Dire la Vérité à Barack Obama – Toute la Vérité

james Hansen
 

James Hansen : Dire la Vérité à Barack Obama ; Toute la Vérité - 28 décembre 2008

 

Les braises de l'allégresse de la nuit de cette élection présidentielle brilleront bien plus longtemps que pour les élections antérieures. Elles  brilleront jusque dans d'autres nations, et pour de bonnes raisons. Nos destins sont tous liés, plus que jamais, que cela nous plaise ou non.

Les mots mesurés de Barack Obama au soir de l'élection, y compris la reconnaissance éloquente du progrès historique – tel qu'une dame âgée de 106 ans peut le percevoir, attisent encore les braises. Mais il se concentrait déjà sur les tâches à venir, sans excès de célébration.

Il y a de quoi. Le défi qu'il doit relever est sans précèdent. Je ne parle pas du marasme économique, aussi menaçant soit-il. Le gâchis humain dû aux erreurs et aux excès peut s'avérer de taille, mais les récessions, et même les dépressions économiques viennent et puis s'en vont.

C'est notre planète elle-même qui est maintenant en péril. Et pas seulement la Terre, mais toutes les espèces qu'elle héberge, y compris l'humanité. Il ne s'agit pas de se tordre les mains de désespoir, mais bien plutôt d'agir en connaissance de cause.

Ce qui nourrit l'optimisme, c'est l'attente que ce soient la raison et les faits qui guident les décisions, et non l'idéologie. Le danger, c'est que des intérêts particuliers diluent et dévient la ligne de conduite du gouvernement, amenant le climat à dépasser des points de bascule, avec de graves conséquences pour toute forme de vie sur la planète.

Le Président-élu lui-même doit être bien renseigné sur le problème du climat et son rapport avec les besoins énergétiques et les choix de politique économique. Il ne peut pas s’attendre à ce que des systèmes politiques lui apportent les solutions -les systèmes politiques offrent trop de belles aubaines aux intérêts particuliers.

Voici un message dont je pense qu’il devrait être remis à Barack Obama. Les critiques sont les bienvenues.

La menace climatique.La température mondiale a augmenté d’environ 0,5 °C au cours des dernières décennies, et à peu près 1°C sur les continents. Le réchauffement se poursuivra du fait des gaz qui sont déjà dans l'air (du fait de l'inertie du système climatique) et des émissions liées aux combustibles fossiles que nous brûlerons inévitablement (du fait de l'inertie du système énergétique).

Bien que le réchauffement global soit, à ce jour, inférieur aux fluctuations météorologiques quotidiennes, il a amené la température globale à une valeur proche de son plus haut niveau de l'Holocène –les derniers 10 000 ans, période durant laquelle la civilisation s'est développée. Parmi les effets déjà évidents :

1.               Les glaciers de montagne reculent dans le monde entier, et auront disparu d’ici 50 ans si les émissions de CO2 continuent à augmenter. Ceci menace l'alimentation en eau douce pour des milliards d’individus, du fait que les rivières descendant des Himalayas, des Andes et des Montagnes Rocheuses commenceront à s'assécher durant l'été et l'automne.

2.               Les récifs coralliens, qui hébergent le quart des espèces vivantes de l'océan, pourraient être détruits par la montée des températures et l'acidification de l'océan, dû à l'augmentation en CO2.

3.               Les régions subtropicales s'étendent vers les pôles avec le réchauffement, affectant le sud des Etats-Unis, les pays méditerranéens, et l'Australie, avec une augmentation des sécheresses et des incendies.

4.               La banquise arctique disparaîtra entièrement durant l'été si le CO2 continue à augmenter, avec des effets dévastateurs sur la faune et les peuples autochtones.

5.               L'intensité des événements hydrologiques extrêmes, comme les pluies torrentielles, les tempêtes et les inondations, mais aussi les épisodes de sécheresse et les incendies, va en augmentant.

Il se trouve des gens pour dire que nous devons apprendre à vivre avec ces effets, parce qu’il serait de notre destin de brûler tous les combustibles fossiles. Mais nous comprenons maintenant, à partir de l'histoire de la Terre, qu'il y aurait deux conséquences monstrueuses à relâcher le CO2 de tout le pétrole, le gaz et le charbon disponibles, conséquences d'une énormité inacceptable.

Un effet serait l'extermination d'une grosse proportion des espèces vivant sur la planète. L’autre est le démarrage de la désintégration des calottes glaciaires et la montée des océans, hors contrôle possible par l'humanité, ce qui au final engloutirait des villes côtière et des sites historiques, créerait le chaos, des réfugiés par centaines de millions, et appauvrirait des nations entières.

