Plutôt le nucléaire que le CO2

SLC

Interview paru dans « La Terre » du 6 mars 2007

Plutôt le nucléaire que le CO2

Energie, environnement, réchauffement climatique : le nucléaire, point fort de la France énergétique aujourd’hui mis en question, est-il un problème ou fait-il partie de la solution ? Dialogue avec Hervé Nifenecker, président du collectif « Sauvons le climat », pour qui le nucléaire a encore toute sa place dans notre avenir énergétique.

La Terre : Quelle serait selon vous la place du nucléaire dans une stratégie globale de lutte contre le réchauffement climatique ?

Hervé Nifenecker : D’abord, même si nous sommes tous convaincus de la nécessité de faire des économies d’énergie, la consommation mondiale d’énergie va tout de même continuer à croître. Parce qu’on ne peut pas exiger de pays en voie de développement (PVD) ou émergents, comme la Chine ou l’Inde, la même chose que ce que nous devrions faire dans les pays riches. Par ailleurs, du côté des énergies renouvelables, l’hydroélectricité n’a plus de marge de progression dans nos pays ; quant à la biomasse, qui est utilisée comme bois de chauffage dans les PVD avec pour conséquence un déboisement catastrophique, même avec une gestion rigoureuse du couvert végétal et de la forêt elle ne pourrait fournir plus de 15 % de nos besoins énergétiques, d’après l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques. Restent l’éolien et le solaire. Ce dernier est extrêmement coûteux - EDF le rachète aux producteurs dix fois le prix normal - et fournit du courant quand on en a le moins besoin, c’est-à-dire l’été et en pleine journée. Quant à l’éolien, il a comme inconvénients de ne produire qu’un quart du temps en moyenne, et surtout d’être aussi imprévisible que les fluctuations du vent - ce qui le rend difficile à gérer et limite donc là aussi son potentiel à, environ, 10 à 15 % des besoins. On cite souvent l’exemple du Danemark, mais il n’est pas reproductible car il repose sur les échanges avec la Norvège et la Suède, dont les importantes capacités hydrauliques permettent de « stocker » l’énergie - et qui la lui revendent, au prix fort, quand le vent s’arrête. Bref : les énergies renouvelables sont intéressantes, mais elles ne pourront jamais couvrir plus de 20 à 25 % des besoins.

La Terre : Même dans les pays en développement ?

Hervé Nifenecker :Là où il n’y a pas de réseau électrique, le solaire est une bonne solution - à condition qu’on leur donne les moyens de s’équiper. Mais sinon, on arrive à des situations comme celle de la Chine, qui construit chaque année l’équivalent du parc nucléaire français en centrales à charbon ! Restent donc deux voies : le nucléaire, et la capture et séquestration du CO2.

La Terre : Pourtant certains avancent que l’apport du nucléaire dans l’énergie finale est négligeable...

Hervé Nifenecker :L’énergie finale, ça ne veut rien dire. Ce qu’il faut prendre en compte, c’est quelle est la quantité d’énergie utilisée pour un service donné. De ce point de vue, les énergies d’origine fossiles ont un rendement médiocre. Or la production d’électricité est une activité stratégique ; et si elle représente 40 % des émissions de gaz à effet de serre (GES), sans le nucléaire et l’hydraulique ce serait 55 %. Autre exemple : la France, qui est beaucoup moins bonne que le Danemark pour les économies d’énergie, à une dépense énergétique par habitant supérieure de 17 % à celui-ci ; mais elle émet 50 % de CO2 en moins. Et cela parce qu’en dépit du développement de l’éolien, les Danois produisent 80 % de leur électricité avec du charbon.

La Terre : Donc selon vous, si on arrête le nucléaire les émissions de GES vont exploser ?

Hervé Nifenecker :Même si on atteint l’objectif de 21 % d’électricité d’origine renouvelable, il reste à trouver 80 %. Il y a le gaz, qui fournit de l’électricité pour deux fois le prix du nucléaire - et ce n’est pas fini car les Russes, notamment, vont continuer à faire monter les enchères. Et sinon, ce sera le charbon et là, pour 90 millions de tonnes équivalent pétrole (Tep) nécessaires, on rejettera chaque année 400 millions de tonnes de CO2 en plus dans l’atmosphère... Ou alors, il faut vite mettre au point la technologie de capture et de séquestration du CO2 - dont les Etats-Unis ou la Chine ont encore plus besoin.

La Terre : Mais dans un contexte de dérégulation, peut-on encore avoir confiance dans un parc nucléaire géré suivant des critères de rentabilité ?

Hervé Nifenecker :Il ne faut pas exagérer, il n’y a pas qu’en France qu’on sait faire du nucléaire sûr. Même aux États-Unis, l’autorité de sûreté nucléaire est extrêmement stricte et on ne peut pas faire n’importe quoi - alors que l’exemple russe a montré que là où ce n’est pas privatisé, ce n’est pas forcément mieux... C’est avant tout une question de contrôle : il faut une autorité de sûreté indépendante, et qui ait le pouvoir d’arrêter des centrales dangereuses. Reste que je ne sais pas si on pourra refaire dans un système libéral ce qui a été fait avec EDF : le nucléaire reste quelque chose de spécial, très politique, comme on le voit avec le débat autour de l’EPR - alors qu’on construit actuellement six fois la puissance de l’EPR sous forme de centrales thermiques, et personne n’y trouve à redire ! Et puis personnellement, je trouve que démanteler EDF est une stupidité, puisque cela marchait bien...

La Terre : Mais avec les coûts de recherche, de démantèlement et de renouvellement du parc, ceux de la gestion des déchets... le nucléaire n’est-il pas trop cher ?

Hervé Nifenecker :Pas du tout. Tous ces coûts sont inclus dans le prix du KwH. Seul l’hydraulique est moins cher... une fois les barrages construits ! Une comparaison : on veut construire 17 000 mégawatts en éolien d’ici 2015. Cela coûtera le prix de neuf EPR, pour une production équivalent à 2,5 EPR. C’est donc au moins trois fois plus cher. Quant aux déchets, le problème ne se pose pas tant qu’on conserve une industrie nucléaire capable de les gérer, comme aujourd’hui. Après, le stockage en site profond, comme on l’envisage aujourd’hui, me paraît présenter toutes les garanties de sécurité tant pour les hommes que pour l’environnement. En tout cas, la menace représentée par le CO2 est sans commune mesure !

par Olivier Chartrain

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