Le Haut-Commissaire au Plan, François Bayrou souligne la nécessité d’une part significative d’énergie nucléaire ; un progrès réel mais il est nécessaire d’être beaucoup plus ambitieux !

Jean-Pierre PERVÈS

Le Haut-Commissaire au Plan, François Bayrou souligne la nécessité d’une part significative d’énergie nucléaire ; un progrès réel mais il est nécessaire d’être beaucoup plus ambitieux !

Il faut apprécier la prise de position courageuse de François Bayrou, Haut-Commissaire au Plan, dans son document « Électricité : le devoir de lucidité »[1]. Il rappelle très clairement que la substitution de sources d’énergie non carbonées aux sources d’énergie fossiles est devenue un chapitre essentiel de l’évolution de nos sociétés et de nos économies. Sauvons le Climat rejoint donc les conclusions de ce rapport sur l’importance de la question de la consommation et de la production d’électricité dans le débat énergétique. L’étude conclut que « tout montre que le mix productif doit assurément préserver une part significative de production nucléaire, qui ne pourra sans doute, à vues humaines, être dans les décennies qui viennent inférieure à 50 % de la production totale d’électricité ».

Cette intervention de François Bayrou contribue à ramener à la raison et à l’analyse scientifique factuelle, dans un débat largement dominé par une idéologie qui conduit inéluctablement à la décroissance et à la précarité. Sauvons le Climat le rejoint dans son analyse du couple nucléaire/climat et sa vision du rôle important que devraient avoir la France et son nucléaire dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique au niveau de l’Europe.

Nous retrouvons dans ce rapport toutes les fragilités, les espoirs hasardeux qui caractérisent et polluent le débat énergétique dans notre pays, mais aussi son impuissance face aux stratégies privilégiées par la Commission Européenne (avec certains pays membres), qui font fi du principe de subsidiarité et fixent des objectifs techniques qui ne sont ni de sa compétence, ni de son rôle.

Mais les études et analyses conduites par les experts de Sauvons le Climat conduisent à dire que les craintes exprimées par François Bayrou quant au caractère utopiste de certains objectifs, et les dangers auxquels les orientations politiques actuelles exposent notre pays - et même l’Europe - sont clairement sous-estimées. L’Académie des Technologies, dans son avis du 10 mars 2021[2] estime, comme SLC, que les besoins d’électricité pour la France pourraient s’élever à 730, voire 840 TWh en 2050 avec contribution à la production d’hydrogène (ces chiffres sont cohérents avec les études de SLC), près de 200 TWh au-dessus des chiffres envisagés par RTE[3].

Nous relevons, parmi d’autres, des évolutions majeures qui devront être prises en compte :

  • le Président Macron a approuvé la décision du Conseil Européen de porter l’objectif européen de réduction des émissions de Gaz à Effet de Serre (GES) de 40 à 55 % par rapport à 1990, objectif qui ne nous semble pas encore inclus dans l’analyse de François Bayrou. L’objectif 2030 de 40 % datant de 2014 impliquait déjà une accélération de 300 % de l’effort de réduction annuel moyen par rapport aux 30 dernières années, et il faudra désormais le porter à plus de 500 %. Est-ce réaliste ? En 2018 la France s’était vue attribuer un objectif de 37 % de baisse pour 2030 (par rapport à 2005), les objectifs nationaux des 28 pays européens s’étalant entre 0 et 40 %, sur la base essentiellement des performances économiques de chacun, et non des performances climatiques. On peut donc s’attendre à ce que l’objectif de notre pays soit porté de 40 % à environ 50 ou 55 % par rapport à 1990, sauf si, ce qui serait juste, les performance climatiques de la France, avec son électricité décarbonée, étaient reconnues. C’est donc toute notre prospective qui est à réviser. Et il faut se souvenir qu’une part notable de l’évolution passée de nos émissions provenait d’une désindustrialisation qu’il n’est plus possible, ni souhaitable, de poursuivre ;

  • le rapport s’appuie, semble-t-il, largement sur les données et objectifs de la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) ; la SNBC, comme le montre la figure ci-dessous, n’envisage le développement de l’électrification qu’au-delà de 2030, en misant essentiellement sur une pression radicale et illusoire sur les consommations et l’efficacité énergétique, ce qui est incompatible avec le nouvel objectif européen pour cette date. Et l’objectif 2030 de l’UE est clairement ignoré !