L'extermination des espèces et la désintégration des calottes glaciaires sont deux processus 'non-linéaires' avec des 'points de bascule'. Si le processus va trop loin, des rétroactions positives l’amplifient et poussent la dynamique du système à se poursuivre en l’absence de tout forçage anthropique. Par exemple, les espèces sont interdépendantes – si on en élimine un nombre suffisant, les écosystèmes s'effondrent. Pour ce qui est du système physique du climat, les boucles d'amplification causent, entre autres, une plus grande absorption de l’énergie solaire au fur et à mesure que  les zones glaciaires sur mer et sur terre reculent, ainsi qu’un relâchement de méthane, puissant gaz à effet de serre, lié à la fonte du pergélisol.

L'histoire de la Terre fournit des exemples de tels effondrements non-linéaires. Au final, au terme de dizaines et de centaines de milliers d'années, de nouvelles espèces se développent, et les calottes glaciaires reviennent. Mais nous laisserons une planète ravagée et appauvrie pour toutes les générations de l'humanité que nous pouvons imaginer, si nous sommes suffisamment insensés pour laisser le réchauffement dépasser ces points de bascule du climat.

Urgence.Les découvertes récentes prouvent que la situation est plus grave que ce à quoi s'attendaient même ceux qui étaient le plus familiers de ces questions. Ces découvertes s’appuient sur une meilleure connaissance de l'histoire de la Terre -comment le climat a répondu a des changements de la composition de l'atmosphère dans le passé-, et sur des observations sur la manière dont la Terre répond actuellement aux changements dans l'atmosphère causés par l'homme.

La conclusion – a priori surprenante, mais rétrospectivement évidente – est que l'augmentation de la teneur en dioxyde de carbone (CO2) causée par l'homme, depuis les 280 parties par million (ppm) de l'époque pré-industrielle jusqu'aux 385 ppm actuels, a déjà poussé la concentration en CO2 dans la zone dangereuse. Il va falloir prendre des mesures pour faire redescendre le CO2 à 350 ppm au plus, et même probablement moins, si nous devons éviter des contraintes désastreuses sur les espèces qui nous entourent et une forte montée du niveau de la mer.

La bonne nouvelle est que c’est encore possible, si nous agissons rapidement. Agir à temps fera plus que prévenir des extinctions irréversibles et une désintégration des calottes glaciaires : cela permettra d’éviter, voire d’inverser des phénomènes qui avaient commencé à paraître inévitables, comme la perte de la banquise arctique, l'acidification des océans, l'expansion des zones subtropicales, et une intensité accrue des sécheresses, inondations et tempêtes.

Principale implication.Le CO2 n'est pas le seul gaz produit par l'homme qui contribue au réchauffement planétaire, mais c'est le gaz dominant, avec une durée de vie qui écrase celle des autre gaz principaux. Une bonne partie du CO2 émis par la combustion des combustibles fossiles restera dans l'air plus de 1000 ans. Ainsi, le CO2 doit être au centre des efforts pour  enrayer le réchauffement climatique provoqué par l'homme.

    Il serait trop simple de conclure que la solution au réchauffement planétaire est de réduire notre consommation de combustibles fossiles d'un pourcentage donné. Cette approche ne peut pas être une stratégie qui marche. Cette conclusion, mais aussi la base logique d'une meilleure stratégie, découlent immédiatement des contraintes imposées par la géophysique.

La  Figure 1a montre les réserves de pétrole, de gaz et de charbon, la partie violette étant la quantité déjà brûlée et émise dans l'atmosphère. Même avec les incertitudes sur le volume des réserves qui restent a découvrir, les quantités sont certainement suffisantes pour pousser le CO2 atmosphérique au dessus des 500 ppm. Un tel niveau serait désastreux car il garantirait une déstabilisation des calottes glaciaires, une élévation incontrôlable du niveau des mers, l'extinction d'une grosse proportion des espèces vivantes sur Terre, et une aggravation des impacts du climat exposés ci-dessus.

Le pétrole est pour l'essentiel utilisé dans les transports, et il est peu réaliste de capturer le CO2 à la sortie d'un tuyau d'échappement. Les vastes réserves de pétrole qui demeurent dans l'écorce terrestre sont réparties entre un grand nombre de pays. Les Etats-Unis, qui disposaient de vastes réserves, ont déjà épuisé leur plus grands sites exploitables. Ce fait étant acquis, il est irréaliste de penser que la Russie et le Moyen-Orient décideront de laisser leur pétrole dans leur sous-sol.

