Henri Prévot
le 5 novembre 2018
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Capacités de production, quantités produites, stockées, exportées ; émissions de CO2
Un cas d’étude : l’arrêt d’une capacité nucléaire telle que la centrale de Fessenheim
Selon la LTE, Loi sur la transition énergétique, le parc de production d’électricité doit évoluer de façon que la consommation d’électricité d’origine nucléaire ne dépasse pas 50 % de la consommation totale. Le président de la République a ajouté que les émissions de CO2 dues à la production d’électricité ne doivent pas augmenter.
Cela signifie qu’une partie du parc nucléaire devrait être remplacée par des éoliennes et du photovoltaïque sans qu’augmente la production à partir d’énergie fossile.
Dans cette note on explique pourquoi il faut pour cela une capacité éolienne ou photovoltaïque plus importante que ce à quoi l’on peut penser, ce qui conduit à d’importants excédents de production, et on analyse les possibilités et la valeur des exportations en tenant compte de la limite des capacités de transport vers les pays étrangers (les interconnexions).
Pour savoir quelle devrait être la capacité éolienne et photovoltaïque, il ne suffit pas de remplacer une possibilité de production nucléaire (exprimée en mégawattheures par an, MWh/an) par la même possibilité de production éolienne et photovoltaïque. En effet, cette dernière apporte une production qui n’est pas en phase avec la demande.
Comme la France exporte plus qu’elle n’importe, si l’on arrête une capacité nucléaire, la production manquante pourrait être remplacée par une diminution des exportations. Mais cela ne serait pas suffisant. Il faudrait implanter des surcapacités de production éolienne et photovoltaïque. Pour analyser cela de manière quantitative, des outils de simulation qui équilibrent heure par heure consommation et fourniture d’électricité sont nécessaires.
Avec eux, on peut savoir tout d’abord de combien, à la suite de l’arrêt d’une capacité nucléaire, les exportations diminueront et la production à partir d’énergie fossile augmentera, puis de combien il faudra augmenter les capacités de production éolienne et photovoltaïque afin de rétablir les émissions fossiles à leur valeur initiale, et enfin quelles seront les exportations associées à cette production éolienne ou photovoltaïque souvent excédentaire.
Dans cette note, pour être concret, on prend comme cas d’étude la centrale nucléaire de Fessenheim. D’un point de vue technique, elle pourrait continuer de fonctionner 10 ou 20 ans si l’on y faisait les travaux conformes à l’accord de principe de l’ASN (Autorité de sûreté nucléaire) pour les réacteurs de 900 MW.
L’arrêt de la centrale nucléaire aura pour effet de diminuer les possibilités d’exportation de 6,4 TWh et d’augmenter les besoins de production à partir d’énergie fossile de 3,2 TWh se traduisant par une augmentation des émissions de CO2 en France et dans les pays voisins. Celle-ci sera évitée par une nouvelle capacité éolienne de 7,5 GW ou une nouvelle capacité photovoltaïque de 18,5 GW. Le profil temporel de la production à partir d’énergie fossile sera différent de ce qu’elle était avant l’arrêt de la centrale. Sur l’ensemble de l’année, les exportations seront, sur une année, supérieures à ce qu’elles sont avant l’arrêt de la centrale, mais par moments, inférieures (en l’absence de vent ou de soleil).
Ainsi, à partir de cet exemple, il apparaît que pour éviter que l’arrêt d’une capacité nucléaire ait pour effet une augmentation des émissions françaises de CO2, il faut une capacité éolienne 4,4 fois supérieure à la capacité nucléaire arrêtée, et même 11 fois pour un remplacement par du solaire PV.
Tout cela conduit à une forte augmentation des dépenses. Notre analyse aboutit à une évaluation de 700 à 900 millions d’euros par an, sans produire plus d’électricité ni émettre moins de CO2, Il y a évidemment mieux à faire : le même investissement permettrait de produire de 2 à 3 millions de MWh par an en Afrique subsaharienne en évitant l’émission de 3 millions de tonnes de CO2, par an.
***
Pour obtenir les résultats présentés dans cette note, il faut un logiciel de simulation de la production et de la consommation d’électricité qui équilibre heure par heure la fourniture de courant et la consommation en tenant compte des possibilités de production et de stockage. On a élaboré un logiciel simplifié. Il retrouve le résultat des simulations publiées par RTE et permet d’étudier d’autres jeux d’hypothèses. Il est publié sur Internet sous une version qui utilise les chroniques horaires de consommation, d’activité éolienne et de production hydraulique de l’année 2013, qui est une année moyenne. Une autre version permet de se baser sur les chroniques horaires de consommation et d’activité éolienne des autres années de 2012 à 2017.
