Riziculture et méthane - Paul MATHIS

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Paul MATHIS : Riziculture et méthane

 

La riziculture est une source de méthane, un gaz à effet de serre. La technique de culture dite « Système de Riziculture Intensive », ou SRI, permet-elle de réduire ces émissions tout en assurant une production de riz forte et durable ?

Origine du méthane atmosphérique : contribution des rizières

Le méthane (CH4) est l'un des gaz à effet de serre qui contribuent fortement aux changements climatiques. Ses émissions mondiales représentent environ 14,3% des émissions de GES exprimées en pouvoir de réchauffement global, mais des études récentes montrent que l'influence du méthane sur le réchauffement climatique est souvent sous-estimée. Le méthane atmosphérique a des origines variées : fuites lors de l'exploitation du gaz naturel, du pétrole ou du charbon, émission par des décharges de déchets, brûlage de biomasse, digestion de la cellulose par les ruminants, émission des zones humides et des rizières. L'importance relative de ces diverses sources n'est pas clairement établie. Les zones humides et les rizières pourraient en émettre près de la moitié (Uherek), mais le rapport 2007 de l'IPCC accorde un poids relativement faible aux rizières.

Le méthane est produit lors de la décomposition de matière organique dans des conditions anaérobies, c'est-à-dire en absence d'oxygène, sous l'action de bactéries méthanogènes. D'une manière générale, quand des sols contenant des matières organiques sont recouverts d'eau, l'oxygène présent est rapidement consommé pour oxyder une part de ces matières, et on se trouve alors dans les conditions anaérobies permettant l'action des bactéries méthanogènes. C'est ainsi que la grande majorité des rizières participent aux émissions de méthane. Ce sont celles qui sont couvertes d'eau pendant une part importante de leur cycle annuel, et qui se comportent comme toutes les zones humides. On peut considérer que ces rizières émettent de l'ordre de 2% des GES, à l'échelle mondiale.

La place du riz dans l'alimentation

Si, pour diminuer les émissions de méthane, on souhaite diminuer les émissions des rizières, il faut d'abord avoir conscience de la place qu'occupe le riz dans l'alimentation des humains. Le riz est une céréale, tout comme le blé, le maïs ou l'orge. La surface mondiale cultivée en riz représente 150 Mha, dont 90% en Asie, et la production est de 585 Mt de riz paddy. Il faut multiplier par 0,65 pour avoir la quantité de riz blanchi. Le rendement moyen est donc de 3,9 tonnes à l'hectare. Ce chiffre cache des variations entre 1 et 10 t/ha.

En termes de quantité globale de céréales produites annuellement, le riz arrive au second rang, après le maïs, mais devant le blé. C'est toutefois la principale céréale pour l'alimentation humaine car plus de la moitié du maïs est destinée à l'alimentation animale. C'est donc aussi la principale source de calories nutritionnelles pour les humains. Il est estimé que 400 millions de personnes, vivant surtout en Asie, pour qui le riz constitue l'aliment de base, souffrent actuellement d'une alimentation insuffisante parce que la production de riz est trop faible. Il ne fait pas de doute que cette production devra être augmentée, peut-être de 20% dans les 20 ans à venir.

Comment cultive-t-on le riz ?

Le riz est une plante dotée d'une grande plasticité physiologique, avec la conséquence qu'il peut être l'objet de méthodes culturales très variées. Elles permettent une, deux, voire trois récoltes par an. Elles se différencient essentiellement par le mode de gestion de l'eau, bien que d'autres paramètres soient importants : choix de la variété, mode de fumure, densité des plants, modalités de désherbage, repiquage ou semis direct. La technique culturale la moins gourmande en eau est la riziculture pluviale, qui n'utilise que l'eau de la pluie ou de la nappe phréatique. On obtient une récolte annuelle de 1 à 3 t/ha. Elle représente 12% des surfaces, localisées surtout en Afrique. Elle se pratique traditionnellement d'une façon itinérante, après destruction d'une forêt par abattage et brûlis. Elle peut toutefois se pratiquer d'une manière fixe, en rotation avec d'autres cultures, souvent le blé, moyennant des apports d'engrais.

La culture irriguée est pratiquée sur 55% des surfaces, et elle produit 75% de la récolte. Dans cette technique, les rizières sont submergées sous plusieurs dizaines de cm d'eau, pendant un temps contrôlé, grâce à des infrastructures d'irrigation, en plaine ou en terrasses. Cette méthode produit généralement du riz en monoculture, avec un fort rendement, année après année. Dans le cadre de la « révolution verte », cette technique a été l'objet de nombreuses recherches, conduites souvent à l' International Rice Research Institute, IRRI, basé aux Philippines.

La culture inondée se pratique le long des fleuves, utilisant les crues de ceux-ci. Elle correspond à 23% des surfaces cultivées en riz. Les dates d'inondation et la hauteur de la lame d'eau ne sont pas contrôlées. Les rendements sont moyens, environ 3 t/ha. Il faut aussi mentionner deux autres types de riziculture : le riz flottant, pratiqué dans certains deltas, avec parfois plusieurs mètres d'eau ; et le riz de mangrove, cultivé dans certaines plaines en bord de mer.