Imposer un plafond au carbone afin de ralentir les émissions de CO2 n'est d'aucun secours, du fait de la longue durée de vie du CO2 dans l'atmosphère. En fait, ce plafonnement aggrave le problème s'il permet aux émissions dues au charbon de perdurer. [Ce risque est réel : partout dans le monde, des hommes politiques édictent des limites à atteindre pour réduire le taux d’émissions de CO2, tout en construisant des centrales à charbon !]

La seule solution est de faire en sorte qu'une (grosse) proportion des réserves en combustibles fossiles soit laissée dans le sous-sol, ou utilisée d'une manière qui permette de capter le CO2 et de le séquestrer sans danger.

Figure 1  (a) Emissions de CO2 dues aux combustibles fossiles et à l’utilisation nette du sol - déjà réalisées (violet) et émissions potentielles (bleu clair). Les estimations de réserves fossiles diffèrent selon leur origine [AIE, GIEC, WEC]. (b) CO2 dans l’atmosphère si les émissions de CO2 dues au charbon sont annulées suivant une progression linéaire entre 2010 et 2030 ; calculs en utilisant pour modèle du cycle de carbone la version de Berne.

Le charbon est la cible évidente. La Figure 1b montre qu’avec la mise en place rapide d’un moratoire sur la construction de nouvelles centrales électriques au charbon associé à un arrêt progressif des centrales existantes sur la période 2010-2030, le CO2 atmosphérique atteindrait un pic de 400 à 425 ppm au cours des deux prochaines décennies. La valeur du pic dépend de laquelle des estimations des réserves est la plus juste. Elle dépend également de la décision à prendre concernant le pétrole dans les environnements extrêmes : l’extraire ou le laisser dans le sol et, ainsi, de la taxe carbone (voir ci-dessous).

Ce scénario d’élimination progressive du charbon porte en lui la possibilité de stabiliser le climat. Le dépassement du niveau de sécurité pour le CO2 atmosphérique est encore suffisamment faible pour que l’amélioration des pratiques agricoles et forestières (incluant le reforestation de terres marginales) puisse ramener le niveau de CO2 en dessous de 350ppm peut-être vers 2050. Mais, si la construction de nouvelles centrales électriques au charbon continue pendant encore une décennie il deviendra difficile de concevoir un moyen réaliste et simple de ramener le niveau de CO2 atmosphérique en dessous de 350ppm.

Panorama des politiques possibles.L’impératif de mettre fin à court-terme aux émissions de CO2 liées au charbon (mais pas nécessairement à l’usage du charbon) exige des avancées fondamentales dans les technologies de l’énergie. De telles avancées seraient nécessaires de toute façon puisque les réserves de combustibles fossiles (charbon, gaz, pétrole) s’amenuisent, mais la crise climatique exige qu’elles soient réalisées rapidement. Heureusement, les mesures destinées à résoudre le problème du climat peuvent être conçues de manière à, du même coup, améliorer la sécurité de l’approvisionnement énergétique et rétablir le bien-être économique.

Un atelier organisé à Washington le 3 Novembre 2008 (ndt. : congrès de la EES) a identifié des options possibles (les présentations sont disponibles sur le site : http://www.mediafire.com/nov3workshop). L’atelier s’est concentré sur l’énergie électrique, car c’est là surtout qu’est utilisé le charbon. De plus l’électricité est de plus en plus le vecteur énergétique de choix, car elle est propre, très demandée dans les pays en développement et qu’elle peut remplacer au moins partiellement le pétrole dans les transports.

Les sujets abordés au cours de l’atelier furent par ordre de priorité : (1) l’efficacité énergétique, (2) les énergies renouvelables, (3) les améliorations du réseau électrique, (4) l’énergie nucléaire, (5) le captage et la séquestration du carbone.

Des progrès dans l’efficacité énergétique pourraient rendre inutile une augmentation de la production électrique pour l’ensemble du pays durant les prochaines décennies, voire permettre l’arrêt de quelques centrales au charbon. La réalisation de ce potentiel d’efficacité énergétique exige à la fois une réglementation et une taxe carbone. Des normes de construction nationales sont nécessaires, ainsi que des normes plus exigeantes  pour les appareils, surtout électroniques sur lesquels les mises en veille occasionnent un grand gaspillage d’énergie. Les incitations économiques pour les  fournisseurs d’énergie doivent changer radicalement, de façon à ce que leurs profits augmentent avec l’énergie économisée et non pas en proportion de la quantité d’énergie vendue.

Les énergies renouvelables progressent dans la compétition économique face aux combustibles fossiles, mais en l’absence de politiques éclairées, le danger existe que la baisse des prix des combustibles fossiles et la poursuite des subventions aux combustibles fossiles puissent conduire à un retour en arrière. La voie la plus efficace pour soutenir les énergies renouvelables dans cette compétition est la taxe carbone (voir ci-dessous).