Dans cette note les abréviations MWh/an signifie « mégawattheure par an ». Il en est de même le plus souvent de « MWh ». « TWh/an » ou « TWh » signifient « térawattheure par an » (un térawattheure est un million de MWh.)
1- L’effet de l’arrêt de la centrale de Fessenheim
Pour évaluer l’effet de l’arrêt de la centrale de Fessenheim, on se place ici dans une hypothèse de fonctionnement de l’EPR de Flamanville et avant l’arrêt de la centrale de Fessenheim. Dans cette hypothèse la puissance nucléaire installée est donc supérieure à ce qu’elle est actuellement, et ne respecte pas la loi qui limite la puissance installée à 63 GW.
La situation initiale
Situation initiale : consommation : 492 TWh ; capacités de production : nucléaire : 64,8 GW ; éolienne : 14 GW ; photovoltaïque : 8 GW. Facteurs de charge : nucléaire : 6600 heures par an (soit 75 %) ; éoliennes : 2000 heures par an ; photovoltaïque : 1100 heures par an. Production hydraulique et production à partir de biomasse : 68 TWh. Production à partir de gaz pour cogénération : 5,5 TWh. Pas de stockage autres que les STEPs, d’une capacité de 90 GWh ; pas d’électrolyseur. Capacité des lignes de transport vers l’étranger : 13 GW. Une année comporte 8760 heures.
Selon la simulation utilisée ici, lorsque la possibilité de production sans émission de CO2 est supérieure à la consommation, la différence est mise en stock dans la limite de la capacité des moyens de stockage, ici des STEPs. Dans ce modèle, celles-ci ne sont rechargées que par de l’électricité produite sans émission de CO2. Si la possibilité de production sans CO2 est insuffisante, il est fait appel aux stocks, puis à une production pilotable à partir d’énergie fossile. Sur la base des séries temporelles de l’année de référence, et suivant les hypothèses ci-dessus, notre outil indique que la production à partir de gaz est de 15,8 TWh à partir d’énergie fossile et que l’on a recours à la part pilotable de cette production 1600 heures dans l’année.
A l’inverse, les possibilités de production excédentaire (capacités de production non fossile supérieure à la consommation) sont alors de 53 TWh. Mais tout ne peut être exporté du fait de la limite des lignes d’interconnexion avec d’autres pays. Les quantités exportées sont de 47,5 TWh. C’est une électricité produite sans émissions de CO2 et elle remplace en Allemagne ou ailleurs une électricité produite à partir d’énergie fossile (gaz, charbon ou lignite). Les possibilités de production sans émissions de CO2 qui ne sont pas employées pour la consommation française et qui ne peuvent pas être exportées sont abandonnées ; on dit qu’elles sont écrêtées, ou déversées.
Il n’y a pas d’exportation lorsque toute la possibilité de production sans émission de CO2 est employée par la consommation française et, éventuellement, mise en stock. Cela arrive 3000 heures par an essentiellement de novembre à mars avec, sur cette période, une moyenne de 15 heures par jour.
L’arrêt de Fessenheim augmente les émissions de CO2
L’arrêt pur et simple de la centrale de Fessenheim, dont la capacité est comptée dans cette étude pour 1,7 GW[1], se traduit par une diminution de la possibilité française de production sans émissions de CO2 de 11,1 TWh/an. Pour répondre à la demande française, on prélèvera donc sur les exportations, mais cela ne sera pas suffisant alors même que celles-ci, avant l’arrêt de la centrale de Fessenheim, sont quatre fois plus importantes que la possibilité de production de la centrale.
En effet, pendant les 3000 heures où les exportations sont nulles, il n’est pas possible de prélever sur les exportations pour servir la consommation française d’électricité. Pour y répondre, l’arrêt de la centrale oblige donc à produire plus d’électricité à partir de combustibles fossiles. Par ailleurs, l’arrêt de Fessenheim a pour effet que la quantité « écrêtée » du fait de la limite de capacité des interconnexions diminue. Le taux de charge de l’ensemble des réacteurs nucléaires sera ainsi très légèrement amélioré.
Au total avec l’arrêt de la centrale, la possibilité de production sans émissions de CO2 est diminuée de 11,1 TWh, les exportations diminuent de 6,4 TWh, les possibilités de production non employées diminuent de 1,5 TWh et il faut produire 3,2 TWh de plus à partir de combustible fossile (gaz).
On aura recours à la part pilotable de la production à partir de gaz 1900 heures dans l’année.
