Conseil Européen de l’Énergie : rien d’« historique »

André Ferron (Confrontations Europe)

 

Conseil Européen de l’Énergie : rien d’« historique »

André FERRON, Chargé de mission, Confrontations Europe

 

Le Conseil européen du 4 février s’annonçait comme étant « historique ». Pour la première fois un Sommet allait se consacrer non pas seulement à la « grande politique » mais à deux sujets concrets, l’innovation et surtout l’énergie. L’énergie est devenue un des principaux moteurs politiques de l’intégration européenne, elle doit être traitée au plus haut niveau. Hélas, la montagne a accouché d’une souris, il en reste à son rôle traditionnel, feu vert, feu rouge, orientations et principes avec quelques inflexions(1). Ce 4 février ne sera donc pas « historique » ni pour les Sommets ni pour l’énergie. L’« historique » pourrait bien être ailleurs, dans la naissance du « gouvernement économique » de la zone euro qui pourrait bien avoir des retombées pour la politique énergétique.

 

Achever le marché européen de l’énergie

Le marché intérieur de l’énergie, toujours poursuivi mais jamais atteint, est à nouveau la priorité. Alors que le Conseil de Barcelone de 2002 fixait déjà un objectif de 10 % d’échanges intracommunautaires d’électricité, nous n’en sommes encore qu’à 3 %. Pour le Conseil du 4 mars, « le Marché intérieur devrait être achevé en 2014 » et « aucun État membre ne devrait plus être isolé des réseaux européens du gaz et de l’électricité après 2015 ». Le conditionnel est employé même si des arguments sérieux existent pour qu’un pas décisif soit franchi avec le troisième Paquet et surtout le Paquet Infrastructures (cf. encadré) qui s’attaque enfin sérieusement au problème récurrent des grands réseaux. Mais on peut s’interroger sur l’ambition qui consiste à mettre en œuvre pour 2014 des directives et règlements adoptés en 2009 à transposer au 3 mars 2011. Et même si ce Paquet était appliqué rigoureusement dans les délais, croit-on vraiment qu’il achèverait le travail ? Certains pensent qu’il faudra un quatrième Paquet marché(2) et on sous-estime le choc social et politique que constituerait un marché intérieur réellement intégré haussant les prix pour les ménages et les marges pour les opérateurs ici, les faisant baisser au-delà de la frontière, plongeant dans la concurrence les champions nationaux et confrontant les politiques nationales divergentes de choix des mix énergétiques. Le Conseil affirme vouloir accorder « une attention particulière aux consommateurs, notamment les plus vulnérables d’entre eux » et la Commission précise : une économie de 100 euros par an avec la nouvelle concurrence. Mais on oublie de dire qu’il faudra payer les réseaux, que les nouvelles énergies renouvelables vont hausser les factures, et que le nucléaire qui peut les faire baisser est interdit de concurrence par quatorze États sur vingt-sept ! Économiser 100 euros après une hausse de 1 000 ou limiter la hausse à 500 avec une concurrence partout de toutes les sources ?

 

Renforcement de l’efficacité énergétique

L’Union s’est fixée pour objectif d’améliorer l’efficacité énergétique de 20 % en 2020. Cet objectif européen « indicatif » a été décliné en Plans nationaux. Après les avoir examinés, la Commission a conclu que l’objectif ne serait pas atteint en 2020. Elle proposait donc de corriger le tir. Le Conseil s’est contenté d’un feu vert de principe, le seul geste opérationnel consistant à accepter que les appels d’offres pour les bâtiments et services publics imposent des critères rigoureux d’efficacité énergétique dès le 1er janvier 2012. Dans le débat sur le besoin de rendre l’objectif contraignant – que le Parlement a fait sien – il ne se prononce pas clairement, se contentant d’accepter un nouveau bilan d’étape en 2013 « qui pourrait considérer de nouvelles mesures si nécessaires ». Ce nouveau Plan d’action a été dévoilé par la Commission le 8 mars, il ne tourne pas autour du pot : « s’il s’avère (en 2013) que l’objectif global de l’UE risque de ne pas être atteint, la Commission proposera des objectifs juridiquement contraignants ».

 

Meilleure coordination de la politique énergétique extérieure

À part les principes généraux qui ne posent de problèmes que lorsqu’ils deviennent concrets (les gazoducs) et que le Conseil a entérinés, l’ambition autrement plus élevée était de « progresser sur la voie d’une interface européenne unique pour négocier les accords d’achat avec les pays producteurs ». Et là le débat promis n’a pas eu lieu. Le Conseil n’évoque que « le besoin d’une meilleure coordination » et invite la Commission à présenter en juin 2011 sa communication sur le sujet. Seul « geste », « il invite les États membres à informer la Commission de leurs accords bilatéraux avec les pays tiers dans l’énergie, nouveaux ou anciens à partir du 1er janvier 2012 ». La Commission va apprécier, elle qui apprenait ces accords par la presse, mais cette hirondelle annonce-t-elle le printemps ? Rien n’est moins sûr !