Le réseau électrique national peut être rendu plus fiable et plus « intelligent », de multiples façons. Il faudra en priorité construire un réseau avec peu de déperditions, qui transporte le courant de régions à fort potentiel en énergies renouvelables vers les autres parties du pays afin que les énergies renouvelables puissent remplacer le charbon.

L’efficacité énergétique, les énergies renouvelables et un réseau électrique plus performant doivent être nos priorités et on peut espérer qu’ils suffiront à tous nos besoins en électricité. Cependant, la plus grande menace pour la planète réside dans un possible écart entre cette attente (une énergie à 100 % « douce ») et la réalité, cet écart étant comblé par une utilisation continuée de centrales électriques au charbon.

Par conséquent, nous devrions entreprendre de façon urgente des programmes de R et D axés tout à la fois sur la prochaine génération de centrales nucléaires et sur le captage  et la séquestration du CO2. Pour une conduite la plus efficace et la plus rapide de ces programmes, elle devrait se faire en étroite coopération avec la Chine et/ou l’Inde et d’autres pays.

Dotée des priorités et de ressources convenables la solution nucléaire de 4ième génération, sûre et produisant peu de déchets, pourrait être disponible en une décennie environ. Si dans cet intervalle de temps, le vent, le soleil, les autres renouvelables et une amélioration du réseau montrent qu’ils sont capables de couvrir tous nos besoins en électricité, il n’y aura aucune raison de construire des centrales nucléaires aux Etats-Unis. De nombreux experts en énergie estiment qu’un scénario ne comportant que des énergies renouvelables, à l’horizon où les émissions de CO2 liées au charbon doivent être arrêtées, est irréaliste, mais il n’est pas nécessaire de débattre de cette question.

Ainsi, il serait dangereux d’agir en vertu du seul présupposé que nous aurons bientôt une électricité produite entièrement au moyen d’énergies renouvelables. De même, il serait déplacé de vouloir imposer une telle option à la Chine et l’Inde. Ces deux pays prévoient de grosses augmentations de leurs besoins énergétiques ; ces deux pays ont des atmosphères très polluées, essentiellement à cause d’un usage excessif du charbon ; et ces deux pays sont destinés à souffrir démesurément si le changement climatique devait se poursuivre.

Le monde entier aurait à gagner si la Chine et l’ Inde disposaient de solutions pour réduire leurs émissions de CO2 et leur pollution atmosphérique. Les émissions de mercure de leurs centrales au charbon, par exemple, sont en train de polluer l’atmosphère global et les océans et de porter atteinte à la sécurité des aliments, en particulier le poisson, à un niveau quasiment planétaire. Et il y a peu d’espoir de stabiliser le climat si la Chine et l’ Inde n’ont pas d’options énergétiques peu ou pas émettrices de CO2.

Nous devrons également poursuivre la R et D sur le captage et la séquestration du carbone. La encore, cela pourrait être fait de façon plus rapide et plus efficace par une coopération avec la Chine et l’Inde. Notons que, même s’il est décidé que le charbon peut être laissé dans le sous-sol, le captage et la séquestration du carbone relâché par d’autres combustibles peuvent rester nécessaire pour réduire le CO2 atmosphérique. Une voie efficace pour réaliser cela serait de brûler de la biomasse dans les centrales électriques et de capter le CO2. Cela pourrait être fait avec de la biomasse issue des déchets agricoles et urbains ou cultivée sur des terres dégradées en utilisant peu ou pas de combustibles fossiles.

Les antinucléaires et les opposants au captage du carbone ne doivent pas avoir la possibilité de freiner ces projets. Aucun engagement pour le déploiement à grande échelle de centrales nucléaires de 4ème génération ou de captage-stockage du carbone n’est actuellement nécessaire. Si dans certains pays, l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables s’avèrent suffisants pour couvrir les besoins énergétiques, ces pays peuvent alors choisir de n’utiliser ni le nucléaire, ni le charbon. Cependant, il faudra être certain que des solutions pour une élimination totale des émissions de CO2 liées au charbon sont véritablement disponibles.

Taxer avec un dividende de 100%. Une « taxe carbone avec un dividende de 100% » est nécessaire pour enrayer la croissance du CO2 atmosphérique. La taxe, à appliquer au pétrole, au charbon et au gaz dès la mine ou le port d'entrée, est le moyen le plus juste et le plus efficace pour réduire les émissions et réussir la transition vers l'ère post-combustible fossile. Par ce moyen le maintient dans le sol des combustibles fossiles non conventionnels, comme les sables et les schistes bitumineux, serait garanti, à moins qu'une méthode économique de captage-stockage du CO2 soit développée.