Par ailleurs, pour passer les périodes de pointe de consommation, il faudra une nouvelle capacité de production à partir de gaz pour compenser la baisse de capacité nucléaire. Si l’on suppose que le coefficient de disponibilité des réacteurs nucléaires est, en hiver, de 90 % et que celui d’une turbine à gaz est de 100 %, la capacité de production à partir de gaz doit être augmentée de 1,5 GW.
En France et dans les pays voisins, l’arrêt de la centrale de Fessenheim aura donc pour effet d’augmenter la production à partir de gaz, de charbon et de lignite de 9,6 TWh, ce qui augmentera les émissions de 6 Mt CO2/an[2].
2- Pour éviter d’augmenter les émissions françaises de CO2, des éoliennes et du photovoltaïque
De combien faut-il augmenter la capacité éolienne ou la capacité photovoltaïque pour que l’arrêt de la centrale de Fessenheim n’augmente pas les émissions françaises de CO2 ?
La simulation utilisée ici montre ceci : sans nouvelles capacités de stockage, pour remplacer cette capacité nucléaire sans augmenter la production à partir de gaz, il faut, soit augmenter la capacité photovoltaïque de 18,5 GW, soit augmenter la capacité éolienne de 7,5 GW ou une combinaison des deux. Les possibilités de production de ces nouvelles capacités sont 20,4 TWh pour le photovoltaïque, 15 TWh pour l’éolien, c’est-à-dire 84% ou 36% de plus que les 11,1 TWh/an que peut produire la capacité nucléaire de 1,7 GW que l’on a arrêtée.
Autrement dit, pour remplacer 1,7 GW de nucléaire, il faut une capacité de production photovoltaïque 11 fois plus importante alors que le rapport des possibilités de production (en GWh) à capacité égale (en GW) est de 1 à 6. Il faut une capacité de production éolienne 4,4 fois plus importante alors que le rapport des possibilités de production est de 1 à 3,2.
En effet, après l’arrêt de la capacité de 1,7 GW nucléaire, les nouvelles capacités éolienne et photovoltaïque ne se substituent au gaz que si deux conditions sont réunies en même temps :
- la capacité de production éolienne ou photovoltaïque produit effectivement
et
- le système de production fait appel à une production à partir de gaz et celle-ci peut être réduite. Il faut apporter cette précision car il y a une production à partir de gaz qui ne peut pas être réduite (la cogénération).
Insistons sur le fait que les productions éoliennes et photovoltaïques sont très variables. Ces productions ne sont souvent pas suffisantes pour assurer la demande qui était initialement couverte par la centrale de Fessenheim. A l’inverse, elles sont parfois largement excédentaires pendant des périodes qui sont déjà couvertes par les productions non carbonées.
Après l’arrêt de Fessenheim (et, rappelons-le, après le démarrage de l’EPR), il y aura une production pilotable à partir d’énergie fossile (au-dessus du minimum) pendant 1900 heures dans l’année, c’est-à-dire un peu plus de 20 % du temps. Et ce sera, naturellement, en hiver. La simulation montre que sur une période de six mois, de mai à octobre, la production à partir d’énergie fossile ne dépasse pas le minimum. Autrement dit, la production photovoltaïque ou éolienne des mois d’été n’a aucune influence sur les émissions françaises de CO2. Le reste du temps, soit 80% du temps, les possibilités de production éolienne et photovoltaïque, dont le coût marginal est nul, remplaceront une possibilité de production nucléaire. Celle-ci sera exportée dans les limites des possibilités techniques et sous réserve de trouver un débouché.
On peut suivre heure par heure pendant une journée la production éolienne ou photovoltaïque et la production à partir de gaz dans les deux situations suivantes, où la production à partir d’énergie fossile est la même : avant l’arrêt de la centrale de Fessenheim, ou bien après l’arrêt de Fessenheim et avec une nouvelle capacité éolienne de 7,5 GW ou une nouvelle capacité photovoltaïque de 18,5 GW.
Si l’on remplace 1,7 GW nucléaire par 18,5 GW de photovoltaïque :
L’arrêt de 1,7 GW a pour effet, on l’a dit, d’augmenter la production à partir d’énergie fossile de 3,2 TWh. Une nouvelle capacité photovoltaïque remplacera du gaz les jours d’hiver mais seulement lorsqu’il y en aura besoin et selon l’activité solaire du jour : la puissance délivrée effectivement par ces 18,5 GW photovoltaïque est au maximum, selon les jours, de 1 à 5 GW, rarement plus, et ce uniquement au maximum de la journée et jamais pendant les périodes de pointe (à 19 h lorsque le soleil est couché).
