Une aberration climatique : le MTES propose la mise au rebut d’une réserve nationale d’énergie considérable, l’uranium appauvri
1 – Résumé et avis
Alors que le gouvernement se révèle incapable de proposer une vraie politique climatique, souple, adaptable et à très long terme, ainsi qu’une vision du rôle du nucléaire, le Ministère de la Transition Énergétique et Solidaire (MTES) propose, en catimini, dans le cadre d’une consultation sur le Plan national de gestion des matières et déchets nucléaires, de transformer l’essentiel de notre stock national d’uranium appauvri (Uappauvri) en déchets.
Ce faisant il met en consultation un sujet technique très complexe, que la quasi-totalité des français ne connaît pas, celui de l’utilisation par les générations futures d’un potentiel énergétique considérable, nous appartenant et déjà sur notre sol. L’Uappauvri ouvre la voie, à partir de technologies de réacteurs nucléaires déjà largement étudiées et démontrées, à la production de milliers d’années d’électricité décarbonée, voire de chaleur. Cette production serait :
- sans impact sur le climat ni sur la pollution urbaine,
- et, ce qui est essentiel, elle est pilotable et servirait, comme aujourd’hui, à assurer l’équilibre et la stabilité du réseau électrique (contrairement aux énergies intermittentes).
Ce faisant la Ministre rejoint le souhait d’organisations clairement antinucléaires, exprimé lors du débat précédent. Comment une ministre de l’environnement peut-elle faire fi de la préservation de ressources considérables et du bienfait du recyclage, avec l’appui d’associations se référant à l’écologie mais agissant, de fait, contre une politique climatique efficace ?
L’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN), qui n’est pas compétente sur la politique énergétique nationale, a repris cette demande. Mais elle rappelle très justement que cet Uappauvri est une réserve d’énergie sur des millénaires et estime, si sa requalification en déchet était retenue, qu’elle devra rester réversible.
En étant pragmatique :
- Il n’y a aucune urgence à réviser la doctrine actuelle d’entreposage sur la base d’une consultation volontairement précipitée et sans ambition climatique. Le succès du programme de transition énergétique est loin d’être assuré, particulièrement vis à vis des objectifs de lutte contre le changement climatique, et la crise économique ne justifie pas des dépenses non essentielles ;
- L’ASN pointe une vraie question qui est celle du contrôle à très long terme, du point de vue de la sûreté nucléaire, de matières stables, d’un volume limité, mais qui n’en sont pas moins radioactives, même si c’est faiblement.
- La seule solution logique serait la constitution d’un stockage stratégique d’une ressource énergétique (on parle de millénaires de ressources), l’Uappauvri, garantissant son accès aux générations futures, aux conditions requises de sûreté. Mais il n’y a pas urgence, les entreposages étant sûrs, et nous ne saurons que dans 30/50 ans si la dérive du climat est maîtrisée.
- Il est évident que le stocker dans le stockage géologique CIGEO, programmé par la France pour ses déchets ultimes serait totalement inadapté. Il est en effet conçu pour rendre, une fois fermé, extrêmement difficile (voire impossible) toute réversibilité, réversibilité que préconise l’ASN.
- En conséquence l’ASN devrait, quand utile et sur propositions et en concertation avec les industriels concernés, proposer les critères de conception d’un tel stockage stratégique.
Le ministère veut-il ignorer que la France reste un des leaders mondiaux du cycle du combustible nucléaire ainsi que des réacteurs de 4ème génération, capables de consommer cet Uappauvri ? C’est l’industrie nucléaire, qui emploie 220 000 personnes, qui est à nouveau attaquée par la ministre.
2 - 4000 ans d’électricité décarbonée mis au rebut sur demande du Ministère de l’environnement!
Alors que la vision de la politique climatique et énergétique à long terme de la France reste très incertaine, le ministère de l’environnement, chargé de l’énergie, semble vouloir fermer la porte à l’utilisation d’un stock stratégique considérable de combustible, l’uranium appauvri (Uappauvri), en l’assimilant à un déchet. Or cette réserve est capable de générer une énergie non carbonée et pilotable pouvant alimenter la France en électricité comme en chaleur pendant des millénaires. Qu’en est-il ?
La France devrait disposer sur son sol vers 2030/2040 d’environ 400 000 tonnes d’Uappauvri, essentiellement de l’238U. Il provient de nos usines d’enrichissement de l’uranium[1]. Le stock mondial d’Uappauvri sera alors voisin de 2 millions de tonnes.