    L'intégralité de la taxe devrait être restituée au public, en parts égales par tête (une demi-part par enfant, limitée à deux demi-parts par famille), et reversée tous les mois sur compte bancaire. Ceci ne nécessite aucune bureaucratie.

    Il faut appeler une taxe une taxe. Les citoyens peuvent comprendre et accepter une taxe si elle est présentée clairement et si l'argent leur est restitué à cent pour cent. Pas un centime ne doit en être détourné par Washington où des politiciens pourraient choisir à qui en distribuer. Il sera inutile d'employer le moindre lobbyiste.

    Les citoyens prendront des mesures pour réduire leurs émissions, qui leur seront continuellement remises en mémoire par leur dividende mensuel et par le coût croissant des combustibles fossiles. Il faudra leur expliquer  clairement que le taux de la taxe augmentera dans le temps.

    Une baisse du prix du pétrole devrait entraîner une augmentation de la taxe afin que l'encouragement à la transition vers l'ère post- fossiles soit constant. Une demande moindre en combustibles fossiles entraînera une baisse de leur prix, ce qui fait que la taxe représentera une part toujours croissante du coût des énergies (pour celles d'origine fossile seulement). De la sorte, notre pays mettra un terme à l'hémorragie de ses richesses vers les pays producteurs de pétrole.

    La taxe et ses dividendes sont progressifs. Une personne possédant plusieurs grosses voitures et une grande maison devra payer une taxe qui dépassera largement son dividende. Une famille qui réduira son empreinte carbone au dessous de la moyenne gagnera de l'argent. Tout le monde aura un intérêt financier à réduire son empreinte carbone. Le dividende stimulera l'économie, incitera à l'innovation, et fournira de l'argent qui permettra aux gens d'acheter des produits et d’adopter un mode de vie à basse teneur en carbone.

    Une taxe carbone est honnête, transparente et efficace. Elle augmentera les prix de l'énergie, mais les personnes aux revenus bas ou moyens, tout spécialement, trouveront les moyens de réduire leurs émissions carbonées et s'en tireront mieux. Le taux de remplacement des infrastructures, et donc l'activité économique, pourra être modulé par le rythme d'augmentation de la taxe carbone. Les effets traverseront toute la société. Les aliments dont la production et le transport sont gourmands en carbone deviendront plus chers (et vice versa), ce qui favorisera les fermes de proximité au détriment des importations de l'autre bout du globe.

    Méfiez vous des approches alternatives, comme les « objectifs de réduction des émissions en pourcentage » ou les permis d'émissions plafonnés et  négociables (« cap and trade »). Il s'agit de subterfuges destinés à faire perdurer le « business as usual », avec de prétendues actions qui ne sont que vertes gesticulations. Il y a des légions de lobbyistes qui se font les avocats de ces approches, leur garantie d’emplois à venir. L'inefficacité de ces «objectifs » et de ces « plafonds » est  parfaitement illustrée par le fait que les pays qui en font la promotion prévoient de construire de nouvelles centrales électriques à charbon.

    Si les Etats-Unis acceptent l'approche inefficace des « objectifs » et des « plafonds », dans l'axe de l'approche du Protocole de Kyoto, un changement climatique désastreux est pratiquement assuré. En lieu et place, les Etats-Unis devraient convaincre les autres pays d'adopter la taxe et son dividende. Les pays qui rentrent dans ce système se mettront d'accord aussi pour que les importations des pays qui ne pratiquent pas une taxation comparable du carbone soient taxées au port d'entrée. Cette taxe d'entrée sera un aiguillon puissant pour pousser tous les pays à  participer.

 Une taxe carbone est nécessaire mais pas suffisante. Par elle-même, elle ne peut pas résoudre le problème énergétique ni permettre une mise hors jeu rapide du charbon. Il faut en parallèle établir des normes pour une meilleure efficacité dans le bâtiment, l'automobile, les appareils électriques et électroniques. Le modèle de profit des fournisseurs d’énergie doit être inversé, de manière à encourager une meilleure efficacité plutôt que la vente de toujours plus d’énergie. Ce ne sont là que quelques exemples de choses à faire parmi beaucoup d'autres. Mais tout  cela sera plus facile et plus efficace avec une taxe carbone.

    En effet, une taxe carbone est essentielle. C'est l'outil qui forgera les décisions individuelles et les choix de mode de vie pour le court, le moyen et le long terme, et qui permettra au monde de sortir aussi élégamment que possible de l'ère des combustibles fossiles. C'est ainsi que nous laisserons dans le sous-sol les combustibles fossiles les plus difficiles à extraire tout en évoluant rapidement vers l’utilisation des sources d'énergie propres de l'avenir.

