Claude ACKET : Consommation et économies d’énergie, un tour d’horizon
Résumé :
Notre consommation énergétique augmente de plus d’un pour cent par an. Dans la continuité, en tendance, la consommation augmenterait de plus de moitié d’ici 2050.Ce n’est pas ainsi que nous pourrons faire face aux risques à venir de pénuries de pétrole et de gaz et limiter les rejets de gaz carbonique. Il faut non seulement ralentir cette croissance, mais inverser le mouvement.Les économies d’énergie sont indispensables.En examinant les grands postes de consommation, nous voyons que ces économies d’énergie sont possibles à court terme dans le résidentiel-tertiaire et dans les transports à moyen et long termes dans ces mêmes domaines et l’industrie. Dans tous les cas nos comportements individuels sont essentiels. Parmi les grands postes de consommation, l’industrie est celui qui augmente le moins vite (0.8 % / an) grâce à la baisse de l’intensité énergétique très significative depuis les premières crises pétrolières. Des progrès sont encore possibles, avec l’accent mis sur le recyclage, mais à l’unité de production les gains espérés resteront limités et des économies supplémentaires spectaculaires ne peuvent plus être attendues. La mobilité (transports) est le poste en plus forte augmentation (+ 1.4 % /an). Ce poste absorbe 24 % de la consommation totale, mais surtout cumule 40 % des rejets de gaz carbonique. Il faut prendre en compte que la voiture personnelle représente la moitié de cette consommation. Dans la continuité des motorisations actuelles, de l’arrivée de nouvelles technologies, des progrès sont encore possibles pour consommer moins. Mais l’essentiel reposera sur les choix individuels, aussi bien du modèle de véhicule, de la façon de conduire et surtout de la priorité portée aux transports collectifs. Le dernier grand poste l’habitat ( résidentiel et tertiaire ) totalise 46 % de notre consommation avec en premier le chauffage. Les bâtiments anciens et ceux construits jusqu’au milieu des années 1970 étaient mal isolés. Les performances globales, imposées par les réglementations thermiques (RT 2000, 2005) permettent de fortes baisses théoriques des consommations, mais une accélération des programmes de rénovations s’impose. Comme pour la mobilité, nos comportements sont essentiels dans l’ensemble de l’habitat, des économies sont possibles rapidement, par simple discipline. Nos économies se sont développées avec une énergie bon marché dans un contexte de gaspillage énergétique. Ainsi début 1973, le prix du baril de pétrole valait 2 $ (compte tenu de l’inflation l’équivalant actuel ne serait que de 10 $)La première crise du pétrole (1973), avec un baril qui est monté à 32 $, a conduit à quelques années de restriction, avec un ralentissement de l’accroissement de la consommation. Mais avec le retour d’un pétrole bon marché l’effort ne fût guère soutenu longtemps.Les prix du pétrole et du gaz ont récemment recommencé à monter, puisque l’on dépasse les 60 $ le baril. Que sera la suite ? Va t-on se stabiliser quelques dizaines d’années à ce niveau ou plutôt grimper vers 300 et plus d’ici 30 ans en s’approchant de la fin du pétrole ? Mais alors, pétrole et gaz vont-ils être remplacés par le charbon aux réserves plus importantes.Cette utilisation des combustibles fossiles conduit à rejeter dans l’atmosphère plus de gaz carbonique que la nature ne peut en fixer et donc un accroissement de l’effet de serre. Cette hausse va irrémédiablement se poursuivre, mais si nous ne faisons rien, les niveaux atteints vont conduire à des changements climatiques probablement catastrophiques. Pour répondre à ces défis, outre pourvoir au remplacement des combustibles fossiles par des sources non émettrices de gaz à effet de serre (renouvelables et nucléaire), il faut porter les efforts sur les économies d’énergies qui sont indispensables.En examinant les différents postes de consommation, nous essayerons de tirer les principales pistes vers une véritable sobriété énergétique.
Situation globale actuelle
En 2000 les utilisations énergétiques françaises associaient d’une part 450 TWhe de fourniture électrique
(essentiellement à partir du nucléaire et de l’hydraulique) et d’autre part l’équivalent de 127 Mtep (Millions de tonnes équivalent pétrole) en premier le pétrole lui-même, du gaz, du charbon et un peu de renouvelables essentiellement le bois.
Chaque français consomme (comme sensiblement l’Européen moyen) environ l’équivalent de 4 tonnes de pétrole par an, loin derrière l’Américain (8 tep), mais beaucoup plus que la moyenne mondiale (1.6 tep).
La consommation française augmente globalement d’environ 1.2 % / an, avec l’accent porté sur le vecteur électricité avec +2 % / an.
La consommation se répartit comme suit : le logement individuel 32 %, le tertiaire 14 %, l’industrie 23 % l’alimentaire 7% et les transports 24 %.