À moyen terme nous pourrons, lorsque le prix de l’uranium naturel sera plus élevé, réenrichir cet Uappauvri [2]. Trois cents grammes d’U enrichi ainsi produits pourront alors produire autant d’énergie qu’une tonne de pétrole. Les stocks actuels constituent aujourd’hui une mine domestique qui représente 7 à 8 ans de réserve stratégique par simple ré-enrichissement[3],peu coûteux.
À plus long terme, dans des conditions réalistes, correspondant à la transformation en 239Pu fissile par multi-recyclage de la moitié du contenu en 238U de cet Uappauvri dans des réacteurs surgénérateurs[4], le stock disponible représentera un potentiel énergétique considérable :
- Au niveau mondial la production de 10 millions de TWh, soit 400 années de production annuelle d’électricité de la planète (25 000 TWh en 2019).
- Au niveau français 2 millions de TWh soit 4 000 années de production annuelle d’électricité (500 TWh en 2019). C’est dire que la position française est particulièrement favorable, grâce aux investissements consentis dans les années 1970/1990 pour constituer un cycle industriel nucléaire très complet, renforçant ainsi notre niveau d’indépendance énergétique.
Et toute cette électricité serait produite sans impacts ni sur le climat, ni sur la pollution atmosphérique. Comment peut-on, face à l’immense difficulté du défi climatique, proposer de considérer ce potentiel, présent sur notre territoire et nous appartenant, comme déchet et non comme opportunité laissée aux générations futures ?
3 - Une procédure de décision inadaptée
S’appuyant sur les recommandations de l’AIE et du GIEC[5], réaffirmant le besoin d’une contribution significative du nucléaire pour atteindre la neutralité carbone, on aurait pu penser qu’une telle décision aurait dû être du ressort du Président et du gouvernement, s’appuyant sur les conseils avisés des académies et des organismes consultatifs compétents sur le climat.
Il n’en est rien et cette requalification en déchet de ce trésor vient d’être engagée par le Ministère de la Transition Écologique et Solidaire (MTES) en empruntant un chemin de traverse, dans le cadre de la préparation d’une concertation[6] post-débat public, jusqu’au 3 février 2021, sur le Plan National de Gestion des Matières et Déchets Radioactifs (PNGMDR), consultation qui ignore totalement la problématique du climat ou celle de notre indépendance énergétique.
Le MTES affirme en effet, sans justification, que « la requalification en déchet de cet uranium appauvri est un enjeu de sûreté́ nucléaire, qu’il y a des doutes sérieux concernant sa valorisation et qu’il faudrait s’assurer que la charge de sa gestion n’incombe pas aux générations futures ». Il en conclut, ce qui est inacceptable, qu’il pourrait requalifier des matières énergétiques en déchets radioactifs, faisant fi de la doctrine de recyclage et de conservation des ressources naturelles que le MTES promeut par ailleurs.
Cette tentative de requalification semble avoir pour origine des demandes réitérées des antinucléaires (Greenpeace, Fédération Nationale de l’Environnement, NEGAWATT) lors des réunions publiques tenues en 2018, lors desquelles ils avaient monopolisé la parole par une présence en nombre. Leurs propositions furent reprises par la Commission Nationale du Débat Public (CNDP) et sa présidente dans leurs conclusions, sans réserve et sans souligner les inconvénients de cette orientation, pourtant vivement contestés par de nombreux intervenants sur la base de données indiscutables, que ce soit dans les réunions ou sur le site internet de la CNDP.
4 - La position ambigüe de l’Autorité de Sûreté Nucléaire
L’ASN, un des deux maîtres d’ouvrage de ce PNGMDR[7] (qui doit être révisé tous les 5 ans, soit dans 3 ans) a été saisie de cette question par le ministère et vient de publier un « Avis sur la gestion des matières radioactives et l’évaluation de leur caractère valorisable »[8].
Dans cet avis l’ASN présente une position assez radicale, conforme aux vœux du ministre : « elle estime indispensable qu’une quantité substantielle d’uranium appauvri soit requalifiée dès à présent en déchet ». Elle atténue cependant ensuite cet avis en rappelant que le stock d’Uappauvri, « représente l’équivalent de plusieurs millénaires de fonctionnement d’un parc de réacteurs rapides » (ce qui n’est pas anecdotique !), et en admettant que, « de manière symétrique, une substance qualifiée de déchet radioactif, mais présentant des perspectives nouvelles de valorisation fondées sur des hypothèses raisonnablement probables, devrait pouvoir être requalifiée en matière radioactive ». L’ASN s’appuie de notre point de vue sur deux principes contestables :
- « les projets retenus par les industriels pour étayer les perspectives de valorisation d’une matière radioactive doivent, en tout état de cause, être cohérents avec les orientations et échéances définies par la programmation pluriannuelle de l’Énergie », soit seulement une trentaine d’années, ce qui est très court quand on analyse les cycles industriels de l’énergie et du nucléaire ;
- «l’absence de perspective d’utilisation à l’horizon d’une centaine d’années doit conduire à̀ requalifier la substance en déchet » ce qui est également bien court concernant la problématique du climat.
