Peut-on s’accommoder de l’intermittence des Énergies Renouvelables ? (résumé)

François POIZAT

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Alors que vient de s’achever la consultation sur la nouvelle PPE (« Programmation Pluriannuelle de l’Énergie »), il est fondamental d’observer les résultats de notre grand voisin oriental, souvent érigé en exemple à suivre. De fait, nos ambitions, souvent résumées par le slogan gouvernemental « 3 fois plus d’éolien et 5 fois plus de solaire photovoltaïque », visent un mix électrique renouvelable de même ampleur, grosso modo, que celui, actuel, de l’Allemagne : 61 GW d’éolien (dont 1/8 en offshore)[1] et 49 GW de photovoltaïque (PV), fin 2019.

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Réalité de l’intermittence

De l’examen minutieux des résultats de ce parc colossal, à partir des données publiées par un organisme irrécusable en la matière (le « Fraunhofer Institut für Solare Energiesysteme », implanté à Fribourg)[2], il ressort que le point faible de ces ressources réside dans leur intermittence, c’est-à-dire leur inaptitude à produire de l’électricité quand on en a besoin et, à l’inverse, à s’en abstenir quand on n’en a pas l’usage. Quelques résultats concrets, pour l’année 2019 :

- la puissance délivrée par les éoliennes a oscillé entre 46,7 GW (le15 mars) et 0,4 GW (le 17 juillet) ;

- les panneaux solaires n’ont pas fourni plus de 33,6 GW (le 19 avril), ce qui est déjà remarquable ; mais chacun sait _ tout en l’oubliant parfois _ que ledit PV ne produit pas la nuit ; plus grave, en hiver, la pointe méridienne de production solaire tombe à 1,3 GW (le soleil est plus bas sur l’horizon en hiver !) !

- certes, le soleil fut le plus productif autour du solstice d’été (mois de mai à juillet), en quasi-symétrie de l’éolien autour du solstice d’hiver, ce qui, sur le papier, pourrait garantir une certaine complémentarité entre ces moyens de production : hélas, l’addition des deux vecteurs n’a donné qu’à peine 59 GW le 23 avril et, surtout, dans la nuit du 24 janvier, vent et soleil ne fournirent que 0,65 GW (soit moins de 1 % de la puissance alors consommée).

La complémentarité des deux énergies n’est donc qu’un leurre, de même que le foisonnement sur l’Europe de l’Ouest relève largement du mythe.

 

Adaptation requise

Ces résultats ne constituent pas un scoop pour les observateurs attentifs, les tenants du développement prioritaire de ces moyens les mettant sur le compte de leur anodine variabilité. Il n’en demeure pas moins qu’un pays ne peut fonder sa sécurité d’alimentation électrique sur ces seuls moyens. C’est bien pourquoi l’Allemagne s’est payé le luxe d’un double parc, leurs 96 GW pilotables (c’est-à-dire pouvant s’adapter aux perturbations tant météorologiques que mécaniques), biomasse incluse, épaulant leurs 110 GW intermittents, garantissant ainsi l’équilibre production-consommation tout au long de l’année.

Mais l’équilibre à tout moment constitue aussi une gageure, qu’on en juge : du 15 au 21 avril, les gestionnaires de réseaux eurent à effacer puis resolliciter quelque 30 GW de moyens pilotables, chaque jour, entre 5 h. et 20 h., pour faire face aux seules fluctuations de l’ensoleillement !

Autre aspect, relativement nouveau, la violence des gradients de puissance induits sur le réseau électrique :

- le 19 avril, la puissance solaire a crû, en une heure, de 8,35 GW (l’équivalent du parc nucléaire résiduel), de 8 à 9 h., et décru d’autant de 17 à 18 h.

- l’éolien n’est pas en reste : le lundi de Pâques (22 avril) a enregistré des gradients de + 13 GW/h, puis - 10 GW/h.

