Sur le climat, la prise de conscience est forte, mais les actions inexistantes

SLC

L’HUMANITE.fr 31 janvier 2007

« Sur le climat, la prise de conscience est forte, mais les actions inexistantes »

Membre du Groupe intergouvernemental d’évaluation du climat, qui se réunit cette semaine à Paris, Michel Petit fait le point sur la situation environnementale et juge l’implication des responsables politiques dans ce domaine.

Ingénieur, spécialiste de l’atmosphère de la Terre, Michel Petit préside le comité scientifique du collectif Sauvons le climat (1), fondé en mai 2004 autour de personnalités comme les prix Nobel de physique Georges Charpak et Pierre-Gilles de Gennes. Représentant français au sein du Groupe intergouvernemental d’évaluation du climat (GIEC) de 1992 à 2002, il a coordonné, pour le quatrième rapport en discussion cette semaine à Paris, le thème transversal « Incertitudes scientifiques et gestion du risque climatique ». Depuis la maison de l’UNESCO où se tient la réunion du GIEC, il fait le point sur les avancées de ce rapport 2007 et sur l’implication des responsables politiques dans ce dossier.

Question

Dans un communiqué publié lundi, le collectif Sauvons le climat, dont vous présidez le conseil scientifique, interpelle la candidate socialiste sur ses promesses en termes de politique énergétique. Pour quelles raisons ?

Michel Petit. Parce qu’elle ne semble pas prête à avoir une politique de développement efficace de l’énergie nucléaire. En prévoyant une réduction à 50 % de la part d’électricité d’origine nucléaire, Ségolène Royal cède à des lobbies bruyants. Or, nous pensons que le nucléaire est en France une bonne façon de satisfaire à nos obligations internationales et morales de diminuer nos émissions de gaz à effet de serre. D’ailleurs, il n’y a pas d’autre alternative. Il faut donc développer le nucléaire et, notamment, construire l’EPR qui apporte un progrès par rapport aux réacteurs existants.

Question

Les principaux candidats à la présidentielle ont signé le pacte écologique de Nicolas Hulot. Comment évaluez-vous la prise de conscience des responsables politiques sur la question climatique ?

Michel Petit. Précisons tout de suite que le pacte écologique de Nicolas Hulot ne mentionne pas une diminution du nucléaire. Implicitement, c’est même le contraire, puisqu’il insiste beaucoup sur la question du réchauffement climatique. Quant à la prise de conscience, elle semble forte. La plupart des hommes politiques en font un sujet majeur. Députés et sénateurs ont sorti deux rapports éloquents sur la question au printemps dernier. Le problème, c’est l’action. Et là, on tombe de trois étages : il n’y a quasiment aucune mesure concrète ! Car les décideurs sont sous la pression du quotidien. Or, il s’agit d’un problème qu’il faut prendre avec un peu de recul.

Question

Vous suggérez qu’entre les promesses de campagne et les politiques menées après les élections, il pourra y avoir une marge importante...

Michel Petit. Absolument. Tout dépendra en fait de la pression des citoyens, électeurs et consommateurs. Ce sont les deux grands pouvoirs de notre monde actuel : les gens votent avec leur carte d’électeur d’abord, ensuite avec leur carte de crédit. Si on est convaincu que l’avenir de nos enfants et de nos petits-enfants est menacé par le réchauffement climatique, comme le confirme le dernier rapport du GIEC, ce sont ces deux leviers qu’il faudra utiliser.

Question

Justement, vous travaillez au sein du GIEC depuis 1992. Quelles sont les confirmations qu’apporte ce rapport 2007 ?

Michel Petit. Il confirme très clairement l’accélération du réchauffement du climat et la responsabilité de l’homme dans ce réchauffement, via l’augmentation de gaz carbonique essentiellement, mais aussi de méthane et d’oxyde d’azote, dans l’atmosphère. Il montre aussi que ces émissions de gaz carbonique continuent de croître de plus en plus vite. Or, la convention de Rio (1992) fixait comme objectif la stabilisation de la concentration de CO2 dans l’atmosphère à une valeur non dangereuse pour le climat. Nous essayons de définir aujourd’hui quelle pourrait être cette valeur. Nous sommes partis de 280 ppm (parties par million) à l’ère préindustrielle (avant 1750), pour atteindre aujourd’hui les 380 ppm. Il faudrait pouvoir stabiliser à 450 ppm, pour limiter le réchauffement à 2 degrés Celsius dans le siècle, mais cela semble déjà difficile. Il est clair qu’au-delà de 550 ppm, soit un doublement de la concentration de CO2 dans l’atmosphère depuis l’ère préindustrielle, on joue sérieusement avec le feu.

Question

Outre le nucléaire, quels moyens préconisez-vous pour limiter ces émissions ?

Michel Petit. Une taxe sur le carbone est indispensable. Ce qui ne veut pas dire augmenter la fiscalité globale : on pourrait par exemple compenser l’instauration de cette taxe par l’allégement de la fiscalité sur le travail. Il faut favoriser les travaux d’isolation dans le bâtiment, dans ceux qu’on construit aujourd’hui, mais aussi dans le bâti existant. Cela passe par des incitations fiscales, par le développement de métiers spécifiques... Sur l’automobile, il y a également beaucoup à faire : le simple bridage des moteurs à 150 kilomètres/heure permettrait d’importantes économies. L’hydrogène est également une piste, à condition de ne pas émettre de gaz à effet de serre pour produire cet hydrogène. L’énergie éolienne, dont le problème est la continuité dans la production d’électricité, pourrait par exemple servir à cela. À plus long terme, on peut imaginer la fabrication, un jour, de cellules solaires à rendement élevé et à prix de revient suffisamment faible pour que cette énergie devienne compétitive. De même pourra-t-on peut-être utiliser davantage, un jour, l’énergie thermique des mers (la différence entre les eaux froides profondes et les eaux chaudes de surface)... Les outils sont là, nombreux. Il faut maintenant mettre les moyens pour explorer leurs possibilités.

(1) www.sauvonsleclimat.org

Entretien réalisé par Alexandre Fache

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