En hiver, les jours ensoleillés, le photovoltaïque contribue à recharger les STEPs.
A partir du mois d’avril, les 18,5 GW de photovoltaïque ne peuvent pas servir à diminuer la production à partir de gaz car celle-ci est à son minimum. Ils ne sont pas utiles non plus pour recharger les STEPs car la capacité nucléaire et hydraulique suffit à le faire. Il en est ainsi jusqu’en novembre. Comme en début d’année, le photovoltaïque apporte alors une contribution modérée à la réduction de la production à partir d’énergie fossile jusqu’à la trêve de Noël où sa contribution à nouveau est inutile. Lorsque le photovoltaïque ne contribue pas à diminuer les émissions de CO2, cela ne signifie pas qu’il ne produit pas. Comme le coût de production « marginal » est nul, il prendra la place d’une production nucléaire. Il diminuera le taux de charge du parc nucléaire sauf si les possibilités de production nucléaire ainsi rendues disponibles peuvent être exportées.
Sur l’année, il permet de diminuer la production à partir d’énergie fossile de 3,2 TWh alors qu’il produira 20 TWh. Seulement un septième de son potentiel permet de diminuer la production à partir de gaz. Pour le reste, il remplace du nucléaire, ce qui augmente les possibilités d’exportation d’électricité sans émissions de CO2, dans la limite de la capacité de lignes de transport d’électricité.
Si l’on remplace 1,7 GW nucléaire par 7,5 GW d’éolien
La très grande différence avec le photovoltaïque tient à ce que l’éolien produit de nuit comme de jour et davantage pendant les mois frais que pendant les mois chauds. Mais, comme avec le photovoltaïque, du mois d’avril au mois de novembre, la contribution de l’éolien n’aide en rien à diminuer une production à partir de gaz qui, au-delà de ce qu’il faut produire par cogénération, est faible ou nulle
Pour diminuer la production annuelle à partir de gaz de 3,2 TWh, il faut donc une capacité éolienne qui peut produire 15 TWh. Seulement 20 % des possibilités de production serviront à diminuer la production à partir d’énergie fossile. Le reste se substituera à une possibilité de production nucléaire.
Dans le cas de l’éolien comme dans celui du photovoltaïque, l’arrêt de Fessenheim a pour effet de diminuer les exportations de 6,5 TWh et d’augmenter la production à partir de gaz. La capacité nouvelle d’éolienne ou de photovoltaïque qui permet d’éviter une hausse de la production à partir de gaz a aussi pour effet d’augmenter les possibilités d’exportations. Mais ces nouvelles possibilités d’exportation sont tout à fait différentes de celles qui ont été supprimées par la diminution de la capacité nucléaire.
3- Les exportations après le remplacement d’une capacité nucléaire par du photovoltaïque ou de l’éolien
La situation de référence est S1 : après le démarrage de Flamanville et sans l’arrêt de Fessenheim
Les situations étudiées sont :
S2 : après l’arrêt de Fessenheim sans augmentation des capacités éolienne et photovoltaïque
S3 : après l’arrêt de Fessenheim et sans augmentation de la production à partir d’énergie fossile
S3A : avec une augmentation de la capacité éolienne
S3B : avec une augmentation de la capacité photovoltaïque
Dans chaque cas on suppose que la capacité des lignes d’interconnexion est de 13 GW.
3.1 Le calcul des flux annuels
Le moyen de simulation utilisé ici donne les résultats indiqués dans le tableau suivant.