L’analyse de ces effacements, suivis de compensations, révèle un équilibrage du réseau reposant quasi-exclusivement sur les énergies fossiles (biomasse exclue), et prioritairement sur le lignite, à hauteur de 50 % environ (alors que les centrales au lignite ne représentent que 27 % de la totalité du parc fossile). Sachant que ce « Braunkohle », dont le sous-sol regorge, est, du point de vue de la pollution comme de l’effet de serre [3], le pire combustible, on peut regretter que les préoccupations économiques et sociales aient primé sur la véritable écologie.

 

Et débordements possibles

Il va de soi que les récurrents excès d’électrons tendent à nourrir l’exportation, y compris pour que ces flux d ‘énergie transitent du Nord au … Sud de l’Allemagne, via les Pays-Bas, la Belgique et la France (du fait du manque de lignes THT allant des champs offshore à la Ruhr et la Bavière) ! Mais ces exportations sont freinées par les capacités limitées des interconnexions.

Sans surprise, il en résulte de fortes tensions sur le marché de gros de l’électricité, caractérisées, chaque année (statistique sur 5 ans, de 2015 à 2019), par :

- une centaine de prix négatifs (dont une quinzaine au-dessous de - 50 €/MWh)

- mais aussi une trentaine de pics de prix (au-dessus de 100 €/MWh), quelques-uns au-dessus de 200 €/MWh,
tous écarts importants, qui peuvent intervenir dans une même journée (ce qui fut encore le cas les 10 et 11 mars 2020).

Conclusions

La décision de sortie du nucléaire, colonne vertébrale de l’« Energiewende », a été prise par l’Allemagne sans concertation avec ses partenaires européens. Elle a néanmoins le mérite de la clarté : il s’agissait bien d’un « tournant énergétique », au sens strict. Nous pensons avoir démontré[4] que les préoccupations écologiques en étaient, de facto, totalement absentes mais que l’exploitation des ressources minières dont dispose ce pays était le fondement de sa géostratégie. On peut comprendre ce choix de nos voisins, qui va totalement dans le sens de leurs intérêts, du moins à court et moyen termes. Mais sera-ce le cas, dans 10 ou 15 ans, si les stockages ne se développent pas considérablement ? Sinon, l’Allemagne deviendra alors très dépendante d’un gaz importé en totalité de Russie, et qui n’aura de naturel que le nom (du moins avant que l’émergence industrielle d’un biométhane lui donne tout son sens, en dépit des hypothèques scientifiques et des conflits d’usage avec les cultures vivrières …).

Mais que la France, totalement dépourvue de ressources minières, disposant d’une électricité décarbonée à 93 %, ait voulu imiter nos voisins, cela dépasse l’entendement. D’autant que, pour plusieurs observateurs, l’unique motivation de la réduction du nucléaire, voulue depuis 2012 par le gouvernement français, résulte d’une forte pression au niveau européen, et particulièrement au niveau allemand, pour contrecarrer l’atout de compétitivité que le plan Messmer de 1974 avait conféré à l’économie française.

Pourquoi une partie du milieu politique français a-t-elle collaboré avec la Communauté Européenne alors que ce n’était pas notre intérêt, ni du point de vue climatique, ni du point de vue environnemental, ni même au plan économique ? Serait-ce pour satisfaire la part du patronat favorable au développement de ces énergies renouvelables dont, précisément l’intermittence exige le soutien dudit gaz naturel ? De fait, n’a-t-on pas constaté la collusion entre « écologistes labellisés » (c’est-à-dire anti-nucléaire) et « Syndicat des Énergies Renouvelables », au Conseil d’Administration duquel les gaziers sont sur-représentés (Engie notamment) ? À preuve, cette fameuse « Affaire du Siècle » qui, pour la défense du climat, veut bannir le nucléaire tout en exonérant le gaz (malgré ses émissions de CO2, voire de méthane) ; ou encore récemment, cet appui de MM. Canfin, Jadot, etc. à la patronne d’Engie, au nom de la « transition écologique » sur laquelle elle fondait sa stratégie …

Avant que les historiens ne statuent sur ces évolutions, trop tard malheureusement, le risque de black-out grandit ... De fait, les électrons éoliens et solaires saturent les réseaux, y compris ceux des pays voisins, décourageant toute velléité d’investissement dans des moyens de production pilotables car ceux-ci sont mis en concurrence, déloyale, avec des énergies subventionnées, aléatoires et dispensées de garantie de disponibilité ... De ce point de vue, les prix négatifs évoqués ci-avant _ dont l’impact économique, à court terme, reste minime _ constituent un « signal prix » on ne peut plus … négatif !