 

 tableau article sur Bayrou

 Le constat, douloureux, est qu’en particulier en ce qui concerne les secteurs les plus sensibles que sont les transports et l’ensemble habitat/tertiaire, les progrès sont restés bien trop faibles depuis 2015[4], bien que la LTECV et la PPE soient en pleine application. C’est ainsi que les émissions de CO2 des transports sont restées stables (baisse de 1 % en 5 ans) et celles des bâtiments ont diminué légèrement, de 8 %, en grande partie grâce à 3 années qui ont été les plus chaudes depuis un siècle. Pour atteindre les objectifs 2030, ces deux secteurs, qui représentent 63 % des émissions de CO2 du pays, devraient ne plus représenter qu’une vingtaine de % de celles-ci en 2030 si on veut redéployer l’industrie.  Une électrification massive associée à une réduction « autoritaire » des consommations s’imposera donc ;

  • nous allons assister à un effondrement prochain des capacités pilotables de production d’électricité d’environ 110 GW d’ici 2030/2035 en Europe de l’Ouest, d’après France Stratégie[5], avec parallèlement une croissance des moyens de production intermittents de 310 GW, alors que des moyens massifs de stockage d’électricité ou d’effacement sont loin d’être garantis et resteront mineurs jusqu’à 2035 au moins. Et il faut rappeler que l’étude de RTE et de l’AIE[6] a montré la fragilité des scénarios majoritairement renouvelables, et que la Cour des comptes s’est justement inquiétée du coût considérable de l’électricité intermittente pour un gain climatique insignifiant[7].

Il serait donc raisonnable d’envisager une croissance beaucoup plus rapide de l’électrification du pays avec une électricité décarbonée majoritairement pilotable. En effet en regard de ces évolutions nous disposons d’atouts essentiels :

  • l’Autorité de sûreté nucléaire a, au vu des conclusions de la phase générique du quatrième réexamen périodique des réacteurs de 900 MW, donné son accord de principe à la poursuite du fonctionnement pour dix ans des 16 réacteurs les plus anciens, au-delà des 40 ans, sous réserve bien sûr des modifications et améliorations convenues avec l’exploitant EDF. Celui-ci a par ailleurs clairement indiqué que les travaux prévus dans le cadre du grand carénage visaient à une extension de 20 ans[8] de l’exploitation. La prise en compte par le Haut-Commissariat au Plan d’une exploitation limitée à 45 ans en moyenne est donc largement pessimiste ;

  • l’étude par EDF d’un réacteur optimisé est suffisamment engagée, ainsi que les approvisionnements des composants les plus longs à fabriquer, et la commande d’une première série de réacteurs est possible dès maintenant ;

  • la commission nationale d’évaluation du projet de stockage souterrain des déchets radioactifs CIGEO, ainsi que le groupe d’experts mandaté par la DGEC en 2020 ont clairement estimé, avec les attendus voulus, que les procédures conduisant à la réalisation de ce stockage pouvaient être engagées cette année (Déclaration d’utilité publique puis Demande d’autorisation de création), ce qui devrait socialement restaurer la confiance de la population[9];

  • alors que le Président de la République vient de saisir la Présidente de la Commission Européenne d’une demande d’introduire le nucléaire parmi les technologies susceptibles de bénéficier de la Taxonomie, le rapport commandé au Joint Research Center (JRC) par la Commission[10], qui vient d’être remis, conclut clairement que l’impact sanitaire et environnemental de l’énergie nucléaire, y compris celui des rayonnements, est inférieur à celui d’autres activités déjà incluses dans la Taxonomie au titre de la maitrise de l’évolution climatique (par exemple le gaz naturel et la séquestration du CO2) ;

  • la France bénéficie sur son sol d’une réserve stratégique considérable d’énergie, des millénaires d’électricité, avec une technologie de réacteurs de quatrième génération déjà largement étudiée et l’uranium appauvri issu de ses usines de séparation isotopiques.

 C’est pourquoi la France devrait enfin envisager un programme plus efficace, donnant la primauté à la réduction des émissions de GES, qui devrait prendre en compte :

  • l’engagement rapide de 6 tranches nucléaires, dès 2021, afin de bénéficier de l’effet de série, au rythme proposé par EDF,

  • l’abandon de l’objectif d’arrêt de 14 réacteurs d’ici 2035, ce qui permettrait d’étaler dans le temps le déploiement des nouveaux réacteurs, et de maintenir au niveau juste requis le développement coûteux des énergies intermittentes qui d’une part se révèle un surinvestissement, et d’autre part dégrade la compétitivité des moyens pilotables, essentiels à la stabilité du réseau et de l’approvisionnement du pays ;

  • et bien sûr une accélération de l’électrification du pays, la décarbonation des principaux secteurs émetteurs de CO2 étant clairement plus supportable financièrement et socialement par le pays que des contraintes trop radicales sur les consommations, lourdes à supporter par les familles et l’industrie. Le développement des usages électriques en remplacement de moyens carbonés massivement utilisés dans le bâti, les transports et l’industrie, sera plus efficace économiquement et temporellement. Il entraînera une hausse des consommations, bien au-delà des valeurs proposée par François Bayrou, comme le démontre l’Académie des Technologies, et une nécessaire croissance des productions pilotables et moyens de lissage des consommations ;

  • la prise en compte de la capacité qu’a l’électricité à soutenir le développement de technologies bas carbone dans de nombreux domaines, par exemple pour la production d’hydrogène.

