Quelques éléments de compréhension de l’accident d’éjection de grappe dans l’EPR

Dominique.Vignon

Quelques éléments de compréhension de l'accident d'éjection de grappe dans l'EPR

L'Association Sortir du Nucléaire a communiqué samedi 6 mars 2010 un ensemble assez disparate de notes d'études émanant d'EDF, assorti d'une synthèse de son cru selon laquelle notamment «  certains modes de pilotage du réacteur EPR peuvent provoquer l'explosion du réacteur à cause d'un accident d'éjection de grappes (qui permettent de modérer, d'étouffer la réaction nucléaire). Ces modes de pilotage sont essentiellement liés à un objectif de rentabilité économique, qui implique que la puissance du réacteur puisse être adaptée à la demande électrique. Ainsi, dans le but de trouver une hypothétique justification économique à l'EPR, ses concepteurs ont fait le choix de prendre le risque très réel d'un accident nucléaire. De plus, l'essentiel des arguments en faveur de l'EPR (puissance, rendement, diminution des déchets, sûreté accrue) s'avèrent faux ».

Les notes d'EDF « révélées » par SDN sont pour l'essentiel antérieures à 2004 ; les plus récentes datent d'avril 2009 ; la synthèse SDN elle-même date de novembre 2009. Le procédé consistant à diffuser des documents déjà anciens pendant un week end et à la veille d'une grande conférence internationale sur le nucléaire civil, où la France avec l'OCDE accueille plus de 65 délégations internationales, ne serait pas relevé si les conclusions de Sortir du Nucléaire étaient fondées. Malheureusement, c'est un magma de contre vérités. Nous rappellerons d'abord succinctement la nature de l'accident d'éjection de grappe qui fait l'objet de la polémique, et le contexte de la conception EPR à cet égard, puis nous ferons une analyse synthétique des contre vérités SDN, avant de faire un commentaire mot à mot de leur note de synthèse ci-annexée.

Rappel sur le pilotage et l'arrêt neutronique des réacteurs à eau sous pression Les REP disposent de deux systèmes de pilotage et arrêt :
  • 1. Les grappes de commande qui peuvent être introduites ou extraites du cœur du réacteur. Il y en a quatre vingt neuf dans l'EPR ; elle sont constituées d'un matériau absorbant les neutrons.
  • 2. Le bore soluble, également absorbant, dont on peut faire varier la concentration (et donc l'absorption) ; on peut aussi faire une injection rapide de bore pour étouffer la réaction en situation accidentelle.

Pour opérer des variations rapides de puissance, on utilise les grappes dont les mouvements sont rapides. Par exemple si, fonctionnant à pleine puissance, on veut passer à un régime à 50% de puissance, on insère les, ou des grappes. Et on les sort si on veut remonter en puissance.

Une combinaison de l'action sur les grappes et l'action sur la concentration en bore est également possible ; par exemple, on peut, après avoir réduit la puissance à 50% augmenter la concentration en bore ; pour rester à 50%, il faudra corrélativement remonter les barres qu'on a initialement insérées. On restaurera alors une bonne distribution du flux neutronique (l'Absorbant dissous dans l'eau étant également distribué partout, alors que les grappes agissent ponctuellement, et essentiellement dans la partie supérieure du cœur : elles distordent le flux). Mais si on utilise cette stratégie, et ayant de ce fait ressorti les grappes, on ne pourra plus les sortir à nouveau si on souhaite faire une augmentation rapide de puissance : pour revenir à pleine charge, il faudrait baisser la concentration en bore ce qui est sensiblement plus long que l'action sur les grappes.

La plupart des pays utilisent leurs réacteurs exclusivement à pleine puissance (fonctionnement en base). En France, et du fait de l'importance relative du nucléaire dans la production d'électricité, les réacteurs ont été adaptés pour faire du « suivi de charge » et être capable de retour rapide à pleine puissance (« retour instantané en puissance » ou RIP). Pour y parvenir, Framatome a développé un concept de barres de commande dite « grises » car peu absorbantes, par opposition aux barres noires, plus absorbantes, exclusivement utilisées à l'étranger. Plus précisément, le concept français en œuvre jusqu'à l'EPR associe barres noires et barres grises, ces dernières étant utilisées pour le suivi de charge ; étant moins absorbantes, elles peuvent rester en réacteur sans perturber exagérément le flux, et leur extraction permet le retour en puissance.

Spécificité de la conception EPR initiale

Parmi les améliorations de sûreté de l'EPR, il a été décidé de supprimer l'instrumentation interne pénétrant par le bas du réacteur, malgré sa simplicité (pour supprimer le risque de fuite dans une partie non réparable du réacteur). En contrepartie l'instrumentation doit pénétrer par le haut du réacteur (déjà encombré par les grappes de commande), et traverser les internes supérieurs : il se trouve que les réacteurs allemands et notamment les Konvoi avaient déjà adopté cette conception plus difficile que la conception « par le bas », et il a donc été décidé de l'appliquer. En outre, et pour des raisons industrielles, il a été décidé d'adopter des mécanismes de commande de grappe du type utilisé en Allemagne. De proche en proche, et ces ensembles étant liés, il a été initialement décidé d'adopter le mode de pilotage allemand dont les performances paraissaient suffisantes, et non les barres grises françaises.

L'accident d'éjection de grappe

Rappels sur la démarche de sûreté La conception des réacteurs est fondée sur la défense en profondeur, à un double titre :
  • 1. On identifie l'ensemble des séquences accidentelles susceptibles d'affecter un réacteur ; on prend un certain nombre de mesures de conception (notamment qualité des composants ; redondance et diversification des systèmes) pour réduire l'occurrence de ces séquences, et cependant on fait l'hypothèse que ces séquences accidentelles, malgré les précautions prises, interviendraient et on vérifie que les conséquences sont acceptables
  • 2. On interpose entre les produits de fission et l'environnement des barrières : le crayon combustible et sa gaine ; le circuit primaire ; l'enceinte de confinement du réacteur. Et on s'assure pour les diverses séquences accidentelles de la résistance de ces barrières. A noter cependant que certaines séquences prennent par hypothèse la rupture de la deuxième barrière : c'est le cas en particulier de la séquence « éjection de grappe ». On évalue alors le comportement de la première barrière et on s'assure de l'intégrité de la troisième barrière.
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