Le riz a fait l'objet de très gros efforts d'amélioration génétique, qui ont abouti à de nombreuses variétés, adaptées à un grand nombre de conditions culturales, elles-mêmes adaptées aux contextes géographiques. Les statistiques montrent que, à l'échelle mondiale, plus de 90% du riz est produit dans des conditions impliquant une inondation plus ou moins longue des terres, conditions propices à la formation de méthane.

Peut-on réduire durablement les émissions de méthane provenant de la culture du riz ?

Rappelons d'abord qu'il n'est pas question de diminuer la production de riz : celle-ci devra au contraire être augmentée pour répondre aux besoins de l'humanité. Outre les progrès dans la sélection variétale, dans le désherbage, dans l'usage des intrants, on voit rapidement se profiler deux types de solutions à faible émission de méthane : l'amélioration la productivité du riz pluvial (il semble que beaucoup de travail reste à faire), et la pratique d'une riziculture inondée d'une manière plus « douce », en éliminant la lame d'eau par drainage. Les auteurs cités ci-dessus signalent que la Chine pratique de plus en plus un drainage en milieu de saison de culture, ce qui diminuerait significativement l'émission de méthane (Xiaoyuan Yan et al).

C'est ici qu'apparaît la technique dite « Système de riziculture intensive » ou SRI, mise au point par le père jésuite Henri de Laulanié, à Madagascar, en 1983. Découverte par hasard, elle a permis à des riziculteurs de multiplier par cinq leur rendement, tout en consommant moins d'eau. Cette technique présente deux facettes essentielles : le sol doit être maintenu humide mais pas submergé ; le repiquage est effectué avec un seul brin, très jeune, avec un espacement important entre les brins. Cela peut sembler paradoxal, mais cette technique fait l'objet de vives controverses entre ses supporteurs et ses détracteurs. Les premiers y voient une manière particulièrement simple, permettant d'obtenir en beaucoup d'endroits des rendements élevés, et donnant lieu à de moindres émissions de méthane, tandis que les seconds mettent en doute l'intérêt de la technique, estimant que sa durabilité est douteuse au-delà des trois premières années. Des essais comparatifs ont bien été effectués, mais ils ne peuvent pas être considérés comme réellement probants car ils n'ont pas été effectués sur des surfaces suffisamment importantes, ni pendant un temps suffisamment long. De nouveaux essais sont en cours sous l'autorité scientifique de l'université de Wageningen.

Le débat sur le SRI est l'occasion de signaler un aspect remarquable de la riziculture : la monoculture de riz permet, année après année, des rendements élevés en culture irriguée. Pourquoi ? Les raisons tiennent à des caractéristiques physiologiques de cette plante, qui effectue un transfert d'oxygène depuis les parties aériennes jusqu'aux racines, ce qui évite l'anoxie au niveau de ces dernières. Cette particularité permet au riz de supplanter les mauvaises herbes, qui ne résistent pas à la submersion. Par ailleurs, le sol superficiel où sont repiqués les plants de riz constitue un riche biotope, qui est entretenu par l'apport annuel de nutriments fournis par l'eau d'irrigation.

En SRI, certains de ces avantages ne sont pas présents, d'où les inquiétudes quant à la durabilité des forts rendements avec cette techniques. Ainsi, comment assurer le désherbage ? Manuellement, cela prend beaucoup de temps ; avec des désherbants chimiques, cela coûte cher. Par ailleurs, si la technique SRI s'avère intéressante à long terme, son adoption nécessitera de transformer la gestion de l'eau, et probablement de réaliser de gros travaux de drainage dans les rizières inondées qui dominent la production actuelle. On comprend l'hésitation des responsables face au coût de ces travaux, sachant que la gestion de l'eau est un art difficile qui doit faire coïncider les besoins des plantes et la disponibilité de l'eau.

L'importance de la diminution des émissions de méthane devrait être quantifiée. Il est probable que la diminution sera importante au niveau de la rizière elle-même, mais la zone humide, productrice de méthane, est peut-être simplement déplacée de la rizière à des zones non cultivées.

Conclusion

En matière de riz et de méthane, l'enjeu est double : diminuer significativement les émissions de méthane, augmenter la production de riz. Face à la vivacité de la controverse qui oppose les supporteurs et détracteurs du SRI, il est très difficile de prendre parti d'une manière scientifiquement fondée. Il n'y a aucune raison de décourager les initiatives locales permettant d'obtenir de meilleurs rendements de riz. Au contraire. J'ai contacté plusieurs spécialistes français dans le secteur de l'agriculture tropicale, et je n'ai obtenu que des réponses évasives quant à l'intérêt du SRI. Réactions corporatistes de chercheurs face à des propositions provenant de la base ? Ou réserves tout à fait rationnelles ? Difficile de savoir. Quoi qu'il en soit, il me semble que les enjeux sont suffisamment importants pour que des crédits internationaux soient dégagés pour des programmes d'étude de grande envergure destinés à tester la validité du système de riziculture intensive : permet-il de réduire les émissions de méthane tout en assurant une productivité durable ?

  • Assemblée Générale Ordinaire des Adhérents de Sauvons Le Climat
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