L’Europe entend faire de grands efforts pour limiter les émissions de Gaz à effet de serre.
Le but de cet article est de discuter, à partir de l’exemple des bus urbains, des choix raisonnables pour réduire les émissions des transports. Il y a 28 000 bus urbains en circulation en France, ils sont essentiellement propulsés par des moteurs diesel ; ils parcourent ~40 000km par an, ils sont en service autour de 15 ans. Ces bus émettent autour de 1,4 Mt de CO2 par an, 1,2 % des émissions des transports, 0,47% des émissions totales de CO2 (302 Mt) de la France. En ville, à cause des nombreux arrêts, la vitesse des bus varie essentiellement entre 15 et 25 km/heure, et un bus diesel émet autour de 1,5 kg de CO2 par kilomètre et consomme 0,6l (ou 0,45 kg, 6 kWh) de diesel par kilomètre. Un bus électrique qui récupère son énergie au freinage consomme autour de 1,2 kWh/km
Le gouvernement français a émis des règles demandant aux opérateurs des collectivités territoriales (AOM : Autorités Organisatrices de la Mobilité) de décarboner progressivement les parcs de bus, et la règle sera en 2030 que les bus mis en service émettront 90 % de CO2 en moins. Depuis 2020, obligation est faite aux AOM des agglomérations de plus de 250 000 habitants lors du renouvellement de leur flotte, de choisir des véhicules « à faibles ou très faibles émissions », notamment acquérir 50 % de véhicules « à très faibles émissions ». Cela veut dire qu’une moitié des nouveaux bus (ou trolleys) devrait être électrique. Cependant, il reste un large éventail de possibilités des bus fonctionnant au gaz (GNV, gaz naturel véhicules), avec des règles de pourcentage de bio-GNV (gaz issu de fermentations de déchets ou de produits de l’agriculture) constituant ce qu’on appelle « biogaz » : en ce moment 20 % de bio-GNV, en 2025, ce sera 30 %. L’argument avancé pour investir dans des bus GNV est le prix plus élevé des bus électriques, prix dont nous allons discuter.
Dans ses avis destinés aux collectivités locales, la « centrale d’achat du transport public » (CATP) donne un avantage de prix pour les bus GNV au détriment de l’électricité[1]. Un résumé des estimations que fait la CATP pour des bus de 12 mètres est détaillé dans les tableaux ci-dessous. Il en ressort des prix (en 2024) très favorables aux bus GNV (1,25€/km), comparables aux bus diesel (1,33 €/lm), très inférieurs aux bus électriques (1,62 €/km)
On résume ici les coûts estimés des diverses motorisations par cet organisme :
Tableau 1 résumant les diverses estimations de la CATP en février 2022[2]
motorisation |
Diesel (€) |
Bio-carburants (€) |
Gaz Naturel (GNV) (€) |
Bio-GNV (€) |
Électrique (BEV) (€) |
Hydrogène (€) |
Prix acquisition |
273 400 |
278 100 |
290 300 |
290 300 |
554 000 (batt :155k€) |
698 000 |
Energie (en € HT) |
257 400 |
269 000 |
212 000 |
239 200 |
68 000 |
357 000 |
maintenance |
111 200 |
125 100 |
109 600 |
109 600 |
282 200 |
257 800 |
Coût (€/km) |
1,07 |
1,12 |
1,02 |
1,07 |
1,51 |
2,1 |
Le coût final (€/km) est calculé en additionnant les divers postes et en estimant que les bus roulent 600 000 km sur 15 ans. L’énergie dans ce tableau correspond donc à 360 000litres de diesel (~3600 MWh), 282 000 kg de gaz (~3950 MWh) et à 720 MWh d’électricité pour les bus électriques.
Tableau 2 résumant les diverses estimations de la CATP en juin 2024[3]
motorisation |
Diesel (€) |
Bio-carburants (€) |
Gaz Naturel (GNV) (€) |
Bio-GNV (€) |
Électrique (BEV) (€) |
Hydrogène (€) |
(Prix acquisition |
293 400 |
299 700 |
310 300 |
310 300 |
554 000 (batt :139k€) |
650 000 |
Energie (en € HT) |
329 500 |
344 300 |
230 200 |
299 700 |
148 000 |
459 000 |
maintenance |
168 000 |
186 000 |
210 000 |
210 600 |
270 000 |
257 800 |
Coût (€/km) |
1,32 |
1,38 |
1,25 |
1,30 |
1,62 |
2,38 |
Il y a peu de différences entre ces deux estimations (2022 vs 2024) : on prend principalement en compte l’augmentation des prix de l’électricité : pour 600 000 km avec 1,2 kWh/km, il faut 720 MWh pour un bus électrique et avec 200 €/MWh HT (en 2024), cela donne bien à peu près 148 000 €.