Energie Nucléaire. Il faut discuter de l’énergie nucléaire. La quatrième génération de réacteurs nucléaires donne la possibilité de produire de manière sûre une électricité de base avec des émissions de CO2 négligeables. Il y a environ  un million de fois plus d’énergie disponible dans une réaction de fission nucléaire que dans une réaction chimique de combustion d’une molécule  carbonée.   Dans les réacteurs nucléaires (à fission) actuels, les neutrons provoquent la fission d’un noyau, libérant de l’énergie ainsi que des neutrons supplémentaires qui  entretiennent la réaction. Ces neutrons additionnels ‘naissent’ avec beaucoup d’énergie, on les appelle « neutrons rapides ».  Des réactions de fission supplémentaires sont plus probables si ces neutrons sont ralentis par des collisions avec des noyaux non absorbants et deviennent  « thermiques » ou « lents ».

Tous les réacteurs nucléaires fonctionnant aux Etats-Unis sont des réacteurs à eau légère (LWRs – Light Water Reactor) utilisant de l’eau ordinaire (par contraste avec l’eau lourde) pour ralentir les neutrons et refroidir le réacteur. L’uranium est le combustible de tous ces réacteurs. Un problème fondamental de cette technique est que plus de 99% de l’uranium  n’est pas « brûlé » (parce que n’ayant pas fissionné).  Non seulement la plus grande partie de l’énergie potentiellement disponible est gaspillée, mais les déchets nucléaires de longue durée de vie  (plutonium, américium, curium, etc.) exigent un isolement géologique dans des sites de stockage comme Yucca Mountain.

Il y a deux alternatives intéressantes  pour surmonter ces difficultés. On aura besoin des deux dans l’avenir. La première consiste à construire des réacteurs dans lesquels les neutrons induisant la fission sont rapides. Ces réacteurs à neutrons rapides peuvent brûler tout l’uranium. De plus ils peuvent brûler les déchets nucléaires de longue durée de vie déjà produits, les réduisant à un petit volume avec des durées de vies de seulement quelques décennies, résolvant le problème des déchets nucléaires de long terme.  L’autre alternative intéressante est d’utiliser le thorium comme combustible dans des réacteurs thermiques. Le thorium peut être utilisé de telle manière que l’accumulation de déchets nucléaires de longue durée de vie soit éliminée.

Les Etats-Unis ont choisi la voie du développement des LWRs dans les années 1950 pour les réacteurs civils parce que la R et D avait déjà été menée par la Marine Nationale et qu’ils présentaient donc le plus court délai pour atteindre le stade industriel parmi les technologies alors envisagées. Peu d’attention avait été accordée au problème des déchets nucléaires. Aujourd’hui la situation est très différente. Si l’énergie nucléaire doit être utilisée à une grande échelle pour remplacer le charbon, aux Etts-Unis et/ou dans le monde en développement, les questions de la gestion des déchets, de la sûreté et de la prolifération deviennent capitales.

Les réacteurs en construction ou en projet, aux Etats-Unis, en Europe en Chine et ailleurs ne sont que des LWRs améliorés. Leur fonctionnement est  simplifié et leur  sûreté améliorée mais ils sont encore, essentiellement, du même type,  produisent de grandes quantités de déchets, et restent chers. Il semble probable qu’il ne permettront à l’énergie nucléaire que  de jouer un rôle comparable à celui qu’elle joue actuellement.

A la fois les réacteurs rapides et les réacteurs au thorium ont été discutés lors de notre atelier du 3 novembre.

Le concept de  Réacteur Rapide Intégré (IFR – Integral Fast Reactor)  a été développé  au Laboratoire National d’Argonne (ANL) et il a été réalisé et testé au Laboratoire National d’Idaho. L’IFR maintien le caractère « rapide » des neutrons en utilisant du sodium liquide comme caloporteur, à la place de l’eau des LWRs. Le retraitement du combustible est facilité par l’utilisation d’un combustible métallique solide. Les IFRs peuvent brûler les déchets nucléaires actuels et l’uranium et le plutonium de qualité militaire en excès, tout en produisant de l’électricité. Tout le retraitement est effectué au voisinage du réacteur (d’où le mot ‘Intégré’ dans le nom) et de nombreuses caractéristiques de sûreté améliorée sont incluses et ont été testées, tel que la possibilité d’arrêt sûr, même dans des scénarios d’accident sérieux.