Enfin, s’il est un « principe de précaution » à respecter, c’est bien celui de ne pas supprimer des énergies pilotables et non-émettrices de CO2, le nucléaire par exemple, tant qu’on n’aura pas résolu la question du « back-up » pour pallier les manques de vent ou de soleil de plusieurs jours, c’est-à-dire du stockage d’électricité en très grandes quantités (10 à 15 TWh minimum). Surtout si l’on songe que notre PPE prévoit des capacités éolienne et photovoltaïque voisines de celles atteintes par nos voisins, mais sans leur back-up pilotable !

Or, à ce jour, seules les STEP peuvent, aux plans technique et économique, répondre à ce défi [5] sauf que la géographie ne leur est pas très favorable : l’Allemagne, stricto sensu, n’a pas de perspectives en ce domaine ; quant à la France, elle n’a plus guère, dans ses cartons, que Redenat (Massif Central) et Orlu (Pyrénées), d’autres sites envisageables, tels Le Clou, en Haute-Tarentaise, ou Villard d’Arène en Haute-Romanche (et Parc des Écrins), étant frappés d’inacceptabilité sociale[6].

Dans cette perspective, la fermeture de Fessenheim, au bout de 40 ans de fonctionnement en toute sûreté, compensée _ électriquement _ par le maintien en fonction de la centrale au charbon de Cordemais, apparaît comme un double non-sens, climatique et économique, surtout si l’on songe que quatre réacteurs américains (Peach Bottom 2-3 et Turkey Point 3-4), quasi-conscrits de la centrale alsacienne, viennent d’être autorisés par la National Regulatory Commission à fonctionner 80 ans, c’est-à-dire jusqu’en 2052 ou 2054 !

 

[1] Soit l’équivalent du parc nucléaire français !

[2] Son site _ www.energy-charts.de _ est remarquable. Cependant, il ne collecte que les informations relatives aux injections de courant sur les réseaux publics (ne tenant donc pas compte de l’autoproduction, plus fréquente en Allemagne qu’en France).

[3] Fraunhofer donne des informations sur les émissions de CO2, de 2007 à 2017 (pourquoi pas au-delà ?), centrale par centrale. Ainsi note-t-on que les centrales au lignite émettent au moins 1 kg de CO2/kWh (certaines trois fois plus, comme Frechen, ou Klingenberg, passée au gaz en 2017).

[4] Lien Internet vers l’étude détaillée.

[5] Les idées de « Power-to-Gas/Gas-to-Power » relèvent, pour l’heure, de rêveries, plombées par la multiplication des médiocres rendements des opérations requises …

[6] Songeons que la retenue de Grandmaison, sous les cols du Glandon et de la Croix-de-Fer, stocke un volume 70 fois supérieur à celui du barrage qui était projeté à Sivens !
Et la judicieuse idée de STEM (« Stations de Transfert d’Eau de Mer ») n’est pas à la hauteur de l’enjeu, puisqu’une retenue de 10 m. de profondeur, large de 100 m., située 20 m. au-dessus du niveau de la mer, ne permettrait de doubler la capacité des STEP françaises (actuellement de 0,1 TWh) que si elle était longue de … 2000 km : une douve absolument inimaginable sur nos côtes !

 

Pour la version complète (11 pages + annexe 35 folios) de la note de François Poizat :  Note d’étude Intermittence compensable ou non

Il est recommandé, en vue d’une lecture confortable, d’imprimer les pages de texte en se référant, sur écran, aux 35 annexes constituées de graphes produits par le « Fraunhofer Institut für Solare Energiesysteme », institut fribourgeois voué à la promotion de l’Energiewende, aisément compréhensibles. On ne saurait trop conseiller de consulter le site www.energy-charts.de/ (en version allemande ou anglaise), directement.

 

 

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