Il est bien sûr difficile de discuter les prix d’achat de tous les bus de ce tableau, mais il convient de s’étonner des biais observés à l’encontre des bus électriques.
Discussion :
-Pour les bus électriques
Le prix d’achat est fortement surestimé, car le prix des motorisations électriques a chuté. Les Chinois nous proposent déjà des bus de 12 m à 250 k€, avec une batterie LFP (Lithium-Fer-Phosphate) de 291 kWh[4].. On trouve les bus proposés par Heuliez[5], autour de 327 k€, certes avec une autonomie limitée (200 km?). Il a été aussi avancé le chiffre de 310 k€[6] pour un bus électrique, sans batterie. Notons qu’il n’existe aucune raison technique pour qu’à terme un bus électrique (sans batterie) soit plus cher qu’un bus à moteur thermique, on peut plutôt s’attendre au contraire.
Donc un bus électrique sans batterie est autour de 300 k€, et même en rajoutant 80 k€ d’options, cela fait hors batterie 380 k€. En France, le prix des batteries accessibles est autour de 150 €/kWh (en Chine les batteries LFP coûtent moins de 100€/kWh et sont annoncées garanties pour 15 ans[7]), pour les 450 kWh estimés par la CATP, cela fait 67,5 k€ (et sûrement pas les 139 k€ du tableau). Le prix d’acquisition est alors autour de 450 k€, en rapide décroissance. De plus, les batteries peuvent durer une quinzaine d’années (dépend du type de gestion), ce qui peut supprimer une grande partie de la ligne « maintenance » où on prévoyait de changer la batterie: le principal semble être un chargeur de 50 kW (pour un coût de 50 k€), et, comme les véhicules électriques n’ont besoin que de peu d’opérations de maintenance, la valeur de cette ligne devait être de l’ordre de 100 k€, auquel on devrait peut-être rajouter un changement de la batterie (67,5 k€).
-Pour les bus au gaz
Le principal problème tient au prix du gaz : pour parcourir 600 000km, avec 0.47kg/km de GNV, il faut 282 000 kg de GNV. Or celui-ci semble facturé à 1,7 €/kg TTC (donc 1,42 HT une fois la TVA remboursée). Il était à moins de 1 €/kg vers 2019. Cela signifie qu’il faut 400 000 € d’énergie pour un bus GNV. Le bio-GNV est 5 -10 % plus cher à la pompe.
On peut résumer cette discussion par le tableau ci-dessous, où on compare les coûts des bus au GNV/bioGNV et à batteries estimés par la CATP et révisée ici.
Tableau 3 – Comparaison des estimations CATP et la révision proposée.
Année : 2014 |
Est. CATP |
Est. CATP |
Est. CATP |
Est. révisée |
Est. Révisée |
Est. révisée |
motorisation |
GNV (€) |
Bio-GNV (€) |
Électrique (€) |
GNV (€) |
Bio-GNV (€) |
Électrique (€) |
(Prix acquisition |
310 300 |
310 300 |
554 000 (batt :139 k€) |
310 300 |
310 300 |
450 000 (batt : 67,5 k€) |
Energie (en € HT) |
230 200 |
299 700 |
148 000 |
400 000 |
440 000 |
148 000 |
maintenance |
210 000 |
210 600 |
270 000 |
210 000 |
210 600 |
100 000 (batt : 67,5 k€?) |
Coût (€/km) |
1,25 |
1,30 |
1,62 |
1,53 |
1,53 |
1,16-1,27 |
Il semble que nos estimations montrent que les bus électriques sont plus économiques que ceux au GNV.
Les estimations révisées ici tiennent compte à la fois de l’augmentation des prix du gaz, augmentations qui peuvent être réduites à l’avenir, du prix de l’électricité (200 €HT/MWh) et des progrès des véhicules électriques qui, vue l’évolution chinoise, vont s’amplifier. On comprend mal que la CATP ait repris sans guère de modifications en 2024 ses valeurs de 2022 pour les prix d’acquisition et des batteries, alors que la version 2024 de son rapport contient une longue digression sur les progrès des batteries et des bus électriques sans qu’il en soit sérieusement tenu compte dans ses estimations chiffrées.