Ces deux principes ne sont clairement pas judicieux quand on fait face à un réchauffement climatique qui s’étendra sur des siècles ou des millénaires, et quand on évalue les fragilités de la loi de transition énergétique pour la croissance verte (LTECV). L’objectif de neutralité carbone, comme l’indique le GIEC, semble inatteignable dans l’hypothèse d’un tout renouvelable (souvent adossé au gaz naturel), et si on considère les réserves en matériaux rares nécessaires à ces ENR.
On peut également noter que l’ASN ne remet pas en cause dans son avis les entreposages actuels d’Uappauvri. C’est en effet un matériau peu radioactif [9], stockable sous forme d’oxyde très stable (U3O8), dont le volume est faible en comparaison de son immense potentiel énergétique. Il est entreposé dans le cadre de règles de sûreté très strictes. Il n’y a donc aucune urgence alors que nous sommes plongés dans une crise économique sérieuse et que le nucléaire est confronté à la concurrence de productions d’électricité bénéficiant de subventions massives et n’ayant aucunes responsabilités sur l’équilibre du réseau.
5 - Des difficultés certaines et un manque de vision stratégique
Une difficulté, non soulignée par l’ASN, résulte de la doctrine adoptée par la France vis-à-vis des déchets ultimes (donc non réutilisables ou non recyclables). Pour ceux dont la demi-vie est très longue elle exige un stockage très sûr pour des générations futures, qui pourraient même en avoir oublié l’existence. Il est évident que stocker l’Uappauvri dans le stockage géologique CIGEO, programmé par la France pour ses déchets ultimes serait totalement inadapté. Il est en effet conçu pour rendre, une fois fermé, extrêmement difficile (voire impossible) toute réversibilité, réversibilité que préconise l’ASN pour l’uranium appauvri.
Cette question de la conservation à très long terme de ce trésor énergétique n’est pas une question de sûreté et de déchets, mais celle de la constitution d’un stockage stratégique d’une matière hautement valorisable pour les générations futures, dans des conditions sûres. Tant que la certitude d’un accès à très long terme à une énergie totalement décarbonée, gérable et supportable socialement et économiquement sans nucléaire n’aura pas été démontrée, l’Uappauvri devrait être soit entreposé à long terme, soit, s’il était stocké, l’être dans des conditions adaptées à des ressources valorisables, aisément ré injectables dans le cycle industriel du combustible nucléaire.
L’ASN aurait dû, dans son avis, examiner les conséquences de son injonction et devrait préalablement proposer, en concertation avec les propriétaires de l’Uappauvri, une doctrine adaptée d’entreposage et/ou de stockage stratégique de ces matières énergétiques. Ceci devrait être d’autant plus facile qu’il n’y a pas urgence, que ces matières sont durables et stables, faiblement radioactives et compactes. Alors que notre pays (mais également tous les continents), se débattent dans une transition énergétique (on devrait plutôt dire climatique) difficile et extrêmement coûteuse, il serait irresponsable dans cette période de crise économique de précipiter l’industrie nucléaire dans des investissements qui ne présentent aucune urgence ni obligations de sûreté.
L’avis de l’ASN révèle clairement par ailleurs les incertitudes résultant de l’incapacité du gouvernement à faire face à ses responsabilités en présentant une vraie vision, souple, adaptable et à très long terme de sa politique climatique et de sa vision du rôle du nucléaire. Comment le peut-il alors que ses ministres de l’environnement successifs sont tous des opposants dogmatiques et résolus à une électricité nucléaire dont les performances environnementales, et climatiques en particulier, sont remarquables. Faudra-t-il vendre à bas prix cet Uappauvri aux chinois ou aux indiens pour éviter le coût non évalué d’un stockage définitif sous le vocable impropre de déchet ? La France voudra-t-elle, par un agissement à courte vue, poursuivre sa désindustrialisation et affaiblir un peu plus son indépendance énergétique ?
6 - Conclusions : savoir gérer le futur dans l’intérêt des générations à venir.
Il est du devoir du politique de veiller à ce qu’une matière stratégique ne soit pas gaspillée alors qu’elle présente l’avantage considérable d’être nationale et de pouvoir alimenter des centrales électriques pilotables, pratiquement sans émissions de gaz à effet de serre responsables du changement climatique (le CO2 en particulier). Le gouvernement doit s’appuyer sur des instances indépendantes et compétentes, et non céder à des groupes de pression idéologues.