S1 |
S2 sans Fshm |
S3A sans Fshm |
S3B sans FShm |
|
Capacité nucléaire (GW) |
64,8 GW |
63,1 GW |
63,1 GW |
63,1 GW |
Capacité éolienne (GW) |
14 GW |
14 GW |
21,5 GW |
14 GW |
Capacité photovoltaïque (GW) |
8 GW |
8 GW |
8 GW |
26,6 GW |
Production à partir de gaz (TWh) |
15,8 GW |
19 GW |
15,6 GW |
15.7 GW |
Excédent de possibil. nuc éol PV (TWh) |
53,1 TWh |
45 TWh |
56,7 TWh |
62,3 TWh |
Comparé à S1 |
||||
Possibilité de prod. Nucléaire (TWh) |
-11,1 TWh |
-11,1 TWh |
-11,1 TWh |
|
Production à partir d’énergie fossile |
+3,2 TWh |
-0,2 TWh |
-0,1 TWh |
|
Possibilités de prod. éolienne (TWh) |
0 |
15 TWh |
0 |
|
Possibilités de prod. PV (TWh) |
0 |
0 |
20,4 TWh |
|
Excédent de possibil. nuc éol PV (TWh) |
-8,1 TWh |
3,6 TWh |
+9,2 TWh |
|
Note : des écarts minimes sont dus aux pertes de stockage-déstockage |
||||
Interconnexions : 13 GW |
||||
Exportations (TWh) |
47,6 TWh |
41,1 TWh |
49,4 TWh |
54,5 TWh |
Comparé à S1 |
||||
Possibil prod nuc, éol, PV écrêtées |
-1,5 TWh |
+1,8 TWh |
+6,2 TWh |
|
Exportations (TWh) |
-6,4 TWh |
+1,8 TWh |
+6,5 TWh |
|
Augmentat. au pas horaire (TWh) |
0 |
+3,0 TWh |
+9,4 TWh |
|
Nombre d’heures dans l’année |
2370 |
2470 TWh |
||
Diminut. Au pas horaire (TWh) |
-6,5 TWh |
-1,2 TWh |
-2,9 TWh |
|
Nombre d’heures dans l’année |
2580 |
2000 |
Le remplacement d’une capacité nucléaire par des éoliennes ou du photovoltaïque augmente la part des possibilités de production sans émission de CO2 qui doit être abandonnée, soit par un écrêtement de la production éolienne ou photovoltaïque, soit par une diminution de la production nucléaire en deçà de ses possibilités.
Pour se substituer à 11,1 TWh nucléaire sans augmenter la production d’électricité à partir d’énergie fossile, la nouvelle capacité éolienne de 7,5 GW produit 15 TWh, la nouvelle capacité photovoltaïque de 18,5 GW produit 20 TWh. Les possibilités de production d’électricité sans émission de CO2 sont donc augmentées de 3,9 TWh avec des éoliennes ou de 8,9 TWh avec du photovoltaïque.
Cette augmentation des possibilités de production ne serait pas gênante si elle pouvait être correctement valorisée. La limite des interconnexions (13 GW) oblige à abandonner une possibilité de production de 1,8 TWh dans le cas des éoliennes, de 2,7 TWh dans le cas du photovoltaïque soit 12 ou 15 % de ce qu’ils peuvent produire. Le paragraphe suivant montre pourquoi ce qui pourrait être exporté sera peu valorisé dans le cas de l’éolien et mal ou pas du tout valorisé dans le cas du photovoltaïque[3].
3.2- Une analyse de l’évolution des importations et des exportations
En volume
On prend ici comme référence la situation après le démarrage de l’EPR et avant l’arrêt de la centrale de Fessenheim (situation S1) et on lui compare deux situations où la centrale de Fessenheim est arrêtée et remplacée soit par des éoliennes (situation S3A) soit par du photovoltaïque (situation S3B) de façon à ne pas augmenter la production d’électricité à partir d’énergie fossile.
Si l’arrêt de Fessenheim est compensé par des éoliennes
Si l’arrêt de la centrale de Fessenheim est compensé par des éoliennes, dans la limite de la capacité des lignes d’interconnexion, les exportations augmentent de 1,8 TWh par an. Il est intéressant de distinguer les heures où ces exportations augmentent du fait de l’augmentation de la capacité éolienne et les heures où elles diminuent du fait de la diminution de la capacité nucléaire.
Vues au pas horaire, les exportations augmentent de 3 TWh et diminuent de 1,2 TWh. Les augmentations apparaissent 2500 heures dans l’année, entre 100 et 150 heures par mois de janvier à mars, de 200 à 300 heures par mois les autres mois, à toute heure de la journée selon l’importance du vent. Les diminutions d’exportations sont assez bien réparties.
Si l’arrêt de Fessenheim est compensé par du photovoltaïque
Si la baisse de capacité nucléaire est compensée par du photovoltaïque, sous la limite de la capacité d’interconnexion les exportations augmentent de 6,5 TWh par an.
Vues au pas horaire, les augmentations d’exportation sont de 9,4 TWh et les diminutions d’exportation sont de 2,9 TWh. Les augmentations apparaissent 2400 heures dans l’année, essentiellement en été : 50 heures en janvier, 60 heures en février, et 300 heures en juin, 400 heures en juillet. Les diminutions d’exportation apparaissent 2600 heures surtout la nuit et elles sont beaucoup plus réparties dans l’année que les heures de hausse d’importation : 100 à 200 heures par mois d’hiver ; jusqu’à 300 heures par mois d’été.