 

Tour de chauffe pour l’après-2020

Ces sujets prioritaires traités, on attendait le Conseil sur les choix nationaux des mix énergétiques et des objectifs communs pour l’après 2020. La Commission tâtait le terrain sur une harmonisation plus poussée des systèmes nationaux d’aide publique aux renouvelables, sujet qui fâche l’Allemagne et son club, elle a été renvoyée à ses chères études. France et République tchèque cherchaient la promotion européenne non pas seulement des renouvelables mais de toutes les technologies bas carbone « sûres et durables », ils ont rencontré un certain succès. Pologne et France voulaient mentionner les « gaz et huiles de schistes », ils ont obtenu un inventaire du « potentiel européen d’extraction et d’utilisation durable des ressources fossiles conventionnelles ou non conventionnelles ». Ce ne sont que des escarmouches par rapport au débat qui devrait bientôt s’ouvrir pour l’après-2020 avec la feuille de route 2050 annoncée. Une seule chose est sûre : l’objectif européen de réduction des émissions a été fixé à 80 %-95 % en 2050 par rapport à 1990. Cela va-t-il s’accompagner, comme pour 2020, de deux objectifs supplémentaires pour les renouvelables et l’efficacité énergétique, ou va-t-on se contenter du seul objectif climatique indispensable en laissant jouer un « level playing field » de toutes les énergies bas carbone ? L’Allemagne a tiré la première avec son « Energiekonzept 2050 » de l’automne 2010, qui affiche un objectif de 80 % d’électricité renouvelable. On attend la réponse des autres !

 

André FERRON, Chargé de mission, Confrontations Europe

 

(1) Cet article a bénéficié de la réunion du groupe de travail Énergie-Climat de Confrontations Europe sur le sujet avec les auditions de Patrick Guillot d’Edf et de Long Lu de l’AfG.

(2) Cf. Jacques Pelkmans, Lionel Kapff : « Interconnector Investment for a well-functionning Internal Market. What regime of regulatory incentives? » Bruges European Economic Research Papers n° 18.

 

Marché-Réseau

Le troisième Paquet Marché permet de progresser vers l’intégration en créant l’Agence pour la Coopération des Régulateurs de l’Énergie et le Réseau Européen des Gestionnaires de Réseaux de Transport. Ces organismes de coopération ont des missions précises : « codes de réseau », règles communes de couplage de réseaux, Plan à dix ans de développement des réseaux au niveau européen. Se posent aussi les questions de règles plus ou moins harmonisées de tarification de l’accès à ces réseaux, celles de « gestion de la congestion » sur les interconnexions transfrontalières et en fin de compte la question centrale des « modèles de marché » impactant en particulier les Bourses et les mécanismes de formation des prix. Ces modèles ne sont pas neutres par rapport aux mix dans l’électricité, pour le gaz ressurgit la vieille question d’une concurrence « gaz-gaz » coupant le lien avec les prix du pétrole du modèle actuel où les contrats à long terme jouent un rôle pivot.

Depuis 2006 ces travaux sont menés dans des « Initiatives Régionales » (sept pour l’électricité et trois pour le gaz), la convergence européenne des règles de chaque région n’est pas acquise a priori. Tout ce travail aux apparences souvent techniques est pourtant déterminant et pourtant il relève de la « comitologie » (l’équivalent des décrets d’application des lois), la partie immergée de l’iceberg démocratique qui peut révéler bien des surprises.

Le Paquet dit « infrastructures » de novembre 2010 propose des « Priorités en matière d’infrastructures énergétiques pour 2020 et au-delà » et un « Schéma directeur pour un réseau énergétique européen intégré ». Il s’agit de connecter tout le monde (en particulier l’Est) et de moderniser les réseaux (intelligents, avec stockage...) pour atteindre les objectifs 2020 en réduisant les coûts en les partageant. Sur les 200 milliards d’euros d’investissement dans le transport, 100 seraient financés par les usagers et 100 correspondants aux projets d’intérêt européen, souvent transfrontaliers, à l’aide d’instruments publics européens (1). Une question centrale est de définir l’intérêt européen(2). La Commission propose huit priorités. Les projets concrets devront s’inscrire dans ces priorités et suivre une liste de critères encore à préciser. A. F.

(1) Dont les « project bonds ».

(2) Une autre étant celle des autorisations et procédures de consultation des riverains.


 

Le Conseil des 24 et 25 mars face à la catastrophe nucléaire de Fukushima

Le drame que vit le Japon a entraîné des réactions nationales fortes face aux inquiétudes des populations sur la sûreté des centrales européennes et une relance du débat sur les perspectives énergétiques européennes. Le Conseil a réussi à se mettre d’accord sur une réponse commune pour la sûreté quant aux perspectives pour l’après-2020, le débat est relancé.

Toutes les installations nucléaires de l’Union vont faire l’objet d’une « évaluation globale et transparente des risques et de la sûreté ». Les critères « à la lumière des enseignements tirés de l’accident » et les modalités de ces « stress tests » doivent être approuvés d’ici juin 2011. Les évaluations « menées par les autorités nationales indépendantes », effectuées dans le deuxième semestre seront rendues publiques et le Conseil en « évaluera les premières conclusions à la fin de 2011 sur la base d’un rapport de la Commission ». L’Union demandera que des tests « similaires » soient étendus aux pays voisins « ainsi que dans le monde entier ».

Cette action commune va impacter la directive sûreté adoptée en juin 2009 qui doit entrer en vigueur en juillet 2011. Elle va permettre d’anticiper sa révision prévue en 2014 et peut, en particulier, y faire progresser la question irrésolue des normes de sûreté communes.     

A. F.

  • Assemblée Générale Ordinaire des Adhérents de Sauvons Le Climat
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