SLC insiste sur la nécessité de réviser rapidement, dans une perspective dynamique, les recherches sur les technologies nucléaires futures afin d’accompagner la relance d’un programme essentiel à nos objectifs climatiques.

L’étude présentée par François Bayrou note que « tout montre que le mix productif doit assurément préserver une part significative de production nucléaire, qui ne pourra sans doute, à vues humaines, être dans les décennies qui viennent inférieure à 50 % de la production totale d’électricité ». Mieux vaudrait rappeler qu’une limitation à 50 % n’a aucune justification, qu’il s’agisse d’efficacité climatique ou d’impact social et économique des politiques menées.

Et ne faut-il pas rappeler enfin que, contrairement à une croyance populaire étonnante, révélée par des sondages et encouragée par une communication trompeuse d’associations résolument anti-nucléaires, le nucléaire est en France la technologie la moins carbonée pour produire de l’électricité, comme le montre la Base carbone de l’ADEME.

  tableau article sur Bayrou 2

En conclusion : comme rappelé par le Président Macron, le climat est la priorité.

La pression exercée auprès de la Commission Européenne par les pays encore asservis aux combustibles fossiles et par les groupes anti-nucléaires crée une menace qui demande une action énergique du gouvernement français. Nous soulignons en particulier les évidences suivantes :

  • nécessité d’une action dynamique pour intégrer dès maintenant dans la taxonomie l’ensemble des technologies basses émissions, dont le nucléaire, sans attendre une révision future d’un acte délégué de la Commission Européenne pris dans la précipitation sous la pression du lobby du gaz.

  • faire reconnaître les performances actuelles de notre pays lors des arbitrages qui conduiront aux objectifs 2030 de réduction des émissions de GES par pays.

  • Mener à leur terme, dans l’intérêt de la France et de ses citoyens, les discussions avec la Commission sur la suppression l’ARENH et l’avenir d’EDF, afin de conforter nos atouts actuels.

 

[1] https://www.gouvernement.fr/electricite-le-devoir-de-lucidite

[2]https://www.academie-technologies.fr/blog/categories/publications-de-l-academie/posts/perspective-de-la-demande-francaise-d-electricite-d-ici-2050-avis  

[3] Ne faut-il pas rappeler que l’étude de RTE/AIE ( https://www.rte-france.com/actualites/rte-aie-publient-etude-forte-part-energies-renouvelables-horizon-2050 ) avoue benoîtement : « L’étude explore la façon de respecter la trajectoire de la SNBC sur le secteur du bâtiment. Elle ne vise pas à démontrer que les scénarios étudiés constituent la seule solution de parvenir à la neutralité carbone. (…)  Enfin, l’étude n’évalue pas les effets macroéconomiques des scénarios, ni l’impact sur la facture énergétique des ménages.

[4] https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2020-04/series_longues_bilan_energetique_2019_donnees_provisoires.xls

[5] https://www.strategie.gouv.fr/publications/securite-dapprovisionnement-electrique-europe-horizon-2030

[6] https://assets.rte-france.com/prod/public/2021-01/CP_rapport_RTE_AIE_rapport%20ENR%20horizon%202050_VF.pdf

[7] https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2018-04/20180418-rapport-soutien-energies-renouvelables.pdf

[8] Pour mémoire la quasi-totalité des réacteurs de la même génération est déjà autorisée à fonctionner 60 ans aux USA, et deux réacteurs ont déjà une autorisation pour 80 ans. La réglementation française impose une réévaluation de la sûreté tous les dix ans, hélas incompatible avec une saine gestion de moyens lourds, à gérer sur le long terme.

[9] Tous les pays engagés dans le nucléaire ainsi que le Parlement français et l’Agence internationale de l’énergie ont clairement qualifié le stockage géologique comme efficace et sûr.

[10] Technical assessment of nuclear energy with respect to the ‘do no significant harm’ criteria of Regulation (EU) 2020/852 (‘Taxonomy Regulation’), 19 mars 2021.

 

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