En valeur,
Pour répondre à la consommation française, les nouvelles possibilités de production éolienne et photovoltaïque, dont le coût marginal est nul, se substituent au nucléaire, dont le coût marginal est de 9 €/MWh. Elles suscitent une augmentation des possibilités d’exportation, mais on peut considérer que ces nouvelles exportations sont celles d’une électricité nucléaire (si elles étaient empêchées, c’est la production nucléaire qui serait ralentie et non celle des éoliennes ou du photovoltaïque). Pour évaluer l’intérêt économique d’une exportation nouvelle, il faut donc ôter le coût marginal du nucléaire.
La valeur des exportations évitées du fait de la baisse de la capacité nucléaire est probablement proche de la valeur moyenne du MWh sur le marché. Il en est de même de l’augmentation des exportations générées par la capacité éolienne, bien répartie dans l’année. En revanche, la valeur des exportations nouvelles générées par le photovoltaïque est certainement beaucoup plus basse.
En simplifiant à l’extrême, supposons que le prix de l’électricité pendant les heures où les exportations générées par la capacité photovoltaïque augmentent est de 20 €/MWh et que, autrement, le prix est de 60 €/MWh. En valeur nette, cela donne 11 €/MWh et 51 €/MWh.
Pour ce qui est du commerce extérieur, remplacer la centrale de Fessenheim par des éoliennes de façon à ne pas augmenter la production à partir d’énergie fossile génère donc un manque à gagner de 61 M€ et un revenu de 153 M€/an, soit un revenu net de 92 M€ par an.
Remplacer la centrale de Fessenheim par du photovoltaïque de façon à ne pas augmenter la production à partir d’énergie fossile génère un manque à gagner de 150 M€ et une recette de 103 M€ par an, soit une perte de 50 M€ par an. Ce résultat négatif serait aggravé si toutes les possibilités techniques d’exportation ne trouvaient pas un débouché à un prix supérieur à 9 €MWh.
En tenant compte de la valeur du CO2
L’augmentation des exportations est de 1,8 TWh si la diminution de la capacité nucléaire est compensée par des éoliennes ou de 6,5 TWh si elle est compensée par du photovoltaïque, à supposer que ces possibilités techniques d’exportation trouvent leur marché à un prix supérieur à 9 €/MWh.
Les émissions en France sont inchangées puisque dans l’un et l’autre cas la capacité éolienne ou photovoltaïque est calculée de façon à ce que la production à partir de gaz fossile soit inchangée.
Les émissions en Europe seraient donc diminuées de 1 à 3,5 millions de tonnes de CO2 par an (Mt CO2/an). Si l’on valorise le « CO2 évité » à 50 € par tonne, cela fait de 50 à 180 M€/an.
Un bilan économique sommaire
pour remplacer 1,7 GW nucléaire par des éoliennes ou du photovoltaïque de façon à ne pas augmenter les émissions françaises de CO2, en millions d’euros par an (M€/an) :
Pour répondre à la demande française, sans compter le coût du CO2
Dépenses évitées
Les frais fixes de production nucléaire : un investissement de 1000 €/kW représentant les dépenses à faire pour prolonger la vie des réacteurs nucléaires, soit 80 €/kW/an ; et les frais de gestion annuels de la centrale nucléaire, à hauteur de 110 €/kW/an ; soit 190 €/kW/an ou, pour 1,7 GW, 320 M€/an.
Sur le marché français, les nouvelles capacités éolienne et photovoltaïque prendront la place du nucléaire (car leur coût marginal est nul, comme on l’a déjà noté). La production nucléaire pour la consommation française diminuera donc de 15 TWh si la centrale nucléaire est remplacée par 7,5 GW d’éoliennes ou de 20 TWh si elle est remplacée par 18,5 GW photovoltaïque. Pour la consommation française, les frais variables de la production nucléaire (9 €/MWh) diminuent donc de 135 M€/an ou 180 M€/an.
Au total, les dépenses évitées pour répondre à la consommation française sont : 455 ou 500 M€/an
Les dépenses nouvelles
Les frais fixes d’une capacité de production à partir de gaz de 1,5 GW (investissement et frais de gestion) : 180 M€/an.
Les dépenses de production de 15 TWh d’éoliennes à 66 €/MWh (des éoliennes sur terre seulement) soit 1000 M€/an ou 20,4 TWh de photovoltaïque à 60 €/MWh (du photovoltaïque sur sol seulement) soit 1220 M€/an.
Bilan :
Si l’on veut éviter une augmentation de la production à partir d’énergie fossile,
remplacer 1,7 GW nucléaire par des éoliennes : augmentation des dépenses : 725 M€/an
remplacer 1,7 GW nucléaire par du photovoltaïque : augmentation des dépenses : 900 M€/an
En tenant compte de la valeur des exportations et des émissions de CO2
La valorisation des exportations et la prise en compte de la réduction des émissions de CO2 ne modifie le bilan que d’une centaine de millions d’euros par an.