L’industrie
L’industrie est le poste qui augmente le moins vite (0.8 % / an).
L’industrie fait appel à l’électricité pour 55 %, au gaz pour 20 %, au pétrole pour 15% et au charbon 10 %
L’essentiel de la consommation énergétique 80 %, porte sur l’obtention des matériaux de base et produits intermédiaires, les activités manufacturières ne portant que sur 20 %.
Pour produire 1 tonne d’acier il faut environ 0.5 tep, 1 tonne de papier 0.5 tep, 1 tonne de ciment 0.25 tep. Les productions annuelles de ces produits se chiffrant en Millions de tonnes par an (environ 20 pour l’acier, 20 pour le ciment, 10 pour le papier) la prédominance du poste produits de base s’explique aisément.
Le recyclage est donc essentiel permettant un gain du bilan plus ou moins significatif selon les produits.
A ce jour, le recyclage concerne au voisinage ou en dessous de 50 % des volumes.
Les dépenses énergétiques intervenant directement sur le coût, la concurrence, dans une économie de marché, conduit naturellement à faire des économies dès que le prix de l’énergie devient relativement significatif, ce qui fût le cas lors des crises pétrolières. L’efficacité énergétique s’est donc fortement améliorée entre 1973 et 1990 avec une baisse supérieure à 25 % de l’intensité énergétique.
Entre 1990 et 2000, cette intensité n’a pratiquement plus décru. Tout aurait-il été fait ?
L’augmentation des coûts de l’énergie, constatée aujourd’hui et qui n’est probablement pas terminée, à moyen terme, justifiera des investissements générateurs de performances énergétiques encore améliorées. Des progrès sont encore possibles mais à l’unité de production les gains espérés resteront limités et des économies supplémentaires spectaculaires ne peuvent plus être attendues, hors fort accroissement du recyclage.
L’attention portée à l’effet de serre a conduit les autorités européennes à imposer des baisses des rejets de gaz carbonique par des mécanismes de droits d’émissions qui débouchent sur un marché du gaz carbonique. En Europe, 12 000 sites, qui représentent 40 % des rejets de CO2 sont concernés, dont un peu plus de 1100 en France. Ce système a été retenu à la place d’une taxe éventuelle sur les énergies ou sur les polluants.
A l’heure actuelle, seuls les gros industriels (métallurgie, cimenterie, énergie …) sont limités dans leurs émissions. En France, ceci s’inscrit dans le PNAQ (Plan National d’Affectation des Quotas). au sein de chaque branche industrielle (exemple : Sidérurgie, Ciments, Papiers, Verre…)
La collectivité impose à un site industriel l’obligation de réduire ses émissions par rapport au tendanciel. Soit l’industriel a atteint son objectif annuel, soit, il rachète un permis d’émission à un autre industriel qui dépasse son objectif ou à une collectivité ayant opté pour une énergie renouvelable ou qui remplace une énergie fossile par une énergie renouvelable ou réduit sa consommation. Si une entreprise ne peut respecter ses obligations, des pénalités sont prévues qui se montent à 40 € / tonne de CO² ( soit 150 € / tonne de Carbone) rejetée en supplément. Le système doit être rodé et ne pas bouleverser les données industrielles,
il démarre donc prudemment. Les réductions imposées sur les premières années de la phase lancée, ne portent que sur quelques pour cent, la pénalité n’est qu’à la marge et ne concerne donc qu’une faible part des rejets. Si ceci représente une première incitation à réduire les rejets et doit avoir des effets bénéfiques, on peut espérer que ce n’est que les prémisses d’actions plus fortes.
Les transports
Si les transports représentent 24 % de la consommation énergétique totale, ils se caractérisent surtout comme les champions des rejets de gaz carbonique, puisque leur part représente 40 % du total des rejets.
C’est aussi le poste en plus forte augmentation : +1.4 % / an
Les transports font appel à 50 Mtep auxquels il faut ajouter 10 TWh électrique
Cette consommation se répartit entre la voiture personnelle pour 25 Mtep, les utilitaires pour 8 Mtep, les poids lourds pour 9 Mtep (dont une petite moitié sur de longues distances), l’avion 6 Mtep, le bateau 2.5 Mtep et enfin le train 2.5 Mtep.
La voiture personnelle représente la moitié de cette consommation : il y a 30 millions de voitures en France et en moyenne nous utilisons presque 1 tonne de pétrole par voiture et par an.
Des progrès ont été faits. Pour les voitures neuves sorties d’usine dans la période 1996-2000, la moyenne de consommation correspondait à des rejets de 205 g de CO²/km pour l’essence et 200 pour le diesel.
Dès 1998 des modèles représentatifs de la moyenne essence sortaient avec des rejets de 160 et en diesel de 140 ( dans les 2 cas avec l’injection directe).
