Une tribune d’Olivier Lesage, secrétaire de Sauvons le Climat
Le retour de Trump va réduire les marges de manœuvre permettant une décarbonation des économies acceptée par les citoyens. Plus que jamais, les ONG utiles devront proposer des solutions réalistes.
Les pays européens disposeront de marges de manœuvre réduites pour poursuivre le projet de décarbonation de leurs économies. Les associations pro-climat utiles seront donc celles qui renonceront à tout dogmatisme pour proposer des solutions ambitieuses mais réalistes, socialement acceptables et étayées par des analyses technico-économiques robustes.
Le choix clair et assumé par la majorité des électeurs américains d’attribuer tous les pouvoirs à un président climato-dénialiste revendiqué ne peut qu’affliger les défenseurs du climat partout dans le monde et les Européens en particulier. Il marque un tournant historique et laissera des traces durables dans un monde multipolaire où chaque bloc ne devra compter que sur lui-même.
Comme on pouvait s’y attendre, l’impact de cette élection sur le fonctionnement des institutions mondiales était déjà délétère avant même l’investiture de Donald Trump, le 20 janvier 2025. Alors que l’année 2024 a été la plus chaude enregistrée depuis 1850 avec une température moyenne mondiale supérieure de 1,6°C aux niveaux préindustriels, les avancées obtenues lors de la COP 29 sont restées très modestes, les banques américaines sont massivement sorties de l’alliance bancaire pour le climat, l’administration américaine se prépare à combattre par le droit les « cartels climatiques » qui s’opposeraient aux énergies fossiles.
Suite à ce choix structurant des électeurs américains, deux enseignements majeurs devraient certainement interpeller les promoteurs de l’action climatique.
Le premier tient à la résilience de l’engagement politique en faveur d’une trajectoire carbone ambitieuse. On se réfère ici à la longue marche vers la neutralité carbone. Les électeurs américains nous démontrent que le choix démocratique peut à tout moment remettre en cause les engagements qui ont été affichés, même s’ils ont pris la forme d’accords internationaux ou de textes de loi. Il y a peu de doute sur le fait que Donald Trump ne remette en cause les politiques de limitation des énergies fossiles pour soutenir l’ambition MAGA (Make America Great Again) par l’accès à une énergie bon marché : drill, baby, drill !
Imaginer que l’Europe serait à l’abri d’une telle remise en cause est une illusion. Les gilets jaunes ont conduit à renoncer à l’extension du dispositif que la quasi-unanimité des économistes juge le plus efficace en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, à savoir la taxe carbone. Le climato-dénialisme repart à la hausse en France depuis 2020, non que les faits climatiques donnent tort au GIEC mais faute de percevoir des solutions crédibles et palpables qui feraient reculer la tentation du déni pour certains ou par crainte de voir le changement climatique instrumentalisé à des fins politiques et idéologiques pour d’autres. Dans les prochaines années et à chaque élection, les citoyens pourront décider que « l’écologie, ça commence à bien faire ! »
Il n’y a donc qu’une manière de s’assurer que les réductions des émissions seront menées à bien : que les objectifs soient réalistes, expliqués et compris et que leur réalisation ne soit pas trop pénalisante pour l’économie et le pouvoir de vivre.
La deuxième conséquence est que le choix des Américains va réduire les marges de manœuvre des Européens en matière d’action climatique.
Tout d’abord, même si la tentation isolationniste n’est pas apparue avec Trump, l’éloignement américain de l’Europe et de l’OTAN induit par sa réélection achèvera de renvoyer à un temps passé les dividendes de la paix déjà mis à mal par l’invasion de l’Ukraine. La réduction historique des dépenses de défense rendue possible par l’effondrement de la menace du bloc communiste après la chute du mur de Berlin est remise en cause, la Pologne a augmenté son budget militaire et le reste de l’Europe voyant s’éloigner le bouclier américain ne peut que faire de même. Il était peut-être naïf mais probablement raisonnable d’affecter à l’éducation ou à la santé les efforts auparavant consacrés à préparer la guerre. Il serait tout aussi raisonnable de consacrer des efforts accrus à lutter contre le changement climatique. Mais dans un contexte de double déficit budgétaire et commercial, un pays comme la France ne pourra que voir se réduire ses marges de manœuvre en matière de transition énergétique.
Par ailleurs, l’élection américaine renforce et accélère la mise en place d’un monde multipolaire dans lequel la compétition sera plus âpre. L’Europe ne pourra pas mettre en péril son économie et ses emplois en pénalisant son industrie par un coût de l’énergie excessif, d’autant qu’elle ne dispose plus de l’avance technologique dont elle jouissait dans de nombreux secteurs il y a 40 ans. Dans une Europe vivant au-dessus de ses moyens, il y aura de fortes pressions pour abandonner le cap ardu des objectifs climatiques si les sacrifices exigés des Européens s’avèrent excessifs par rapport à l’avantage indéniable que représentera la réduction de la facture pétrolière et gazière.
Fort de ces enseignements, on peut dessiner ce que devrait être une association pro-climat raisonnable et utile dans ce monde en évolution.
La solution ne viendra pas d’ONG extrémistes qui exigeraient des gouvernants les engagements les plus extravagants ou les mesures les plus liberticides de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Extinction Rébellion ne revendique-il pas encore la neutralité carbone en 2025 ! C’est en revanche à des associations indépendantes qu’il appartiendra de proposer une approche réaliste et crédible s’appuyant largement sur la connaissance des sciences et des technologies. Cette approche devra mobiliser tous les vecteurs de la transition de la manière la plus optimisée possible, trouver les compromis justes entre les efforts d’efficacité énergétique et ceux de production d’énergie bas carbone, prôner une sobriété raisonnable, expliquée et comprise.
Il faudra proposer un chemin qui sera ambitieux tout en restant acceptable malgré les contraintes qu’il impose car le pire serait que les populations européennes exigent l’abandon des ambitions climatiques au motif que nous serions trop seuls à les poursuivre et par crainte de voir l’Europe vassalisée par les autres grands blocs géopolitiques.
Parce que la voie sera étroite et les efforts importants, les conséquences de l’élection américaine discréditent plus que jamais les organisations qui se revendiquent de la défense du climat mais veulent ajouter aux multiples défis la contrainte que leur dicte le refus dogmatique de solutions bas carbone avérées, qu’il s’agisse de l’énergie nucléaire ou des énergies renouvelables.
La Commission Européenne devra bien sûr comprendre qu’avancer vers la neutralité carbone tout en refusant au nucléaire de donner sa juste mesure serait condamner l’Europe à un déclin inexorable ou à des efforts excessifs et coûteux qui conduiraient probablement à la remise en cause par les citoyens des ambitions climatiques.
Le 24 février 2022 et le 5 novembre 2024 ont changé la donne énergétique dans une Europe qui doit plus que jamais compter sur elle-même. L’Europe ne réussira qu’en surmontant ses bisbilles mesquines pour retrouver le sens d’une ambition collective s’appuyant sur toutes les ressources dont elle dispose. Construite autour d’un modèle économique qui promeut un certain niveau de solidarité et de sécurité tout en préservant par-dessus tout les libertés individuelles, l’Europe dispose pourtant d’atouts réels face à l’Amérique de Trump et à la Chine de Xi.
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