Le remplacement d’une centrale nucléaire telle que celle de Fessenheim par des éoliennes ou du photovoltaïque, sans augmentation ni diminution des émissions françaises de CO2, se traduit par une augmentation des dépenses de 700 à 800 millions d’euros par an.
Parmi les multiples usages, il en est un qui saute aux yeux dès lors que l’on sort du périmètre franco français : aider à financer des investissements là où le soleil est abondant et où le réseau électrique fait défaut : cela permettrait de produire 2 à 3 millions de mégawattheures par an et d’éviter l’émission de 3 millions de tonnes de CO2 par an (voir en annexe 2).
En annexe
L’hypothèse d’un stockage d’électricité par batteries
L’effet et le coût d’une augmentation de la capacité des interconnexions avec les pays voisins
L’emploi de 750 millions d’euros par an pour produire de l’électricité dans un pays du Sahel
Annexe 1
le stockage ; les lignes d’interconnexion avec les pays voisins
Il serait a priori possible d’implanter moins de capacités éoliennes ou photovoltaïque si l’on savait mieux utiliser les possibilités de production excédentaires, soit en augmentant les capacités de stockage, soit en augmentant la capacité des lignes de transport vers les pays voisins. Ces deux moyens sont extrêmement coûteux.
Pour mieux employer les possibilités de production : les batteries
Une capacité de batteries s’ajoutant aux STEPs permettrait de stocker une production excédentaire pour la réutiliser plus tard.
Pour mesurer ce que peuvent faire les batteries pour réduire la consommation d’énergie fossile, la simulation suppose que les batteries ne sont chargées que lorsque les moyens de production sans émissions de CO2 (hydraulique, biomasse, éoliennes, photovoltaïque et nucléaire) peuvent produire plus que ce que demande la consommation. En effet, si une batterie est chargée alors qu’il est nécessaire d’utiliser des moyens de production qui consomment de l’énergie fossile, les pertes de stockage et de déstockage ont pour effet d’augmenter la consommation d’énergie fossile.
Supposons que l’on dispose d’une capacité de stockage de 100 GWh, c’est-à-dire 100 millions de kWh.
Pour rappeler les ordres de grandeur, une batterie de voiture électrique a une capacité de 40 à 80 kWh. 100 GWh est donc la capacité des batteries de 2 millions de voitures électriques.
Pour pouvoir diminuer la capacité nucléaire de 1,7 GW sans augmenter la production à partir d’énergie fossile, ni la capacité photovoltaïque, avec une capacité de stockage de 100 GWh s’ajoutant aux STEPs (dont la capacité est de 90 GWh), il faudrait augmenter la capacité éolienne de 5 GWh au lieu de 7,5 GWh sans cette nouvelle capacité de stockage. Cette capacité de batterie de 100 GWh évite donc une capacité éolienne de 2,5 GW. Les dépenses de 2,5 GW d’éoliennes produisant 5 millions de MWh à 66 €/MWh sont de 330 millions d’euros par an.
Avec cette capacité de 100 GWh de batteries, si l’on voulait diminuer la capacité nucléaire de 1,7 GW sans augmenter la production à partir d’énergie fossile ni la capacité éolienne (14 GW), il faudrait 21 GW photovoltaïque soit 5,6 GW de moins que sans cette nouvelle capacité de batterie. Le coût annuel de ces 5,6 GW photovoltaïque est de 360 millions d’euros par an.
Les batteries coûtent actuellement 200 €/kWh, soit pour 100 GWh, 20 milliards d’euros ou 2,6 milliards d’euros par an. C’est-à-dire qu’en France métropolitaine les batteries coûtent 8 fois plus cher que les éoliennes ou le photovoltaïque qu’elles permettent d’éviter, sans même compter la valorisation des exportations. De fait elles sont peu utilisées. Avec le photovoltaïque, le nombre d’heures de décharge des 100 GWh de batteries est de 900 par an. L’été, elles ne servent à rien.
Il en est différemment dans les zones subtropicales, comme dans les DOM-TOM ou dans le Sahel, où les batteries sont utilisées tous les jours – cf. l’annexe 2.
Pour mieux utiliser les excédents de production, augmenter la capacité des interconnexions
Si la capacité des liaisons avec l’étranger est de 20 GW au lieu de 13 GW, les possibilités d’exportations sont supérieures de 1,2 TWh avec des éoliennes, de 2 TWh avec du photovoltaïque.