L’objectif des constructeurs pour 2005 était de 140 pour l’essence et de 120 pour le diesel.
Les progrès sont importants, mais la durée de vie moyenne d’une voiture étant de 15 ans, le retour gain global ne sera pas instantané, surtout si l’utilisation continue de croître ainsi que la tendance au choix de modèles plus puissants, deux effets néfastes à corriger.
Dans la continuité des motorisations actuelles des progrès sont encore possibles pour consommer moins, avec l’injection directe à haute pression, la distribution variable, la réduction de cylindrée avec augmentation de la puissance spécifique (downsizing).
De nouvelles technologies sont mises en avant comme l’hybride (moteurs thermique et électrique).
Cette dernière voie devrait se renforcer avec l’hybride rechargeable sur le réseau. En association avec plus de batteries que les hybrides actuels, ceci pourrait répondre sur électricité seule déjà aux besoins moyens journaliers moyens (40 km), ou aller un peu au delà par exemple de l’ordre de 100 km. C’est ainsi une grande part de l’énergie mobilité, qui pourrait ne plus dépendre du pétrole.
Il faudra aussi compter sur le 100 % électrique et sur les biocarburants pour la réduction des rejets de CO².
Ne rêvons pas trop de l’hydrogène à moyen terme qui n’est qu’un vecteur d’énergie et qui impose pour être produit d’autres sources.
Mais le comportement individuel et le mode de conduite de chacun est essentiel.
Par exemple retenons que sur autoroute le passage de 130 à 100 km/h économise 40%, de même qu’en ville la conduite nerveuse, agressive consomme + 40 %
Mais tout ceci ne vaut pas le transport collectif et retenons qu’un transport TGV consomme par passager 5 fois moins que l’avion moyen courrier et 4 fois moins que la voiture.
Pensons-y dans tous nos déplacements bien sur en France mais aussi en Europe et il faudrait limiter nos vacances exotiques à l’autre bout du monde.
Quant aux poids lourds tant incriminés, ils ne représentent que 1/6 des consommations transports, dont une partie seulement sur de longues distances pourrait être transférée vers le rail. C’est peu, mais aucun poste ne peut être négligé et d’autres motifs environnementaux poussent aussi à favoriser ce transfert.
Logements, résidentiel et tertiaire
Il est commode de regrouper en un seul thème, le résidentiel et le tertiaire car la problématique est la même. Ensemble, ils représentent 43 % de nos consommations, avec en numéro un les postes chauffage et eau chaude-sanitaire qui en constituent 72 %.
Les sources se répartissent en électricité 290 TWhe, les combustibles fossiles 39 Mtep ( gaz 21, pétrole 17, charbon 1) les renouvelables 10 Mtep (essentiellement le bois).
Les bâtiments anciens et ceux construits jusqu’au milieu des années 1970 étaient mal isolés.
Depuis de grands progrès ont été faits en particulier avec le lancement du chauffage électrique qui, pour limiter les dépenses d’exploitation, ne se concevait qu’avec une bonne isolation.
Cette bonne isolation s’est heureusement depuis étendue à tous les modes de chauffage.
Les données de consommation chauffage sont très variables, selon la date de construction, les règles suivies et aussi l’énergie utilisée, sans compter ce qui est tout aussi important le mode de vie.
La moyenne des consommations des appartements récents est de 8000 kWh, la même en appartements anciens (constructions de la décennie 1960) est de 12.000 kWh.La moyenne des consommations des maisons récentes est de 16.000 kWh alors qu’elle atteint 22.000 kWh pour les anciennes.
Les progrès se sont généralisés à toute construction par l’application des règlements thermiques ( RT 2000, RT 2005) qui imposent des performances globales et des spécifications particulières, dont des performances mini des composants ( isolants, ventilation, matériaux…)
Les performances globales théoriques, qui pouvaient dépasser 320 kWh/m²/an dans l’ancien deviennent 100kWh/m²/an dans RT 2000, de 80 kWh/m²/an dans RT 2005.
De ceci on ne peut toutefois déduire que l’on va gagner un facteur 3 du seul fait des nouvelles normes de constructions neuves et aussi appliquées décalées à la réhabilitation. En effet du fait du coût chauffage et aussi par tradition les habitants de logements anciens limitaient le nombre de pièces chauffées et les températures. Le fait de passer dans un logement mieux isolé en améliorant leur sensation de confort va les conduire à adopter un mode de vie moins contraignant avec températures plus uniformes.
Pour illustrer l’importance de l’isolation on peut citer les fenêtres dont les performances thermiques passent de 5 W/cm² pour la fenêtre simple, à 3.5 W/cm² pour le double vitrage et à 2 W/cm² pour l’isolation renforcée ( double + film par exemple)
La seule rénovation de toutes les fenêtres représenterait un gain potentiel de 7.5 Mtep / an
Ces règlements thermiques, appliqués pour le neuf, vont s’étendre aux rénovations, mais il faut être conscient qu’au rythme actuel il faudrait entre 50 et 100 ans pour tout remettre en conformité et donc s’imposerait une accélération des programmes de rénovations.
