettent absolument pas de faire un lien avec les variations de TMAG sur les années récentes.
Les modèles récents reproduisent bien l’évolution observée de la cryosphère. Ils ont des incertitudes certaines sur le futur des nuages, qui ressortent dans les incertitudes affichées sur les résultats de ces modèles.
20.Les projections des modèles numériques divergent de plus en plus des observations. Un modèle numérique n’est pas une preuve scientifique, et, quand il est réfuté par l’observation, c’est qu’il est faux et doit être mis à la poubelle, ou, au mieux revu en détail. On attend toujours la mise à la poubelle ou la révision des modèles numériques du GIEC, mis en avant par le GIEC et financés par les contribuables…
Il n’y a pas de modèle « du GIEC ». Il y a les modèles de climat de la communauté scientifique dont les conclusions sont reprises par le GIEC. Contrairement à ce que prétend l’auteur, la modélisation climatique a fait des prévisions qui ont été avérées. Par ailleurs les erreurs des modélisations ne vont pas nécessairement vers l’alarmisme, comme par exemple la diminution de la banquise arctique beaucoup plus rapide que prévue.
Les modèles sont faits pour le climat, c’est-à-dire la moyenne sur des périodes longues. Les fluctuations autour de cette moyenne sont du bruit pour ces modèles.
21.De toute manière, il est impossible que des modèles numériques puissent prévoir les évolutions du climat, car il s’agit d’un système chaotique couplé et non linéaire, comme le précisait le GIEC dans son rapport de 2001, et comme le montrent les instabilités du climat passé et actuel. Pourquoi cela aurait-il changé actuellement ? Sûrement pas pour des raisons scientifiques…
C’est parce que le climat est un système chaotique que les modèles peuvent prédire un climat dans des conditions environnementales très différentes de l’actuel. Chaos ne signifie pas n’importe quoi, le domaine balayé par le système est parfaitement défini par les conditions aux limites. C’est pour cela qu’on peut prédire le climat vers lequel on se dirige, mais pas le chemin qui sera effectivement suivi pour y arriver.
En effet l’état moyen d’un système chaotique peut être défini par ses forçage. Par exemple, l’atmosphère a beau être chaotique, on peut prévoir avec un haut degrés de confiance que le mois de Juillet prochain sera, en moyenne, plus chaud que Avril. De même, on peut prévoir malgré le caractère chaotique du climat, que une hausse des concentrations de GES conduit à une hausse des températures. Il est surprenant que l’auteur qui prétend avoir des connaissances en physique ne comprenne pas cela.
22.Enfin le GIEC n’est ni un organisme scientifique, ni un organisme indépendant : le résumé pour les décideurs (SPM), qui seul est lu par les instances internationales, les politiques et les médias, est rédigé sous le contrôle étroit des représentants des États et la surveillance des ONG. La composition de ses instances dirigeantes montre une minorité de scientifiques très majoritairement engagés dans l’idéologie environnementale, et une majorité ONG + États.
Les personnes qui décident de la rédaction du résumé pour décideurs sont les scientifiques qui ont dirigé la rédaction du gros rapport et les représentants des états. Rien ne peut figurer dans le résumé si les scientifiques s’y opposent.
Là encore, on aimerait des exemples de point du SPM qui ne seraient pas en accord avec le rapport complet qui lui est entièrement rédigé par des scientifiques.