Toute décision concernant ces réserves doit bien sûr prendre en compte les exigences liées à la sûreté, mais il faut rappeler à nouveau qu’il s’agit d’une matière peu radioactive, stable et entreposable sous une forme très sûre, un oxyde. Son volume, par rapport à son potentiel énergétique, est extrêmement faible et la sûreté des entreposages actuels n’est pas remise en cause.
Il est évident que la requalification en déchet de l’Uappauvri serait une faute inexcusable, contraire à tous les principes de bonne gouvernance des ressources d’un état. L’ASN pose une question justifiée, celle de la gestion à très long terme, séculaire, d’un ressource nationale, légèrement radioactive. La réflexion doit porter sur un stockage stratégique de cette ressource énergétique nationale, sous contrôle des génération futures, à leur pleine disposition et selon des critères de sûreté proposés par l’ASN en concertation avec les propriétaires de l’Uappauvri.
C’est à l’Autorité de Sûreté de veiller à ce que ses deux observations sur le potentiel énergétique plurimillénaire de ces matières et leur requalification en matière soient prises en compte, avec un concept de stockage stratégique accessible et aisément réversible.
C’est au gouvernement de ne pas se précipiter, sans évaluation des conséquences potentielles d’une stratégie destructrice, et de veiller à disposer pour se déterminer d’un retour d’expérience incontestable sur sa politique climatique actuelle, très probablement pas avant une cinquantaine d’années.
Alors que des pays représentant plus de la moitié de la population de la planète ont choisi de développer l’énergie nucléaire (Chine, Inde, Russie, USA[10], pays du Moyen-Orient et de l’Est de l’Europe, …), la politique française concernant le nucléaire et son rôle dans la lutte contre le changement climatique est d’autant plus incompréhensible que le CEA et les industriels (EDF, Framatome, Orano) ont un acquis considérable sur le recyclage des matières nucléaires et les réacteurs de quatrième génération[11]. C’est un patrimoine considérable, qui mérite d’être préservé.
Un avis peut être déposé sur ce thème de la requalification d’un combustible du futur en déchet à l’adresse suivante sur le site internet de la consultation :
http://www.consultations-publiques.developpement-durable.gouv.fr/pngmdr-gestion-des-matieres-radioactives-a2202.html
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[1] Il est issu des usines de séparation isotopique de l’uranium (usine d’enrichissement en U 235 de l’uranium naturel pour les centrales actuelles). 96 % de l’uranium initial est conservé sous forme d’uranium appauvri, non utilisable dans les réacteurs actuels mais précieux pour les réacteurs de 4ème génération, les surgénérateurs. Peu radioactif il est entreposé sous forme d’un oxyde très stable, l’U3O8.
[2] Le 1/3 environ de l’235U initial reste dans l’U appauvri. Un deuxième passage dans l’usine d’enrichissement peut en extraire plus de la moitié sans dépense énergétique significative.
[3] https://new.sfen.org/positions/la-gestion-de-luranium-appauvri-et-son-caractere-valorisable/
[4] Le réacteur Superphénix, de 1 200 MW produisait annuellement 8 TWh en consommant 800 kg de 239Pu en transformant en quantité supérieure l’238U en 239Pu : c’est la surgénération.
[5] AIE, Agence Internationale de l’Énergie et GIEC, Groupe d'experts Intergouvernemental sur l'Évolution du Climat.
[6]Site de la concertation : https://www.ecologie.gouv.fr/concertation-PNGMDR
- Dossier de la concertation : https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Dossier%20concertation_Vdefitive.pdf
- Calendrier de la concertation de septembre 2020 à février 2021: https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Calendrier_concertation.pdf
[7] Les deux maîtres d’ouvrage sont la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) du ministère de l’environnement, et l'Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN).
[8] https://www.asn.fr/Informer/Actualites/Avis-sur-la-gestion-des-matieres-radioactives-et-l-evaluation-de-leur-caractere-valorisable
[9] La demi-vie de l’Uranium 238 (temps pour perdre la moitié de sa radioactivité) est de 4,5 milliards d’années : il est donc très peu radioactif.
[10] Aux USA les démocrates comme les républicains ont affirmé l’importance du nucléaire dans leur politique énergétique lors de la campagne présidentielle en cours. On peut noter par ailleurs que le Japon redémarre une partie de son parc nucléaire et indique en attendre 20 % de son électricité en 2030.
[11] La France avait, avec Phénix, Superphénix et le cycle du plutonium acquis une expérience unique sur les réacteurs de 4ème génération