Le Réacteur au Fluorure de Thorium Liquide (LFTR – Liquid-Fluoride Thorium Reactor) est un réacteur au thorium qui utilise un sel de fluorure  chimiquement stable comme milieu au sein duquel ont lieu les réactions nucléaires. Cette forme de combustible permet une grande souplesse de fonctionnement et élimine la contrainte de fabriquer des éléments combustibles.

Cette caractéristique résout presque tous les problèmes qui ont empêché l’utilisation du thorium sous forme solide dans des réacteurs. De plus, le combustible liquide du LFTR est facile à retraiter pour séparer des produits de fission utiles, aussi bien stables que radioactifs.  Le LFTR  donne aussi la possibilité de détruire les déchets existants, quoique de manière moins efficace qu’un réacteur rapide tel que l’IFR.

Aussi bien l’IFR  que le LFTR fonctionnent à faible pression et haute température, contrairement aux LWRs actuels. Le fonctionnement à basse pression supprime l’essentiel du risque d’accident propre aux LWR. Les températures plus élevées permettent un meilleur rendement thermodynamique (40% pour l’IFR, 50% pour le LFTR vs 35 % pour les LWR).  L’IFR et le LFTR pourraient être refroidis à l’air, permettant l’utilisation de leurs rejets thermiques pour le dessalement de l’eau de mer.

Tous deux sont 100 à 300 fois plus efficaces dans l’utilisation du combustible que les LWRs. Tout en résolvant le problème des déchets nucléaires, ils peuvent fonctionner pendant des siècles en utilisant l’uranium et le thorium qui ont déjà été extraits. Ils font donc justice de l’argument selon lequel l’exploitation de mines d’uranium ou de thorium utiliserait  des combustibles fossiles et ajouterait à l’effet de serre.

La « solution » Yucca Mountain actuellement envisagée pour résoudre la question des déchets nucléaires devrait être combattue à mon avis. La création d’un gros volume de déchets avec une durée de vie de l’ordre de 100 000 ans n’est pas nécessaire. En effet, il y a des façons bien plus efficaces d’utiliser les 25 milliards de dollars prélevés sur les opérateurs des réacteurs depuis 40 ans pour régler le problème du stockage des déchets nucléaires.  Cette somme devrait être utilisée pour développer des réacteurs rapides qui brûlent les déchets nucléaires et des réacteurs thorium afin d’éviter la production de nouveaux déchets nucléaires de longue durée de vie. Selon la loi, le gouvernement fédéral doit assumer la responsabilité des combustibles usés existants ; l’inaction n’est donc pas une option. Un développement accéléré des réacteurs rapides et à thorium permettra aux Etats-Unis de remplir leurs obligations de gérer les déchets nucléaires et de rendre disponible une source d’énergie sans carbone qui pourra durer des siècles, même des millénaires.

On dit couramment que les réacteurs de 4ème génération ne seront pas disponibles avant 2030.  C’est raisonnable dans l’hypothèse du « business as usual ». Toutefois, en y mettant la priorité, il est probable qu’ils pourraient être opérationnels plus tôt. Il est spécieux de prétendre que la R et D sur la Génération IV  ne mérite pas d’être soutenue parce que les économies d’énergie et les énergies renouvelables seraient susceptibles de satisfaire à la totalité des besoins électriques des Etats-Unis.  Qui est prêt à soutenir que les besoins de la Chine et de l’ Inde pourraient être entièrement satisfaits par les économies d’énergie et les énergies renouvelables ?

La Chine et l’ Inde ont de fortes raisons de nettoyer leur ciel de sa pollution et d’éviter de dangereux changements climatiques.  Les Etats-Unis, même si l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables peuvent satisfaire leurs besoins énergétiques  (ce qui est considéré comme peu probable par de nombreux experts de l’énergie) doivent gérer leur important stock de déchets nucléaires qui ont des durée de vie supérieures à 10000 ans.

Le développement des premiers grands réacteurs de 4ème génération pourrait être  plus rapide s’il se faisait en  Chine ou en Inde (ou en Corée du Sud qui a un  programme de R et D significatif) avec la pleine collaboration technique des Etats-Unis et/ou de l’Europe. Une telle collaboration faciliterait grandement la mise au point d’accords de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Implications. Nous avons déjà dépassé le seuil dangereux des gaz à effet de serre. Les choses commencent à se délabrer,-la glace arctique fond, le méthane s’échappe du pergélisol, les glaciers de montagne disparaissent. Nous devons changer de trajectoire dans les quelques prochaines années pour éviter de soumettre la planète à des changements climatiques accélérés échappant à notre contrôle.  Le temps est passé des « objectifs », demi-mesures, vertes gesticulations (« greenwashing »), et des compromis avec des intérêt privés.