Il est étonnant que la CATP présente en un tel biais en faveur des solutions au gaz (GNV ou bio-GNV). Ce biais en faveur du gaz est fréquemment observé dans ce genre d’expertises et on peut soupçonner que c’est là un effet d’une ancienne hostilité aux solutions électriques car associées à l’étiquette « nucléaire ». Cela est bien montré dans tous les scenarios qui prévoient la fermeture des réacteurs nucléaires. Ce biais sert de base au lobbying des gaziers (GRDF, GRTgaz, Engie, Gaz-mobilité...) qui font grand usage des données de la CATP[8][9]. Le résultat est qu’il se vend encore deux fois plus de bus à gaz (la moitié des quelque 2000 achats en 2022) que d’électriques (1/4 du marché en 2022), et que le parc existant (près de 28 000 bus) ne compte que 7 % de bus électriques contre 18 % de bus à GNV[10].
Il ne faut pas se laisser abuser par la défense du lobby gazier qui argumente que 1/3 de ce gaz est estampillé renouvelable (Bio-GNV) pour faire passer la pilule[11]. Un exemple est donné dans le cas de l’agglomération grenobloise.
Un exemple intéressant : l’agglomération de Grenoble
L’évolution de l’agglomération grenobloise (dite « agglo ») en matière de transports peut servir d’exemple de tous les choix/erreurs qui peuvent être commises.
En 1999, il est décidé de fermer toutes les lignes de trolleys, et de les remplacer par des lignes de bus essentiellement GNV (gaz 100 % fossile). L’association de défense des transports en commun ADTC s’est alors vu opposer par un responsable de la municipalité l’argument que le gaz « n’émettait pas de CO2 ». Cette ignorance est emblématique de l’efficacité de la propagande des gaziers.
En 2014, décision est prise de remplacer progressivement les derniers bus diesel par des bus au gaz. En 2023[12], ne restent qu’une trentaine de bus diesel de 12 mètres ou plus. On compte 215 bus en « carburant alternatif » (essentiellement GNV).
Le biogaz est produit depuis 2016 à partir des eaux usées[13] sur le site « aquapôle » La production injectable est entre 15 et 17 TWh par an et elle est injectée dans le réseau de gaz de GRDF, commercialisée par la régie GEG, distribuée pour partie pour les bus GNV de l’agglo et aussi dans 5 stations sur l’agglo (à 1,5 M€ l’unité) qui vendent surtout du GNV pour un tarif différent (1,64 €/kg TTC le 9 Sept 2024), inférieur à celui du Bio-GNV (1,71 €/kg). Un kilo de gaz équivaut à un kilo de diesel. Le bio-GNV est identifié par son « certificat d’origine » décerné par aquapôle. Les bus récents sont annoncés fonctionnant au biogaz, mais évidemment tous les bus utilisent le même gaz.
On peut faire une rapide estimation des besoins en gaz de ces 215 bus si on considère qu’ils font en moyenne 40 000 km/an et qu’ils consomment[14] 47 kg/100km de gaz (0,65 MWh/100 km). Cela donne 56 GWh, plus du triple des injections de aquapôle, qui en plus sont utilisées pour d’autres usages (bennes à ordures, poids lourds,...). On comprend bien là que le bio-GNV reste mineur, et que les émissions de CO2 sont conséquentes. La métro essaie d’augmenter cette production de biogaz injecté en développant une unité de méthanisation en marge de l’unité de compostage de Murianette. Cette unité représente un investissement de 36 M€, pour une production annuelle (en 2027) de 7 GWh de bio-GNV injecté. On peut donc estimer que sur 30 ans, l’investissement sera de 171 € par MWh produit, sans tenir compte des coûts variables, des intérêts. On rappelle que le gaz naturel importé est redescendu vers 30-35 €/MWh, aux USA, c’est environ 10 $/MWh .
L’agglo semble modifier sa politique maintenant : achat de 7 bus électriques Heuliez GS337 en 2024, projet de réinstallation de trolleys[15], ce qui semble exigé par l’État pour les agglomérations de plus de 250 000 habitants.
Comparer les émissions de gaz à effet de serre
Bien sûr, les défenseurs du gaz peuvent mettre en avant les diminutions de pollution par rapport au diesel, mais le problème essentiel des émissions de CO2 du GNV est passé sous silence, ou considéré comme secondaire par les adversaires de l’électrification[16]. Un bus diesel consomme, avec ses arrêts fréquents plus de 45 l/100km (120 kg de CO2 émis), et donc il émet près de 700 t de CO2 dans son cycle de vie, le GNV émet 90 % du diesel et le bio-GNV[17] encore 20 % (en équivalent CO2).