La consommation d’eau chaude sanitaire varie selon le type de chaudière, en moyenne de 3.000 kWh pour le chauffage électrique, elle avoisine 4.500 kWh pour le gaz.
Pour ce poste, indépendamment du rendement chaudière, le comportement personnel est essentiel avec le choix bain ou douche
Les utilisations spécifiques de l’électricité représentent par ménage un peu moins de 2.500 kWh /an
Les ordres de grandeur sont : l’éclairage 500 kWh/an, le froid 500 kWh/an, le lave linge 400 kWh/an, le lave vaisselle 400 kWh/an, les produits bruns ( télé, ordinateurs…) 400 KWh/an.
Aucun poste n’est prépondérant puisque chacun représente moins de 0.5 % de la consommation énergétique globale, mais rien ne doit être négligé.
Le matériel électroménager, renouvelé sur une dizaine d’années sera de moins en moins consommateur d’énergie, mais les équipements se multiplient et certaines utilisations sont discutables si trop poussées
(exemple : sèche linge)
Les appareils désignés « produits bruns » ( télévisions, ordinateurs…) se multiplient fortement. On les trouve en service simultanément dans plusieurs pièces parfois sans spectateur ou utilisateur. En veille, ils continuent de consommer un peu mais celle ci peut être laissée en permanence (environ la moitié de la consommation passe par ces veilles confortables certes, mais pas nécessairement indispensables en continu).
Pour réduire les consommations outre les normes chauffage, déjà citées, on retiendra l’importance donnée à l’information. Il faut rappeler l’affichage de la grille des performances énergétiques de certains appareils électroménagers ( G à A, flèches rouge à verte) appliqué depuis de nombreuses années qui a eu un impact certain dans les choix des consommateurs, au point de supprimer la vente des moins économes.
Ceci va s’étendre avec :
les certificats de performance énergétique des logements à l’achat et à la location qui donnent les énergies effectivement consommées ou estimées
la promotion des économies d’énergie par les entreprises vendant de l’énergie ou des services énergétiques
la réaffirmation rôle des collectivités locales pour sensibiliser, informer sur les enjeux de la maîtrise de l’énergie et inciter à des nouveaux comportements et aussi l’exemple
l’affichage du coût complet (achat et consommation d’énergie) en Euros, pour les biens mis en vente.
Comme pour la mobilité, nos comportements sont essentiels dans l’ensemble de l’habitat et retenons que
1° C de température dans un logement représente 7 % de consommation (alors que la moyenne actuelle des températures approche, trop souvent, les 23 ° C), qu’une douche au lieu d’un bain c’est diviser par 5 à 10 la consommation d’eau chaude.
Les exemples sont multiples. Ces économies sont possibles rapidement, par simple discipline.
Leur impact, souvent positif pour la santé, sera vite significatif sur le porte-monnaie du consommateur.
Un bilan global, perspectives 2050
Quel que soit le poste, les constantes de temps sont longues et les changements importants s‘étaleront sur plusieurs décennies, la consommation va continuer de croître avant de s’infléchir puis espérons de descendre.
Dans les diagrammes suivants nous indiquons quelle pourrait être la situation en 2050, année repère avec l’objectif de réduction des rejets de gaz carbonique d’un facteur 4.
Pour chaque grand poste de consommation, nous pouvons voir à partir de la situation actuelle,
l’accroissement tendanciel (dans la continuité des accroissements actuels)
un remontage sobre et possible de consommation en 2050 avec les sources associées.
Par rapport au tendanciel l’effort global de - 45 %, se répartit différemment selon les postes :
- Logement : - 55 %
- Mobilité : - 40 %
- Industrie : - 28 %
Cet effort global France serait plus important au niveau individuel, si on considère que la population devrait continuer de croître ( passage de 60 millions en 2000 à entre 68 et 74 en 2050)
Economies d’énergie, appel aux renouvelables thermiques et à l’électricité nucléaire et renouvelable permettraient ainsi de répondre à la division par 4 des rejets de gaz carbonique.
En conclusion
Les économies d’énergie sont nécessaires, du fait des pénuries à venir de pétrole et gaz ainsi que de la nécessité de réduire nos rejets de gaz carbonique, pour limiter l’accroissement de l’effet de serre, en ne retournant pas au charbon.
Les économies d’énergie sont possibles, à court terme dans le résidentiel- tertiaire et dans les transports à moyen et long termes dans ces mêmes domaines et l’industrie.
Dans tous les cas, nos comportements individuels et l’acceptation de quelques changements dans nos modes de vie sont essentiels.