Les limites géophysiques sont évidentes : les émissions dues au charbon doivent être supprimées progressivement et les émissions par les combustibles fossiles non conventionnels (sables et schistes bitumineux,  etc.) doivent être interdites. Les priorités pour résoudre les problèmes climatiques et énergétiques tout en stimulant l’économie sont de :

1.               améliorer l’efficacité énergétique

2.               développer et déployer les énergies renouvelables

3.               moderniser et étendre un réseau électrique ‘intelligent’

4.               développer l’énergie nucléaire de 4ème génération

5.               développer le captage et le stockage du gaz carbonique

Un développement rapide des réacteurs de 4ème génération est nécessaire pour procurer des alternatives énergétiques à des pays comme le Chine et l’Inde et pour des pays occidentaux au cas où l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables ne pourraient pas subvenir à leurs besoins. Le déploiement des réacteurs de 4ème génération serait accéléré par une coopération avec la Chine, l’Inde et d’autres pays. Il est essentiel que les « écologistes dogmatiques », opposés à toute forme d’énergie nucléaire, ne puissent pas retarder la R et D sur les réacteurs de 4ème génération. Il est donc souhaitable d’éviter de nommer à des postes clés des individus ayant un passé d’opposant au développement de l’énergie nucléaire. Bien entendu, l’énergie nucléaire est une option et certains pays ou régions  pourraient préférer ne recourir qu’à d’autres sources d’énergie, mais les opposants à l’énergie nucléaire ne doivent pas avoir le pouvoir de refuser cette option à quiconque.

Le charbon est le combustible le plus sale. La combustion du charbon a relâché et diffusé autour du monde plus de 100 fois plus de matière radioactive que tous les réacteurs dans le monde. Le mercure relâché par la combustion du charbon contamine l’océan aussi bien que nos rivières, lacs et sols. La pollution de l’air  due à la combustion du  charbon tue des centaines de milliers de personnes chaque année. Si les réacteurs nucléaires avaient eu de telles conséquences ils seraient tous arrêtés.

L’extraction du charbon, particulièrement l’arasement des montagnes, est la cause de dommages et de souffrances humaines additionnelles. Il est temps de fermer toutes les centrales à charbon ;  en effet, éviter des désastres climatiques exige que toutes les émissions dues au charbon soient éliminées progressivement. Il est préférable de laisser le charbon sous terre. Toutefois, la R et D sur le captage et le stockage du CO2 (CCS)  mérite d’être fortement soutenue. Il est nécessaire afin d’offrir toute les options énergétiques, ainsi que pour les pays qui s’obstinent à utiliser leurs ressources charbonnières. De plus  la CCS  pourrait avoir un rôle encore plus important : il pourrait être utilisé auprès de centrales brûlant des bio-combustibles comme les déchets agricoles. Cette espèce de « géo-ingénieurie » qui extrait le CO2 de l’air et le remet dans la terre d’où il provenait peut être nécessaire pour ramener la concentration de CO2 à une valeur sans danger.

La transition vers l’ère post-combustibles fossiles avec une atmosphère et des océans propres exige une taxe carbone. Cette taxe fera en sorte que les combustibles fossiles non conventionnels resteront dans le sous-sol, ainsi qu’une grande part du charbon et une fraction du gaz et du pétrole  qui se trouvent dans des endroits reculés. Le public acceptera une telle taxe  si les fonds collectés lui sont entièrement reversés, sans qu’aucune somme ne revienne à Washington ou à une autre capitale pour permettre aux politiciens et  groupes de pression de fixer son utilisation. La taxe avec son dividende de 100% n’est pas suffisante en elle-même- de nombreuses autres actions devront être entreprises-  mais elle est nécessaire. Il ne reste plus de temps pour une transition grâce à des demi mesures inefficaces. Une communication franche avec le public est essentielle.  A présent, dans le monde entier, de nombreux gouvernements sont coupables de « green wash » (vertes gesticulations), un invraisemblable mélange d’objectifs et de demi-mesures qui, au mieux, ralentiront la croissance du CO2. Le monde entier, pas seulement les Etats-Unis, a besoin d’un débat ouvert et honnête sur ce qui est nécessaire. C’est un énorme fardeau placé sur les épaules du Président-élu. La seule chance est qu’il comprenne la vérité, toute la vérité.

Les jeunes comprennent que eux-mêmes, leurs enfants nés et à naître devront supporter les conséquences de nos actions et inactions. Ils ne blâment pas leurs parents qui, légitimement, « ne savaient pas » ce qu’ils amorçaient. Les jeunes ont travaillé dur pour influencer le processus démocratique. Maintenant ils attendent des actions adaptées.

 

  • Assemblée Générale Ordinaire des Adhérents de Sauvons Le Climat
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