Pour comparer, la fabrication d’une batterie émet[18] 110 kg CO2/kWh en Chine et autour de 40 kg/kWh avec le mix décarboné de la Suède (ou de la France). Pour 450 kWh, cela varie de 50 t (Chine) à 20 t (France, Suède) d’émissions de CO2. Les émissions dues aux recharges (~120 kWh/100km) varient de moins de 40t (France, Suède) à plus de 280 t (Allemagne, Pologne, Chine, ...). C’est seulement dans ces derniers pays que le bio-GNV peut avoir un intérêt.
En principe, les bus achetés en 2025 doivent être « à faibles émissions ». On peut certes accepter le 100 % bio-GNV mais il faut refuser de classer le GNV en « faibles émissions ». De plus, il semble utile de réserver le biogaz qui sera toujours très cher et limité, là où il sera difficile de trouver un moyen de remplacer le gaz naturel (industrie chimique..).
Faire la promotion des transports GNV (bus, poids lourds...) contre les solutions électriques maintenant accessibles à prix raisonnable montre un mépris des efforts nécessaires à la décarbonation de notre énergie. C’est aussi une perpétuation de nos graves retards technologiques dans la décarbonation des transports. Rappelons que le bus électrique est en train de remplacer les autres motorisations dans les villes chinoises[19]. Une motorisation adoptée aujourd’hui va rester en place pendant 15 ans ! Enfin, c’est un surcoût que devront supporter les usagers.
Cela a été bien compris par la Commission européenne qui entend imposer le bus électrique[20] en 2030, mais il s’organise aussi une forte résistance du lobby gazier que l’on trouve par exemple sur les articles de « gaz mobilité »[21]. La solution électrique est en train de devenir la moins chère et elle émet beaucoup moins de CO2 ou de gaz à effet de serre comme le méthane.
[1] https://medias.amf.asso.fr/upload/files/Motorisation_bus.pdf
[2] https://www.agir-transport.org/wp-content/uploads/2024/07/NOV-2022-Etude_comparative_des_differentes_motorisations_de_bus_2022_majNov22.pdf
[3] https://www.agir-transport.org/wp-content/uploads/2024/07/Etude-comparative-des-differentes-motorisations-de-bus-2024.pdf
[4] https://fr.made-in-china.com/co_salcparts/product_Asiastar-12-Meter-EV-Bus-Pure-Electric-City-Bus-with-ECE-Wvta-Certification_ysyynyuorg.html?pv_id=1i4pjuk9i11c&faw_id=1i4pjumjb29b
[5] https://concess.transport-manager.net/hvb/vehicule/heuliez-gx-337-elec/#option
[6] https://www.institutmontaigne.org/municipales-2020/montpellier/clothilde-ollier/remplacer-les-bus-gaz-ou-diesel-par-des-bus-electriques-ou-a-hydrogene
[7] https://www.notebookcheck.biz/CATL-commence-a-livrer-des-batteries-pour-vehicules-electriques-assorties-d-une-garantie-de-600-000-miles-pouvant-durer-15-ans.888730.0.html
[8] https://www.gaz-mobilite.fr/dossiers/bus-gnv-bilan-environnemental-prix-tco-marche/
[9] https://www.gaz-mobilite.fr/actus/catp-rappelle-mature-bus-fonctionnement-gnv-biomethane-3496.html
[10] https://www.gaz-mobilite.fr/actus/bus-gnv-immatriculations-ventes-2021-france-3265.html,
https://www.mobiogaz.fr/vehicules/
[11] https://www.grdf.fr/acteurs-gnv/accompagnement-grdf-gnv/enjeux/atouts-ecologiques/loi-climat-resilience/
[12] https://fr.wikipedia.org/wiki/Autobus_de_Grenoble#Mat%C3%A9riel_roulant
[13] https://particuliers.geg.fr/dossier/17/45-biogaz-l-energie-renouvelable-de-demain.htm
[14] https://www.gaz-mobilite.fr/actus/catp-rappelle-mature-bus-fonctionnement-gnv-biomethane-3496.htm
[15] https://fr.wikipedia.org/wiki/Trolleybus_de_Grenoble
[16] Outre le lobby du gaz, on trouve beaucoup d’études « écolo » qui font la promotion du gaz, p. ex:
https://www.actu-environnement.com/ae/news/reduction-pollution-bus-hybrides-gnv-airparif-36954.php4
[17] https://www.mobiogaz.fr/bilan-co2-du-gnv-ou-biognv/
[18] https://www.transportenvironment.org/articles/an-industrial-blueprint-for-batteries-in-europe
[19] Voir par exemple: https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/a-shenzhen-tous-les-bus-sont-deja-electriques_174839
[20] https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_23_762
[21] https://www.gaz-mobilite.fr/actus/interview-bus-biognv-ratp-approche-echeance-europeenne-2030-3687.html
Copyright © 2024 Association Sauvons Le Climat