Une ligne de transport souterraine récemment installée entre la Belgique et l’Allemagne de 90 km de long pouvant transporter 1 GW a coûté 450 M€, soit une annuité de 29 M€ (à 5% sur 30 ans)
Pour 7 GW, cela ferait 200 M€ par an pour transporter 1 ou 2 millions de MWh par an.
Il faudrait que cette électricité soit valorisée 100 à 200 € par MWh pour que, à ce coût, l’augmentation de l’interconnexion soit justifiée. Or, on a vu que la valorisation de cette électricité sera inférieure, ou largement inférieure, à 50 €/MWh. Même si le coût de l’interconnexion est moindre, il restera supérieur à la valeur de l’électricité qu’elle permet d’exporter.
Annexe 2
Participer au financement du photovoltaïque en Afrique
Une somme de 750 millions d’euros en Afrique subsaharienne peut produire 3 millions de MWh, économiser 2 milliards de dépenses et éviter l’émission de 4 millions tonnes de CO2 par an
Nous avons analysé pourquoi l’arrêt d’une centrale nucléaire de 1,7 GW en état de fonctionnement, si on veut la remplacer par des éoliennes ou du photovoltaïque de façon à éviter une augmentation des émissions de CO2, oblige à dépenser 700 à 800 millions d’euros par an de plus que si elle n’était pas arrêtée. Que pourrait-on faire avec cette somme si elle était employée à produire de l’électricité photovoltaïque dans des zones ensoleillées et non reliées à un réseau électrique ?
Dans la campagne africaine, le coût réel du fioul est compris entre 1,5 et 2 € par litre. (2€ par litre selon le témoignage d’un député de Centrafrique[4]). Retenons 1,8 €/l. Le rendement de groupes électrogènes est de 30%. Sans même compter le coût du groupe électrogène, le coût de l’énergie est alors de 600 €/MWh.
Avec une production photovoltaïque, il faut une capacité de stockage d’électricité pour pallier les variations d’ensoleillement diurne et l’absence de production pendant la nuit. La capacité de stockage dépend de conditions géographiques (latitude, nébulosité) et du profil horaire des besoins d’électricité. Selon les situations, elle sera égale à une ou deux journées de production. Elle peut être réduite s’il existe un groupe électrogène d’appoint.
Le coût technique de production photovoltaïque sous ces latitudes est de l’ordre de 60 €/MWh. A cela il faut ajouter le surcoût d’installation dans des zones éloignées, mal desservies et mal équipées. Le coût réel est bien supérieur. Prenons le cas où la capacité des batteries couvre un peu plus que les besoins d’une journée. Une puissance crête de 1 kWc fournit 6 kWh dans une journée moyenne soit 2,2 MWh dans l’année. Pour 1 kWc, la capacité de la batterie sera de 7 kWh. Au coût, installée, de 250 €/kWh, cela fait un investissement de 1750 €, soit, en dépense annuelle, 300 €, ce qui fait 135 €/MWh. Au total, avec ces hypothèses, les panneaux photovoltaïques et les batteries coûtent environ 200 €/MWh consommé.
Les coûts réels dépendent évidemment de chaque situation et il faut ajouter les dépenses du groupe électrogène, de gardiennage et d’entretien. Pratiquement, le coût revient à 250 ou 350 €/MWh.
C’est donc beaucoup moins cher qu’un groupe électrogène. De plus, celui-ci émet plus d’une tonne de CO2 par MWh.
Une somme de 750 millions d’euros dépensée chaque année pour équiper des régions subsahariennes non reliées à un réseau électrique permettrait de fournir 2 à 3 millions de MWh par an. Si cela remplace de l’électricité produite par des groupes électrogènes, ce sera une économie de 300 € par MWh, soit 0,6 à 1 milliards d’euros par an et une diminution des émissions de 2,5 MtCO2 par an. Si elle dessert des zones aujourd’hui privées d’électricité, c’est un nouveau service essentiel qui sera rendu à des millions de personnes.
[1] Elle est en réalité un peu inférieure à 1,8 GW.
[2] Les émissions sont de 0,5t CO2 par MWh produit à partir de gaz, de ,11 t CO2/MWh produit à partir de lignite.
[3] Cette valeur de 13 GW a été retenu car elle est proche de la capacité actuelle. En annexe, on montre qu’une capacité de 20 GW permettrait d’exporter davantage mais serait trop coûteuse.
[4] Cf. par exemple « Les énergies renouvelables au service de l’Afrique » de Jean-Pierre Mara et Henri Prévot, journal Le Monde, 4 octobre 2018